Donald, Boris et le « nouveau désordre mondial »

Bristol, UK, mai 2016 ©Getty
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Si Boris Johnson devient premier ministre au Royaume-Uni, doit-on craindre qu’avec son homologue américain il n’engendre un « nouveau désordre mondial » ?

« C’est le rêve des auteurs de politique-fiction – écrit Sylvie Kauffman dans Le Monde. Qui, ailleurs que dans leurs fantasmes les plus fous, aurait imaginé qu’un jour les Etats-Unis et le Royaume-Uni, deux pays qui, séparément ou ensemble, ont dominé le monde, seraient dirigés par des hommes aussi disruptifs que Donald Trump et Boris Johnson ? » Leurs points communs : « Un narcissisme sans limites, une savante utilisation des médias, le goût du risque et de l’improvisation, un recours totalement désinhibé au mensonge, une propension à mobiliser les émotions plutôt que les faits, la facilité avec laquelle ils peuvent changer d’avis. » Autre point commun plus lourd de conséquences : leur commune détestation de l’UE. Pour Donald Trump, le Brexit tiendait même lieu « d’épiphanie ». Mark Leonard, directeur d’un think tank européen sur les relations internationales, estime que « le référendum de juin 2016 est l’événement qui a changé les règles du jeu » aux yeux du président américain. « Cela a tout bouleversé, il l’a senti : après cela, son élection à lui devenait possible. » Mais si Boris Johnson accède au pouvoir, « il risque aussi de s’apercevoir rapidement que les intérêts de son pays ne coïncident pas nécessairement avec ceux du chantre d’America First ». Alors peut-être, face « au protectionnisme impitoyable et aux poulets chlorés de Donald Trump », s’apercevra-t-il « que le Royaume-Uni est plus européen qu’il ne voulait le dire ». Mais rien n’est joué, malgré la confortable avance du candidat des conservateurs, comme le souligne Sasha Mitchell dans Courrier international

Le seul à pouvoir empêcher Boris de devenir Premier ministre, c’est Boris lui-même.

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L’adage est largement répandu dans les sphères politique et médiatique outre-Manche. Dans l’immédiat c’est sa vie privée qui pourrait lui faire de l’ombre, avec cette information de The Guardian selon laquelle la police est intervenue pour une bruyante dispute survenue la semaine dernière au domicile de sa compagne. L’autre fait marquant, c’est la révélation par The Observer, de liens entre Johnson et Steve Bannon. « Une affirmation gênante pour Johnson, estime le Financial Times, “en partie parce qu’il se présente comme un candidat modéré auprès de la base du parti conservateur. Mais aussi parce que M. Johnson a toujours qualifié de ‘fantasme gauchiste’ toute association” avec le stratège de la droite dure à l’origine de l’élection de Donald Trump. » Du coup, plusieurs sondages relèvent une réduction de l’écart avec Jeremy Hunt, son concurrent, auprès des militants conservateurs. Il en faudra plus pour le mettre en difficulté, et notamment que son challenger parvienne à démontrer qu’il est le plus compétent sur la question du Brexit, en pointant le caractère irréaliste de la position de Boris Johnson.

Escalade

Le mot nous vient de l’occitan au Moyen Age, comme le rappelle Gaïdz Minassian dans les pages idées du Monde. Depuis son origine montagnarde, il est devenu très présent dans le vocabulaire des journalistes et de la diplomatie pour définir ce nouvel ordre mondial chaotique que Donald Trump n’a pas peu contribué à dessiner. Pour Clausewitz, il était synonyme de montée aux extrêmes, ce que le général Desportes résume ainsi : « On sait que l’escalade commence par des mots, mais dès le premier coup de feu, on ne sait plus où elle s’arrête. » Le bluff peut y jouer sa partie pour obtenir de l’adversaire des concessions afin d’éviter le conflit armé. Mais l’escalade peut aussi couvrir des motivations plus secrètes, comme dans le conflit avec l’Iran. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont en passe de devenir le premier producteur mondial de pétrole, à condition que cette ressource conserve un prix élevé, car leur industrie d’extraction est la plus chère. La fracturation hydraulique permet de récupérer du gaz ou de l’huile piégés en faible quantité dans les roches, malgré d’énormes risques environnementaux : pollution des nappes phréatiques des rivières et des sols, tremblements de terre… Comme le montre Martine Orange dans Mediapart, « les financiers de Wall Street, qui ont soutenu les sociétés du secteur pendant plus d’une décennie, s’impatientent : ils veulent des résultats et des dividendes ». L’embargo sur le pétrole iranien leur fournit l’assurance d’une remontée des cours. 

Dès avant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis étaient le premier importateur du monde, ils n’ont pas hésité à préserver leurs intérêts par la guerre ou en fomentant des coups d’État, renversant des régimes en place pour garder la main sur le pétrole et assurer la sécurité de leurs approvisionnements au plus bas coût, remodelant la géopolitique dans ce but au Moyen Orient, et faisant de l’Arabie saoudite, premier producteur et maître du jeu du marché pétrolier, un allié indéfectible. Timothy Mitchell a retracé l’histoire de cette industrie à vocation impérialiste dans son livre Carbon Democracy Le pouvoir politique à l’ère du pétrole (La Découverte). Ou comment la gestion des énergies fossiles est devenue une technologie de pouvoir.

Par Jacques Munier

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