La Russie, le sentiment anti-occidental et les partis politiques européens

Des idéologies pro-russes et anti-occidentales abondent dans les parlements européens

Publication cover

Introduction

Des idéologies pro-russes et anti-occidentales abondent dans les parlements européens

 

Des éléments anti-occidentaux, exploitables par le Kremlin, existent non seulement dans les franges des classes politiques européennes, mais atteignent aussi le cœur des principaux partis.

Une nouvelle étude du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) révèle pour la première fois à quel point de nombreux partis politiques européens sont proches, idéologiquement, du Kremlin.

Alors que l’attention de ces dernières années s’est concentrée sur les partis extrêmes des paysages politiques européens, ce rapport montre l’existence de traits communs entre le gouvernement russe et de nombreux partis politiques traditionnels. En effet, dans plusieurs pays, ces visions se sont propagées dans tout le système politique national, jusqu’à devenir la posture dominante.

Cette recherche examine la totalité des 252 partis représentés dans les 28 parlements des pays membres de l’UE, collectant suffisamment de données pour étudier 181 partis dans 22 pays. Les partis sont classés selon leur soutien ou leur opposition au modèle libéral occidental, défini par les idées de libéralisme, sécularisme, de l’Union européenne, de l’architecture sécuritaire occidentale, de libre-échange, de la mondialisation et des relations transatlantiques.

Ce rapport rassemble ces partis dans quatre catégories, incluant les « pro-occidentaux » et les « modérément pro-occidentaux ». Mais ce sont les partis anti-occidentaux qui sont les plus intéressants.

Les partis fortement anti-occidentaux (30 partis) :

Ces partis rejettent tout, ou presque, de l’ordre occidental. Ils sont aussi bien situés à l’extrême-droite, avec, par exemple, l’Union nationale Attaque en Bulgarie, le Kotleba–Our en Slovaquie, le Front National en France, les Frères d’Italie-Alliance nationale et la Ligue du Nord en Italie, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni et le Parti de la liberté d’Autriche qu’à l’extrême-gauche, comme le Parti socialiste bulgare, la Coalition démocratique unitaire au Portugal, et les partis populistes comme le Mouvement cinq étoiles in Italy.

A l’exception des Démocrates de Suède, tous ces partis soutiennent un rapprochement de leur pays respectif avec la Russie, s’opposent aux sanctions contre la Russie, et ont des contacts avec le régime russe. Ils veulent mettre un terme à l’ordre sécuritaire européen fondé sur l’OTAN et l’UE en faveur de la création d’un système qui conviendrait aux intérêts russes.

Le FPÖ autrichien et la Ligue du Nord sont allés plus loin et ont conclu des accords de coopération avec Russie Unie. Toutefois, à quelques exceptions près, il est peu probable qu’aucun de ces partis n’ait accès au pouvoir dans les prochaines années.

Les partis anti-occidentaux modérés (31 partis) :

Ce groupe rejette plus d’éléments de l’ordre occidental qu’il n’en accepte, et comprend de nombreux partis traditionnels, comme le Parti social-démocrate autrichien et le Parti populaire autrichien, le Parti Direction-Social-démocratie en Slovaquie, le Fidesz en Hongrie, Forza Italia, et Les Républicains en France.

Une majorité des partis présents dans cette catégorie montre une préférence pour des relations plus étroites avec la Russie, la levée des sanctions, et ont eux-mêmes des liens avec le régime russe. Les seules exceptions à cette règle sont les partis des Vrais Finlandais, du Centre (en Finlande aussi), du Südtiroler Volkspartei en Italie, du Kukiz’15 en Pologne et du Parti populaire conservateur d’Estonie.

 

Les systèmes politiques nationaux

Toutefois les partis ne sont pas tout. Ils existent au sein de systèmes politiques nationaux, et c’est l’équilibre entre les partis dans chaque système qui détermine l’orientation globale du pays. Les 22 pays examinés dans ce rapport se divisent, une nouvelle fois, en quatre groupes.

Les pays traditionnellement anti-occidentaux

Dans cinq pays – l’Autriche, la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie et la Slovaquie – le système politique dans son ensemble tend vers des positions anti-occidentales.

La Hongrie, dont le conservatisme social offre une ouverture à la Russie, est le pays membre de l’UE dont le Parlement affiche le plus grand désaccord avec l’ordre libéral européen. Elle est le pays le plus eurosceptique, avec une forte défiance quant au libéralisme et aux relations transatlantiques, et une position très critique quant à la solidarité européenne face à la crise des réfugiés. Après la Pologne, c’est le deuxième pays le plus anti-séculariste, et le second après l’Autriche quant à l’opposition à la mondialisation et au libre-échange.

En Autriche, la gauche est la principale voix d’opposition à l’Occident, mais la possible croissance du Parti de la liberté, à droite, contribue à la propagation de ces éléments idéologiques. Le scepticisme quant à la mondialisation et au libre-échange est particulièrement fort en Autriche, et est partagé autant par les partis de gauche que par les partis de droite. En fait, l’Autriche est le seul pays de l’UE qui enregistre une réponse anti-occidentale aux 12 questions – bien que de façon marginale dans certains cas. Sa position sur l’aide européenne en Ukraine – qu’elle perçoit comme un obstacle indésirable à de meilleures relations avec la Russie – est unique en Europe.

La Bulgarie et la Grèce ont toutes deux souffert intensément de la crise de 2008 and sont deux des principaux pays transits dans la crise des réfugiés. Ils sont ainsi particulièrement sensibles aux tendances anti-occidentales. En Bulgarie, le soutien au maintien du régime d’Assad comme un moyen de mettre fin à la guerre en Syrie a eu pour conséquence de l’isoler du reste de l’Europe. Mais le Premier ministre bulgare, Boïko Borissov, a tenté de contenir l’influence russe, se trouvant lui-même souvent en porte-à-faux avec les élites financières du pays.

En Grèce, la tendance pro-russe est bien plus évidente. Il y existe un soutien pour des liens plus étroits avec la Russie ainsi que pour la levée des sanctions plus fort que dans n’importe quel autre pays d’Europe. La Grèce est aussi le pays le plus sceptique quant à l’architecture sécuritaire européenne fondée sur les institutions occidentales, et la méfiance envers les relations transatlantiques y est presque aussi forte qu’en Hongrie.

L’entre-deux malléable

Dans plusieurs pays, le consensus général penche pour le système occidental, qui demeure toutefois défié par les modèles idéologiques de certains partis traditionnels. En France, par exemple, la Russie a appris à exploiter l’anti-américanisme des Gaullistes pour les encourager à adopter des positions plus russophiles, qui sont aujourd’hui implantées dans le parti des Républicains.

Toutefois, avec l’électorat français qui boude les élites conservatrices, on s’attend à ce que l’Italie devienne la cible privilégiée de la Russie pour maintenir son influence en Europe. Les élites de droite italiennes et l’élite russe partagent l’idée que l’Italie et la Russie ont été toutes deux privées de leur droit au statut de grande puissance par l’Occident après la Seconde guerre mondiale, et la Russie a investi un nombre considérable de ressources dans la construction de ses relations avec l’Italie ainsi que dans sa volonté de modeler le débat italien.

De plus, il existe en Italie de nombreux partis anti-occidentaux et pro-russes, notamment le parti traditionnel Forza Italia, dirigé par Silvio Berlusconi, dont l’amitié avec Poutine est bien connue. Forza Italia tient des positions anti-sécularistes, sceptiques quant à l’architecture de sécurité européenne établie, soutient la levée des sanctions ainsi qu’un approfondissement des relations avec la Russie, et s’oppose à l’immigration. Et sur le flanc droit de ce parti se trouvent des partis encore plus radicalement opposés à l’ordre occidental, dont la Ligue du Nord et les Fratelli d’Italia, fortement positionnés dans l’opposition à l’ordre occidental sur les 12 questions. Au même moment, le Mouvement cinq étoiles promeut une politique anti-occidentale en adoptant une perspective de gauche.

Les exceptions du Nord et de la région baltique

Les systèmes politiques de ces pays partagent une certaine dose d’euroscepticisme ainsi qu’une certaine crainte de perdre leur identité chrétienne. Mais, peut-être du fait de leur proximité géographique avec la Russie qui les rend vulnérables à une action militaire russe, aucun de ces pays ne souhaite établir des liens plus étroits avec la Russie, ni ne promeut une levée de sanctions ou un changement dans l’architecture de la sécurité européenne en faveur de la Russie.

Les systèmes résilients

Les autres systèmes nationaux semblent moins enclins au sentiment anti-occidental, et il pourrait être ainsi plus difficile pour la Russie d’influencer les débats nationaux dans les pays suivants : la Belgique, l’Estonie, l’Allemagne, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne, la Slovénie, et le Royaume-Uni. Toutefois, cela ne signifie pas que le sentiment anti-occidental n’est pas présent du tout ou qu’il ne faut pas y prendre garde.

En Allemagne, par exemple, le parti de gauche Die Linke est le seul parti anti-occidental représenté au Bundestag. Mais l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) est aussi un parti très anti-occidental et pourrait faire son entrée au Bundestag après l’élection de 2017.

 

Politique européenne

Les postures idéologiques anti-occidentales sont en corrélation avec de nombreux points de la politique russe de l’UE, dont les sanctions. Lever les sanctions et approfondir les liens avec la Russie sont des idées très populaires en Grèce, en Hongrie, en Autriche, en Slovaquie, en Bulgarie, en France, en République tchèque, en Italie et au Portugal. Au contraire, la Pologne, l’Estonie, le Royaume-Uni, la Roumanie, le Danemark, la Suède, et l’Allemagne sont sceptiques quant à la possibilité d’avoir un jour une relation plus apaisée avec la Russie. Pour le moment, les Etats sceptiques semblent en mesure de maintenir la politique de sanctions. Mais c’est un statut quo fragile.

En conséquence, les hommes politiques pro-occidentaux doivent contrer activement la menace idéologique que la Russie et ses partisans représentent. Renforcer les services de contre-espionnage, durcir la législation anti-corruption et le contrôle des institutions, renforcer les lois anti-monopoles, et mettre en œuvre de façon stricte le troisième paquet énergique compliqueraient la tâche de la Russie pour développer and exploiter ses divers réseaux d’influence.

L’auteur du rapport, Gustav Gressel, affirme : « Malgré la victoire d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle française, la révolution anti-occidentale n’est pas encore en marche. Les accusations d’ingérence russe, de tentatives d’influence, de financements, de soutien, ou de relations avec les partis anti-occidentaux ne s’évaporeront pas. La Russie n’est pas la seule responsable de la récente révolte idéologique en Europe, mais elle pourrait bien en être le principal bénéficiaire. »

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.