La pandémie du Covid-19 a érodé la confiance des Allemands en l’Union européenne

Brandenburg Gate and the Fernsehturm in Berlin
Image par picture alliance/dpa | Christophe Gateau
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  • Le nouveau rapport de l’ECFR indique que la confiance de l’opinion publique en l’Union européenne (UE) s’est écroulée durant la pandémie du coronavirus – et que 55% des Allemands pensent maintenant que le projet européen est « brisé »
  • Le sondage de l’ECFR révèle un bond de 11% au cours de l’année écoulée dans l’opinion allemande pensant que l’intégration européenne est allée « trop loin ». On y trouve aussi un soutien répandu pour une action nationale plutôt que menée par l’UE pour réparer les dégâts causés par le Covid-19.
  • Dans leur analyse, les auteurs du rapport, Mark Leonard et Jana Puglierin, avertissent que l’Allemagne pourrait s’exposer à un risque de « tournant nationaliste », en amont des élections parlementaires cruciales qui auront lieu cette année.
  • Ils avancent que les hommes et femmes politiques pro-européens doivent « se libérer de leur paralysie » et mettre en place des « actions radicales » pour s’assurer que l’UE fonctionne au mieux. Ils montrent comment l’opinion publique serait réceptive à un « plaidoyer patriotique pour un engagement international » et explorent les façons dont cela pourrait être fait dans plusieurs domaines.

Une majorité d’Allemands croient maintenant que l’UE est « brisée » et pensent que leur pays est capable de s’occuper seul de la relance après la pandémie du coronavirus, d’après un nouveau rapport basé sur des sondages publié par l’ECFR. Ce rapport révèle que 49% des Allemands ont « perdu confiance » en l’UE, et qu’un tiers de ses citoyens pense que l’intégration européenne a été « trop loin ». Cela pose une question sérieuse sur l’avenir du projet européen, d’après les auteurs Mark Leonard et Jana Puglierin, et laisse à penser que l’Allemagne pourrait s’exposer au risque d’un « tournant nationaliste », alors que se profilent les élections parlementaires de septembre.

Le rapport de l’ECFR, intitulé « Comment éviter que l’Allemagne ne devienne eurosceptique », explique qu’à moins qu’une action immédiate ne soit effectuée par les hommes et femmes politiques pro-européens de Berlin pour expliquer comment l’Allemagne utilise l’UE pour accroître son influence, augmenter sa richesse, et promouvoir la prospérité et la sécurité, il y a un risque pour que le « long covid politique » ne sape le soutien pour l’intégration européenne dans l’un des Etats-membres les plus importants pour le bloc.

L’Allemagne doit « se libérer », d’après les auteurs, de la paralysie qui a caractérisé ses interactions avec l’UE cette dernière décennie. Une politique de maintien du « statu quo » ne tiendra pas dans un environnement de défis mondiaux, parmi lesquels la pandémie actuelle, la crise climatique, et les rapports de force entre les plus grandes économies mondiales.

Le rapport, basé sur des résultats de sondages obtenus par YouGov et Datapraxis, fait état de changements dans l’attitude des Allemands envers l’Europe ces dernières années et met en avant les façcons dont les dirigeants à Berlin peuvent modifier leur programme politique et plaider en faveur de l’appartenance de leur pays à l’Union européenne. Il appelle les hommes et femmes politiques européens à « d’urgence retourner » le débat européen, et à montrer comment l’Allemagne peut mener et prospérer au sein de la communauté européenne lors des prochaines décennies.

Les résultats du sondage de l’ECFR ont également été utilisée par le think-tank pour une étude intitulée « Crise de confiance : comment les Européens voient leur place dans le monde ». Cette étude, qui s’appuie sur des données issues des 12 Etats membres, peut être visualisée/téléchargée ici.

Les principaux résultats pour l’Allemagne

  • La pandémie du Covid-19 a érodé la confiance des Allemands en l’UE et en sa capacité à agir en temps de crise. Presque la moitié des Allemands (49%) expriment avoir moins ou beaucoup moins confiance en l’UE à la suite de sa politique vaccinale (les 28% qui ont « beaucoup moins » confiance représentent le plus grand groupe dans cette mesure). Une majorité d’Allemands (55%) voient maintenant le projet européen comme « brisé ». En novembre 2020, la moitié des Allemands pensaient que le système politique européen fonctionnait ; aujourd’hui, seuls 36% le pensent.
  • Beaucoup défendent maintenant le point de vue selon lequel l’intégration européenne a été « trop loin ». Un tiers (33%) des sondés ont déclaré que la crise du Covid montre que l’intégration européenne a été trop loin – contre 23% en 2020. Il n’y a pas de risque que l’Allemagne quitte l’UE ou qu’un parti eurosceptique remporte la chancellerie lors des élections parlementaires de cette année, mais les élites politiques à Berlin ne peuvent plus prendre le soutien de l’opinion publique allemande envers l’UE pour acquis.
  • Cas unique parmi les 12 Etats membres interrogés, les Allemands dirigent leur mécontentement sur la performance de l’UE vers la Commission d’Ursula von der Leyen. Comme ailleurs en Europe, ils sont également favorables à l’idée d’une enquête publique sur l’approvisionnement en vaccins de l’UE et le programme de distribution du vaccin.
  • Cependant, il y a toujours un large soutien en Allemagne pour le renforcement de la souveraineté européenne. 47% des Allemands pensent encore que la crise du coronavirus a montré qu’il y avait un besoin pour plus de coopération au niveau européen (même si ce nombre est en déclin depuis l’année dernière). De nombreux Allemands – 52% en 2020 et 46% en 2021 – sont en faveur d’encourager les entreprises à produire plus de matériel médical au sein de l’UE, même si cela est synonyme de prix plus élevés (ce soutien est moins fort pour les biens non-médicaux). Le sondage de l’ECFR de novembre 2020 montre que 38% des Allemands veulent être plus stricts avec les Etats-Unis sur les problématiques économiques, 26% pensent que la pression actuelle est à un bon niveau, et seuls 16% souhaitent que cette pression soit relâchée.
  • Malgré certaines réserves, les Allemands pensent encore que leur pays pilote l’UE. Les sondages de l’ECFR montrent que – par contraste avec les opinions publiques des Etats membres frugaux – la plupart des Allemands ont le sentiment que l’influence de leur pays dans le bloc augmente. Cela fait écho aux données de l’ECFR de l’année passée, qui montraient que beaucoup d’Européens voient l’Allemagne comme le pays avec lequel il est le plus important d’avoir une bonne relation.
  • La Chine est maintenant vue comme un « rival » ou un « adversaire » international par une majorité de citoyens. Presque un tiers des Allemands (30%) voient la Chine comme un pays avec lequel ils sont en compétition. Cela reflète une peur croissante chez les Allemands que les entreprises chinoises ne dictent bientôt les termes de la quatrième révolution industrielle (si cela n’est pas déjà le cas) et que l’Europe devienne de plus en plus dépendante de la Chine pour des technologies essentielles.
  • La confiance en la garantie de sécurité représentée par les Etats-Unis est toujours basse, malgré le changement progressif de politique étrangère américaine effectuée par Joe Biden. Seuls 19% des Allemands voient les Etats-Unis comme un allié – un pays qui partage leurs intérêts et valeurs. Le sondage de l’ECFR de novembre 2020 montre que seul 1 Allemand sur 10 pense que son pays a « un grand besoin » de la garantie de sécurité des Etats-Unis.

Comment faire face à ce constat et améliorer la position de l’Allemagne en Europe

Les auteurs du rapport, Mark Leonard et Jana Puglierin, pensent que ce changement de perspective parmi les Allemands pourrait annoncer un « tournant nationaliste » pour les élections parlementaires à venir. Ils soulignent que préserver le « statu quo » n’est plus une option viable pour l’Allemagne, et que des « solutions radicales » doivent maintenant être apportées pour garder à distance l’euroscepticisme dans une des économies les plus importantes de l’Europe.

Dans leur analyse, Mark Leonard et Jana Puglierin soulignent une série de problèmes pour la position allemande traditionnelle de cette dernière décennie. En réponse à chacun de ces problèmes, ils identifient des « solutions » potentielles, qui aideraient à construire un consensus public pour une politique allemande tournée vers le monde et pro-européenne :

  • PROBLEME :  la guerre commerciale et technologique sino-américaine compromet la mondialisation. Alors que la Chine et les Etats-Unis souhaitent se servir de leurs relations économiques comme d’une arme, l’Allemagne est incapable et ne souhaite pas protéger ses relations économiques avec une politique de puissance. L’Allemagne est essentielle pour l’Europe dans son développement de capacités de lutte contre la coercition économique et les sanctions, qu’elles viennent des Etats-Unis, de la Chine, ou d’autres pays. Mais si Berlin est trop réfractaire à penser en termes géopolitiques – par hésitation traditionnelle ou par négligence – l’UE pourrait se retrouver en retard dans la compétition mondiale et être vulnérable aux attaques géo-économiques. 
    • SOLUTION : les responsables politiques devraient sortir de leur vision dépassée selon laquelle produire des biens de haute qualité suffit au succès économique. Les décideurs allemands devraient s’intéresser aux façons d’accroître la consommation intérieure et de développer davantage le marché européen, sachant que le succès des exportations est fragile dans un monde où la Chine et les Etats-Unis explorent de plus en plus les façons d’utiliser les réseaux économiques pour obtenir des concessions politiques de la part d’autres pays. L’UE doit accroître le rôle international de l’euro en favorisant des marchés bancaire et de capitaux intégrés – ainsi qu’en rendant l’euro plus attractif, en promouvant son utilisation dans davantage de secteurs, et en établissant un euro numérique.   
  • PROBLEME : l’idée selon laquelle la garantie de sécurité fournie par les Etats-Unis est de nouveau stable après la victoire électorale de Joe Biden en 2020. Comme le montrent les sondages de l’ECFR de novembre 2020 et de mars et avril 2021, les citoyens allemands sont toujours circonspects face aux Etats-Unis et ne les voient plus comme un allié stratégique sur la scène mondiale. La présence de Joe Biden à la Maison blanche ne doit pas donner aux décideurs politiques allemands un faux sentiment de sécurité. 
    • SOLUTION : L’Allemagne – et l’UE – doivent reconstruire leur relation avec les Etats-Unis. Elles doivent mener une stratégie à deux niveaux – augmenter leur contribution au partenariat transatlantique à travers des mesures qui renforcent en même temps leur propre indépendance. Berlin doit chercher à devenir un meilleur partenaire pour Washington – en investissant dans des ressources qui seraient disponible au sein de l’OTAN et augmenteraient la capacité opérationnelle de la Bundeswehr. Elle doit chercher à garder l’engagement des Etats-Unis en Europe, ce qui est particulièrement important pour le parapluie nucléaire, qui serait l’élément le plus difficile à remplacer de la garantie de sécurité américaine.
  • PROBLEME : les exportations d’armes allemandes sont trop restrictives pour permettre une meilleure coopération pour la défense de l’UE. Pour les Verts, qui semblent avoir de fortes chances de faire partie de la prochaine coalition, les projets joints d’armement seront des points de discorde majeurs. Ils soutiennent l’idée d’une union européenne de sécurité et de défense, ainsi que la consolidation de l’industrie de défense européenne, mais ont à plusieurs reprises plaidé pour une régulation plus stricte des exportations d’armes.
    • SOLUTION : pour permettre une meilleure coopération pour la défense européenne, l’Allemagne doit trouver un compris entre ses propres exigences et celles de ses partenaires. La vision selon laquelle les investissements allemands pour la défense européenne sont un sacrifice doit changer. Les décideurs politiques doivent plutôt voir ces dépenses comme une partie de la solution : c’est seulement en travaillant ensemble que les Européens pourront tenir dans un monde qui, de plus en plus, fonctionne moins selon l’Etat de droit et plus selon la loi de la jungle. Le soutien des citoyens allemands envers le cadre européen adoucit beaucoup des problèmes de sécurité et de défense les plus controversés.
  • PROBLEME : la croyance selon laquelle la cohésion entre les 27 doit l’emporter sur la capacité de l’Europe à agir. Le raport souligne que, bien que la volonté profondément ancrée de Berlin à rendre chaque acte politique le plus inclusif possible ait aidé à resserrer les liens européens au cours de cette dernière décennie, elle a aussi créé un processus décisionnel lent au sein du bloc.
    • SOLUTION : si l’UE ne peut pas faire de progrès assez rapidement, sans toucher aux traités, l’Allemagne devra prendre les devants avec un groupe de partenaires volontaires et prioritiser l’action plutôt que le consensus. Des coalitions informelles rencontreront plus de succès que de chercher à obtenir le vote à majorité qualifiée pour la politique étrangère de l’UE.
  • PROBLEME : la glorification du duo franco-allemand. Le rapport avance que la relation de l’Allemagne avec la France, et la façon dont elle partage ses informations avec Paris, est toxique pour l’UE, et doit être atténuée pour le bénéfice du bloc.
    • SOLUTION : l’Allemagne devrait tenter de former des coalitions avec d’autres Etats européens, et se préparer à avancer sans le soutien de la France sur certains sujets. Prenant l’exemple de l’alliance du président Emmanuel Macron avec l’Espagne et l’Italie sur les « coronabonds » l’année dernière, le rapport suggère que l’Allemagne devrait imiter ce comportement pour la poursuite de certains de ses objectifs politiques.
  • PROBLEME : le déséquilibre monétaire et économique au sein de l’UE. Le rapport souligne que le plan de relance pour l’UE pourrait ne pas suffire, à lui seul, à empêcher davantage de divergence économique au sein de l’Europe. Désignant les pays du sud de l’Europe, qui ont subi des pertes économiques disproportionnées et n’ont pas la capacité financière des pays du nord pour amortir le choc du Covid, le rapport avance que la tendance à la démondialisation renforce l’importance pour l’Allemagne d’une économie européenne en bonne santé.
    • SOLUTION : le rapport note qu’il est dans l’intérêt de Berlin d’empêcher que les pays du sud, tels que l’Italie, l’Espagne et le Portugal, ne sombrent davantage dans la crise économique. Pour cela, au lieu de parler de l’Allemagne comme de la trésorière de l’Europe, les décideurs politiques doivent mettre l’accent sur le bénéfice d’avoir une zone euro forte qui offre de la résilience et des opportunités au bloc sur la scène internationale.
  • PROBLEME : la potentielle mauvaise utilisation des fonds européens dans certains Etats membres. Comme l’a montré le sondage réalisé par l’ECFR en 2020 sur les ressentis face au programme de relance lié au Covid-19, il existe une crainte que certains Etats membres puissent faire un mauvais usage de leur part du fonds pour combler des déficits de long-terme – par exemple pour renforcer des systèmes de sécurité sociale défaillants – qui n’ont aucun rapport avec la pandémie.
    • SOLUTION : pour y faire face, le rapport propose de développer un système de surveillance. Il suggère que les Allemands ont besoin de voir que les fonds européens sont utilisés pour atteindre les objectifs du bloc – notamment en ce qui concerne le développement durable, le climat, et le numérique – et que les gouvernements des 27 ne sont pas en train d’investir pour eux-mêmes, mais pour leurs citoyens.

CONCLUSION

Le rapport de l’ECFR se conclut par un appel aux décideurs politiques de Berlin à renverser « d’urgence » le débat. Ses auteurs, Mark Leonard et Jana Puglierin, affirment que plutôt que de soumettre un programme pour la politique étrangère centré autour des concessions que l’Allemagne devra faire, le gouvernement devrait établir un rapport patriotique sur la façon dont le pays peut s’épanouir au sein de la communauté européenne lors de ces prochaines décennies. Ils avancent que l’investissement pour l’Europe ne doit pas être vu comme un « sacrifice », au seul bénéfice du projet européen, mais plutôt comme un « acompte » pour la prospérité future de l’Allemagne.

Ce rapport est basé sur un sondage d’opinion public réalisé auprès de 3080 allemands par YouGov and Datapraxis. Ce sondage a été commissionné par l’ECFR en mars et avril 2021.

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