Brexit : Norvège moins ou Canada plus ?

Le négociateur européen Michel Barnier a imposé des conditions draconiennes ©AFP - ALEXANDROS MICHAILIDIS / SOOC
Le négociateur européen Michel Barnier a imposé des conditions draconiennes ©AFP - ALEXANDROS MICHAILIDIS / SOOC
Le négociateur européen Michel Barnier a imposé des conditions draconiennes ©AFP - ALEXANDROS MICHAILIDIS / SOOC
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Les conditions, imposées par l'UE et acceptées par les Britanniques, vont rendre le Brexit particulièrement périlleux pour la Grande-Bretagne...

La presse de ce matin fait état du succès de Michel Barnier, le Commissaire européen en charge des négociations de départ de la Grande-Bretagne. Il n’a fallu, hier, « que deux minutes » aux ministres des 27 pour approuver les « lignes directrices » qui vont organiser les relations nouvelles entre l’UE et le Royaume-Uni à partir du 29 mars 2019. A ce moment-là, commencera la « phase II » du divorce. 

Mais la « phase I » est-elle une réussite ?

Pas sûr. Car les conclusions de cette phase I comportent au moins une impossibilité logique. Les Européens « se sont prêtés au jeu », écrit Mark Leonard, en laissant la Première ministre britannique faire semblant d’affirmer que son pays pouvait respecter les trois conditions qu’ils lui ont imposées. Mais ces trois buts, concernant l’avenir des relations du pays avec l’Union européenne, sont, d’après le directeur de l’European Council on Foreign Relations, « mutuellement contradictoires ». 

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Le premier est de maintenir ouverte la frontière entre l’Irlande du Nord (Ulster) et la République d’Irlande. Les Britanniques s’y sont engagés lors de l’Accord du Vendredi saint d’avril 1998. Les biens, les services, les capitaux et les personnes pourront donc continuer à circuler librement entre les deux Irlandes. Oui, mais le deuxième est d’établir des régulations, notamment commerciales, valables pour la totalité du territoire de la Grande-Bretagne. Distinctes de celles de l’UE, donc. Et le troisième est de « reprendre le contrôle » de ce même territoire en renégociant des accords commerciaux avec l’Union européenne, en rétablissant des frontières douanières et en soustrayant les juridictions britanniques au contrôle de la Cour européenne de Justice. Mais, comme le font remarquer tous les commentateurs avisés, il s’agit d’une impossibilité logique. 

Comme le souligne, par exemple, l’économiste Anatole Kaletsky, on ne saurait laisser ouverte la frontière entre les deux Irlandes, tout en reprenant le contrôle du cadre juridique de la Grande-Bretagne. Si les normes juridiques de l’Union européenne s’imposent en République d’Irlande et que les produits, services et capitaux peuvent continuer à circuler librement entre l’Ulster britannique et l’Eire républicaine, il n’y a pas de « contrôle possible ». 

« Dans ces conditions, écrit Kaletsky, « _un hard Brexit__, scénario dans lequel la Grande Bretagne se dégagerait des régulations européennes et ne se soumettrait plus, dans ses relations commerciales avec l’Europe, qu’à celles prescrites par l’OMC,_ est devenu impossible ». C’est donc un non-dit de cette négociation. 

Si le hard Brexit, promis par Theresa May à ses électeurs, est impossible, ce sera donc un soft Brexit, que la Première ministre l’admette ou non ?

Mais cette voie-là elle-même est très étroite. Un soft Brexit, par lequel les Britanniques conserveraient les bénéfices commerciaux de l’accès complet au marché européen, sans les obligations politiques qui vont avec, est également impossible. Parce que les négociateurs européens ont prévenu : il n’y aura pas de réadhésion à la carte. Pas de « cherry-picking », comme on dit joliment en anglais. Pas de picorage des cerises.

Alors quels sont les scénarios disponibles ? Les Britanniques les plus optimistes estiment qu’il en existe deux : ils les ont baptisés « Norvège moins » et « Canada plus ». 

Norvège moins : le Royaume Uni conserverait tous les avantages du marché unique – libre mouvement des biens, des services et des capitaux, tout en reprenant le contrôle des mouvements de populations, y compris en provenance des Etats membres de l’UE. 

Norvège moins, parce que ce pays européen n’est pas membre de l’Union douanière. Il peut donc déterminer sa propre politique commerciale. Mais il a accepté la liberté de mouvement des personnes en provenance de l’UE. Mais on ne voit pas comment ce scénario, quand bien même l’UE en accepterait la possibilité, pourrait être conciliable avec le renoncement britannique à une frontière commerciale entre les deux Irlandes. Ou bien, le Royaume-Uni quitte l’Union douanière et rétablit la frontière entre l’Ulster et l’Eire, ou bien, comme il s’y est engagé, il ne le fait pas et de facto, il reste intégré à cette Union douanière. 

A moins que ne se dessine le scénario de la « Petite Grande-Bretagne » qui se limiterait à l’Angleterre et au Pays de Galles, l’Irlande du Nord rejoignant la République d’Irlande et l’Ecosse accédant à l’indépendance afin de demeurer dans l’UE… Si l’objectif du Brexit était de rétablir la grandeur du Royaume-Uni, ce serait là un résultat consternant. 

Le scénario Canada Plus implique la signature entre le Royaume Uni d’un accord commercial inspiré du CETA, cet accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada. Dans ce cadre, le pays retrouve, comme il le souhaite, le plein contrôle de sa politique migratoire ; il quitte et l’Union douanière et le marché unique et renégocie l’ensemble de ses accords commerciaux avec l’UE. Il est assez facile d’imaginer un traité de libre-échange sur les biens, car il serait dans l’intérêt des Européens. Bien plus hasardeux de miser sur leur disponibilité dans le domaine des services…. Mais dans ce cadre, en tous cas, le Royaume-Uni échapperait au contrôle juridictionnel de la Cour européenne de justice- ce qui est l’une des exigences majeures du gouvernement britannique. 

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