Incertitude politique en France : quelles conséquences pour la politique étrangère française ?
Pour former un gouvernement viable après les élections législatives anticipées, les partis politiques français devront former des coalitions et faire des concessions. Mais une telle coopération n’est pas dans la culture politique française, et les divisions internes risquent d’affaiblir la voix de la France sur la scène internationale et européenne.
Dans une certaine mesure, et contre toute attente, l’appel du président Emmanuel Macron au “barrage” et à la formation d’un « front républicain » contre ses rivaux d’extrême droite, le Rassemblement national (RN), a fonctionné. Lors des élections législatives anticipées de la semaine dernière, la coalition de gauche, le Nouveau Front Populaire (NFP), est arrivée en tête avec 180 sièges, suivie du bloc de Macron, Ensemble, avec 163 sièges, et du RN avec 143 sièges. Malgré l’effort réalisé par le RN ces dernières années pour dédiaboliser son image, plusieurs de ses candidats locaux ont marqué les esprits par leur extrémisme et leur amateurisme. Après des élections européennes qui avaient placé le RN dans une dangereuse position de vainqueur, trois ans seulement avant les présidentielles de 2027, les élections législatives ont réussi à renverser le rapport de force en faisant apparaître le parti de Marine Le Pen comme le perdant de cette nouvelle élection.
Les résultats ont confirmé la division tripartite de l’électorat français entre un bloc de gauche, un bloc centriste et un bloc d’extrême droite. Sans vainqueur clair, une grande incertitude subsiste quant à qui gouvernera la France alors que le pays entre dans le « troisième » et peut-être le plus éprouvant tour de son élection législative – les négociations.
Au cours des prochaines semaines, plusieurs scénarios pourraient émerger. Macron pourrait choisir un Premier ministre issu du camp ayant le plus grand nombre de députés (le NFP), et le nouveau Premier ministre tenterait alors d’obtenir le soutien du Parlement pour son gouvernement minoritaire. Cela impliquerait cependant une cohabitation qui semble peu probable compte tenu de l’aversion mutuelle qui oppose la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon (LFI) et Macron.
Alternativement, Macron pourrait explorer des moyens de conserver le pouvoir en s’appuyant sur son bloc centriste. Plusieurs appels ont été faits en faveur d’une grande coalition réunissant tous les partis de « l’arc républicain » – des socialistes au centre en passant par la droite – et Macron lui-même a mentionné cette solution dans une « Lettre aux Français » publiée le 10 juillet. Cependant, il n’est pas clair si la gauche centriste (les socialistes et les écologistes) se séparerait de LFI pour rejoindre une coalition dirigée par Macron. Alors que le scénario d’une grande coalition serait probablement privilégié ailleurs en Europe, celui-ci ne fait pas partie des usages de la culture politique française depuis 1962 (lorsqu’il a été décidé qu’à moins d’être forcé à une cohabitation avec un parti majoritaire, le président concentre le pouvoir et la légitimité populaire, laissant ainsi peu de place au compromis et à la construction de coalitions). De plus, Macron n’a jamais démontré une forte volonté ni la capacité à négocier sur son programme politique pour former une coalition.
Inversement, Macron pourrait être disposé à s’ouvrir aux Républicains et à d’autres groupes de droite, qui ont ensemble remporté un peu plus de 60 sièges. Cela ne suffirait pas pour une majorité absolue, mais cela pourrait permettre la formation d’un gouvernement minoritaire de centre-droit, les deux blocs combinés ayant plus de sièges que le NFP.
Une dernière alternative est que le président choisisse un technocrate pour diriger un gouvernement d’experts avec l’espoir d’obtenir suffisamment de soutien au Parlement pour se maintenir dans la durée. Cependant, ce gouvernement devra légiférer, ramenant ainsi la question de la majorité parlementaire au centre de la scène.
Il est encore difficile à ce stade de prédire les prochains développements. La politique française devrait entrer dans une phase plus instable, dominée par un rôle accru du Parlement.
Quel que soit le scénario, les résultats des élections ne suggèrent pas de changement d’orientation majeur dans la politique étrangère française – contrairement à ce qu’une victoire du RN aurait impliqué. Selon la Constitution et la tradition de la Ve République, le président conservera de nombreuses prérogatives, surtout en cas de gouvernement technique ou de grande coalition, où les ambitions de Macron en matière de politique étrangère seront peu remises en question par son Premier ministre.
Cependant, il est probable que la politique française se retrouve plus contrainte, recentrée sur elle-même et imprévisible, ce qui diminuera l’influence de la France sur la scène européenne et internationale. Il est notamment possible que des décisions importantes telles que l’augmentation du soutien à l’Ukraine ou l’investissement dans la défense européenne deviennent plus difficiles pour la France à faire ratifier par le parlement dans l’année à venir. Les données des sondages d’opinion de l’ECFR montrent que, malgré le soutien continu à l’Ukraine, le public français s’inquiète du risque d’entrer en conflit avec la Russie. Lors de la campagne des élections européennes, certains partis de gauche et de droite ont dépeint Macron comme un va-t-en-guerre après sa déclaration sur l’envoi potentiel de forces en Ukraine. Les partis les plus réticents au soutien de la France à l’Ukraine – principalement LFI et le RN – ont également gagné un nombre important de sièges aux élections parlementaires. Le soutien à l’Ukraine pourrait donc réémerger comme un point de discorde dans le débat intérieur français.
Le soulagement à court terme de voir l’extrême droite battue ne sera donc que temporaire. L’élection a ouvert un nouveau chapitre d’incertitude et d’instabilité, où les partis seront contraints de former des coalitions et de faire des concessions pour atteindre la majorité, ce qui est contraire à la culture politique française. Derrière les gros titres des élections, le parti de Macron a tout de même perdu un tiers de ses sièges au parlement, tandis que le RN et ses alliés ont augmenté leur part de 60 %. Pendant ce temps, la gauche, malgré ses tentatives de maintenir l’unité, reste profondément divisée, surtout sur la politique étrangère et européenne, et sans leader. Les Républicains sont sortis des élections meurtris par le ralliement de leur président Eric Ciotti et de certains de leurs membres au RN. La stratégie de Macron de « moi ou le chaos » a créé une frustration croissante parmi une partie de la population qui voit cette approche comme anti-démocratique.
Enfin, une profonde rancœur couve parmi les électeurs du RN qui estiment que la victoire leur a été volée. Le RN et ses alliés ont en effet obtenu la plus grande part des voix au second tour (37 %), bien devant les 26 % du NFP et les 23 % d’Ensemble – mais ont fini avec beaucoup moins de sièges en raison de la coalition des opposants : seul le retrait des candidats et les appels à « faire barrage » ont évité que le RN n’obtienne une majorité de sièges. Si cette frustration croissante n’est pas correctement traitée, ainsi que la fragmentation continue du paysage politique et la toxicité croissante du débat, cela pourrait bien conduire à une victoire du RN à long terme – potentiellement dès les élections présidentielles de 2027 – ou à d’autres voies moins démocratiques pour exprimer cette frustration populaire.
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