Algérie : que reste-t-il des promesses démocratiques ?

Comme Karim Tabbou, plusieurs militants du Hirak ont été emprisonnés depuis le début des contestations. ©AFP - Ryad Kramdi
Comme Karim Tabbou, plusieurs militants du Hirak ont été emprisonnés depuis le début des contestations. ©AFP - Ryad Kramdi
Comme Karim Tabbou, plusieurs militants du Hirak ont été emprisonnés depuis le début des contestations. ©AFP - Ryad Kramdi
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La condamnation du journaliste Khaled Drareni a mis en lumière l’accélération de la répression politique en Algérie. Alors que les manifestants du Hirak continuent d’exprimer leur mécontentement, que reste-t-il aujourd'hui des espérances démocratiques soulevées par ce mouvement inédit de révolte ?

Avec
  • Hakim Addad Militant algérien, co-fondateur du RAJ (Rassemblement Action Jeunesse)
  • Amel Boubekeur Sociologue et chercheuse invitée au programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à l'ECFR
  • Leïla Beratto
  • Massensen Cherbi Docteur en droit de l'Université Paris II Panthéon-Assas, auteur d'Algérie aux éditions De Boeck Supérieur (2017).

C’est l’histoire d’un journaliste algérien à la liberté de ton peu commune. Khaled Drareni a 40 ans et il est l’une des voix qui comptent en Algérie. Déjà en 2014, sous Bouteflika, son émission de débat sur la chaîne Dzaïr TV avait été suspendue pour s’être montrée trop critique du pouvoir. Khaled Drareni s'est fait un nom, et ne se laisse pas intimider. Il fonde le site d’information Casbah Tribune, anime un talk-show politique à la radio et devient le correspondant algérien de TV5Monde et de Reporters Sans Frontières.

Lorsqu’en 2019, le peuple algérien se soulève lors du Hirak, le “mouvement” en arabe, Khaled Drareni relate comme peu d’autres les manifestations hebdomadaires, malgré des intimidations de plus en plus pressantes. Le 29 mars dernier, le journaliste est finalement arrêté et incarcéré pour "atteinte à l’intégrité du territoire national"  et "incitation à attroupement non armé".  Le verdict est tombé le 10 août : il devra passer trois ans de prison.

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Pourtant, le nouveau président algérien, Abdelmajid Tebboune, élu en décembre 2019, à l’issue d’une élection contestée par la rue, avait promis de répondre aux revendications du Hirak. Depuis son élection, il affiche une volonté de réforme, incarnée par un projet de modification de la Constitution, tout en poursuivant et en accentuant la répression à l’encontre de journalistes, blogueurs ou de simples citoyens sympathisants du mouvement.

Faut-il alors voir dans cette récente vague de condamnations le point final des espoirs démocratiques du peuple algérien ? Entre discours d’ouverture et tournant autoritaire, quel est le véritable agenda du nouveau président ?

Pour comprendre la situation en Algérie, nous recevons Leïla Beratto, journaliste, Massensen Cherbi, docteur en droit de l'Université Paris II Panthéon-Assas, Amel Boubekeur, sociologue et Hakim Addad, militant et co-fondateur du RAJ (Rassemblement Action Jeunesse). 

Les timides ouvertures du nouveau pouvoir algérien

Le nouveau pouvoir souhaite montrer qu’il y a une différence avec le système politique d’avant à travers une série de petites ouvertures mais beaucoup d’algériens en veulent plus.  
Leïla Beratto

Dans la pratique réelle, rien n’a changé véritablement depuis la période précédente de Bouteflika. Les algériens vivent la même situation, c’est une continuité avec un changement de « façade » présidentiel. Aujourd’hui, les autorités essaient de « mater » les citoyens à travers une répression féroce sur la presse et les militants politiques. Malgré tout, le Hirak ne désarme pas.  
Hakim Addad

Si le pouvoir algérien est capable de contrôler le pays, peut-il gouverner sans l’adoubement des citoyens ? S’il semble se rendre compte que non, ce n’est pas dans une optique démocratique mais afin de renouer des alliances clientélistes sur le plan local.  
Amel Boubekeur

" La Constitution ne pourra pas être construite sans le peuple "

Le projet de réforme constitutionnel conserve l’essentiel des prérogatives exorbitantes du chef de l’État issue de la Constitution de 1976 : pouvoir réglementaire autonome, nominations, dissolution.  
Massensen Cherbi

Les gens du Hirak ont proposé des idées pour réformer la Constitution et c'est pourquoi ils refusent de s'intéresser à ce projet qui vient d’en-haut.  
Hakim Addad

Il n’y a pas eu de débats publics ou de participation citoyenne pour rédiger ce projet de réforme. Les algériens se sentent peu concernés. Le Hirak avait mis en avant une vision d’autonomisation, d’auto-organisation, pluriethnique, de consultation. Et le pouvoir algérien n’a pas su comment gérer cet élan, cette culture alternative.  
Amel Boubekeur

Il n’y a pas un Hirak uniforme aujourd’hui. Il y a une impossibilité de parler de manière complexe des changements souhaités par une majorité d’algériens car il est difficile pour la société civile de s'organiser, de se coordonner au sein d'associations et de formuler librement une parole critique.
Leïla Beratto

58 min

Pour aller plus loin :

Hirak, Algérie en révolution(s), Mouvements, 2020/2.

Collectif. Hirak en Algérie, L'invention d'un soulèvement, La fabrique éditions, 2020.

Jean-Pierre Filiu. Algérie, la nouvelle indépendance, Seuil, 2020.

Thomas Serres. L'Algérie face à la catastrophe suspendue : Gérer la crise et blâmer le peuple sous Bouteflika (1999-2014), Coédition IRMC, 2019.

Dossier spécial : Quand l’Algérie proteste, L'Année du Maghreb n°21, 2019.

Le soulèvement algérien, Esprit, 2019/6.

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