Accrochez-vous : Comment l’élection présidentielle américaine de 2024 pourrait affecter l’Europe

Ce rapport explore les similitudes et les différences, au sein et entre les partis, dans les domaines de politique étrangère les plus importants qui affectent les relations de l’Amérique avec l’Europe

A worker adjusts the US and EU flags prior to the arrival of European Union foreign policy chief Josep Borrell and United States Secretary of State Antony Blinken during the EU-US Energy Council Ministerial meeting at the European Council building in Brussels, Tuesday, April 4, 2023. (AP Photo/Virginia Mayo)
Un homme ajuste les drapeaux des États-Unis et de l’UE avant l’arrivée de Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, et d’Antony Blinken, secrétaire d’État américain
Image par picture alliance / ASSOCIATED PRESS | Virginia Mayo
©
Texte complet disponible en
  • Les partis politiques américains mènent d’intenses discussions sur la future orientation de la politique étrangère des États-Unis. Les démocrates et les républicains sont d’accord sur certains points, telles que la rivalité stratégique avec la Chine, la protection de l’industrie manufacturière nationale et l’accès aux technologies stratégiques. 
  • Toutefois, les deux partis sont en désaccord sur des sujets d’une importance cruciale pour les Européens, tels que l’action climatique, la guerre en Ukraine et les relations des États-Unis avec leurs alliés. 
  • Au sein des partis démocrate et républicain, trois courants exercent une influence sur la politique étrangère du parti et façonneront la position de la future administration. 
  • Sur la question de la place des États-Unis dans le monde et de leur présence militaire à l’étranger, les partis sont divisés entre ceux qui prônent un engagement international limité des États-Unis ; ceux qui préconisent de donner la priorité à la région indopacifique ; et les partisans du maintien du leadership mondial des États-Unis, voire de leur prééminence.
  •  Les Européens ne doivent pas se contenter d’espérer pouvoir s’adapter aux changements potentiellement spectaculaires de la politique américaine dans les années à venir ; ils doivent au contraire prendre des mesures dès maintenant pour renforcer et protéger leur position dans le monde.

L’Amérique change et la politique étrangère américaine change avec elle. Pour la plupart des États Membres de l’UE, l’alliance européenne avec les États-Unis a longtemps été l’élément central de leur politique étrangère et de sécurité. Toutefois, le tumulte de l’administration Trump et la révolution plus policée de la politique étrangère des premières années du mandat Biden ont démontré une chose : l’ancien monde façonné par l’Amérique – et l’ancien marché qu’elle a conclu avec l’Europe – vont peu à peu disparaitre. 

Pour les Européens, qui restent très dépendants des garanties de sécurité américaines, naviguer dans le monde turbulent de la politique intérieure et étrangère des États-Unis demeure une question existentielle. En conséquence, la crainte de l’arrivée au pouvoir d’un président républicain en 2025 est particulièrement élevée parmi les Européens. Le spectre du retour de Donald Trump est souvent brandi pour plaider en faveur d’une plus grande souveraineté stratégique de l’Europe. Face à cette crainte, il convient de se demander en quoi les différents candidats républicains à la présidence diffèrent dans leurs approches de politique étrangère. Les républicains définiront toujours leur politique en opposition à l’administration démocrate en place. Toutefois, cette politique variera aussi en fonction de la personne qui occupera la Maison Blanche ; les différences entre Donald Trump, Ron DeSantis, Nikki Haley ou Mike Pence auront toute leur importance.  

Nous pouvons nous attendre à une certaine continuité dans la politique étrangère des États-Unis, quel que soit le parti qui remportera l’élection présidentielle de 2024. La pression qu’exerce la base des deux partis en faveur des intérêts de la classe ouvrière a créé plusieurs chevauchements entre les positions des partis républicain et démocrate sur le commerce extérieur, la politique industrielle stratégique, la rivalité stratégique des États-Unis avec la Chine et les interventions à l’étranger. Pourtant, les lignes partisanes créent de nombreuses fractures entre les deux partis sur des questions importantes. Sur l’énergie et le climat, l’utilité des alliances et l’approche des institutions internationales, les positions républicaines et démocrates en matière de politique étrangère diffèrent considérablement. Un changement de leadership à la Maison Blanche entraînerait donc de profonds changements de politique. 

Les deux partis ont également de sérieuses divisions internes en matière de politique étrangère. À droite, l’aile trumpienne du parti républicain voit la guerre en Ukraine d’un œil totalement différent de celui de la plupart des chefs de file républicains du Congrès. À gauche, les législateurs progressistes ont vivement critiqué la militarisation de la politique étrangère, qui bénéficie d’un large soutien de la part des principaux dirigeants démocrates. Dans les deux partis, des « courants » de politique étrangère se sont formées et se livrent à des débats internes acharnés sur des approches politiques distinctes. La future politique étrangère des États-Unis dépendra largement du groupe qui l’emportera. 

Ce rapport explore les similitudes et les différences, au sein et entre les partis, sur les domaines de politique étrangère les plus importants qui affectent les relations de l’Amérique avec l’Europe.

Il propose également une série de recommandations pour permettre aux Européens de protéger leurs intérêts, indépendamment de la personne qui occupera le bureau ovale en janvier 2025 :  

  • Construire des coalitions sur le climat et tirer parti de la puissance commerciale européenne. Face à une administration républicaine, l’UE devrait augmenter le prix à payer en cas d’absence de coopération sur les objectifs climatiques de la part des États-Unis. La mise en place de coalitions autour du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’UE pourrait permettre d’inciter une administration républicaine à coopérer sur le sujet. Cela pourrait également passer par le renforcement de la coopération climatique avec des pays aux positions similaires (comme le Canada, le Japon et la Corée du Sud), ainsi qu’avec des pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil, qui représentent une part substantielle des émissions mondiales et du commerce mondial. Avec ces pays, l’UE pourrait former un « club climatique mondial » qui s’appuierait sur des incitations économiques et des réglementations telles que le CBAM pour contraindre les États-Unis à revenir à la coopération. Dans le même temps, l’UE pourrait engager de manière proactive les milieux d’affaires américains, les associations industrielles et les gouvernements des États afin de constituer une coalition de partisans des objectifs climatiques mondiaux et de mettre en évidence les avantages économiques de l’action en faveur du climat. L’objectif ultime serait, bien sûr, d’intégrer les États-Unis dans cette coalition pour le climat. Certains de nos collègues de l’ECFR ont expliqué plus en détail comment créer de telles coalitions. 
  • Développer une capacité de défense européenne plus autonome. Face à la guerre en Ukraine, aux défis sécuritaires au Moyen-Orient et au désengagement des États-Unis de certains théâtres d’opérations pour se concentrer sur la Chine, l’UE doit rapidement devenir un acteur souverain en matière de politique étrangère et de sécurité, capable d’agir de manière indépendante dans les domaines de la sécurité et de la défense – d’autant plus le cas si un candidat républicain remporte les élections. Le prochain président républicain considérera probablement que le niveau actuel de soutien à l’Ukraine est en conflit direct avec les priorités nationales ou avec l’objectif de dissuasion d’une invasion chinoise de Taïwan. Dans ce cas, il serait attendu des Européens qu’ils prennent l’initiative dans leur relation avec la Russie, et ils se retrouveraient seuls pour soutenir l’Ukraine. 
    Toutefois, si M. Biden était réélu, son administration souhaiterait réaliser le pivot vers l’Asie que la guerre en Ukraine a ralenti et pourrait être disposée à accepter une plus grande autonomie de l’Europe. M. Biden a fait valoir « l’importance d’une défense européenne plus forte et plus compétente » pour la sécurité transatlantique globale. Si les Européens devaient développer des capacités plus autonomes, M. Biden, soumis à une pression accrue au sein du parti démocrate, pourrait être enclin à les soutenir. 
    En tout état de cause, une Europe militairement dépendante sera plus vulnérable aux pressions américaines pour s’aligner sur les diktats américains dans d’autres domaines critiques. Notre collègue de l’ECFR, Camille Grand, a décrit comment poser les fondations de cette longue entreprise.  
  • Développer des capacités autonomes pour soutenir l’Ukraine dans la longue guerre. Cette entreprise doit permettre aux Européens de se prémunir contre une réduction du soutien américain à l’Ukraine. L’idée que les nations riches d’Europe ne peuvent pas prendre l’initiative de contrer une agression sur leur propre continent, alors que tous les membres de l’UE (à l’exception peut-être de la Hongrie) s’accordent à dire qu’un tel effort est nécessaire, démontre l’inadéquation stratégique de l’Europe. Certains des chercheurs de l’ECFR, dont l’un des auteurs du présent rapport, ont proposé un plan de soutien à l’Ukraine basé sur quatre éléments essentiels : une assistance militaire à long terme à travers un nouveau pacte de sécurité ; des garanties de sécurité dans le cas de potentielles escalades russes ; des efforts de sécurité économique en fournissant une assistance financière et en entamant le long processus de reconstruction dans le cadre d’un « partenariat pour l’élargissement » ; et des mesures de sécurité énergétique qui intégreraient plus étroitement l’Ukraine dans l’infrastructure énergétique de l’UE. L’UE, ses États membres et le Royaume-Uni devraient s’approprier ces mesures et travailler ensemble à leur réalisation. 
  • Gérer le désengagement américain au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les Européens devront également recoller les morceaux au Moyen-Orient à mesure que les États-Unis s’en retireront. Les États-Unis risquent de laisser derrière eux une région en proie à des conflits armés, à l’instabilité politique, à des États défaillants ou faibles et à des vagues de réfugiés cherchant refuge en Europe. Les Européens seront de plus en plus responsables de la protection de leurs intérêts fondamentaux dans cette région, qu’il s’agisse de la paix et de la sécurité, de la sécurité énergétique, des migrations ou de la lutte contre le terrorisme. Cela nécessitera une politique étrangère plus intégrée et coordonnée et des capacités militaires renforcées, ainsi qu’une approche plus stratégique pour traiter avec les puissances régionales qui se tournent de plus en plus vers la Chine et la Russie. Nos collègues de l’ECFR ont formulé quelques suggestions en faveur d’une stratégie européenne dans la région face au retrait des États-Unis, en expliquant comment les Européens peuvent y agir en tant que partenaires crédibles dans le domaine de la sécurité. 
  • Faire entendre sa voix dans la politique économique stratégique par le biais d’un OTAN géoéconomique. La rivalité entre les États-Unis et la Chine place les Européens dans une position difficile. Les États-Unis attendent de l’Europe qu’elle s’aligne sur ses entreprises géoéconomiques visant la Chine, qu’il s’agisse de contrôles des exportations, de filtrage des investissements ou de politique industrielle stratégique. Les récents débats sur la 5G et les subventions aux technologies vertes montrent que la lutte contre la Chine pénétrera la politique intérieure occidentale en profondeur et qu’elle placera un enjeu de sécurité sur des questions qui étaient jusqu’à présent d’ordre purement économique. En effet, la géoéconomie deviendra probablement le champ de bataille central dans la compétition à venir entre la Chine et l’Occident. Si les Européens souhaitent conserver une voix sur ces questions, ils auront besoin d’un forum au sein duquel les États-Unis et les Européens pourront examiner conjointement les implications géostratégiques de questions économiques comme la politique industrielle. Un « OTAN géoéconomique », comme l’a suggéré l’un des auteurs de cette publication et notre collègue de l’ECFR Jana Puglierin, permettrait aux partenaires transatlantiques de réfléchir stratégiquement aux questions géoéconomiques et de décider conjointement de la politique économique étrangère, au lieu que les Européens se contentent d’accepter les décisions des États-Unis.
  • Construire des coalitions multilatérales pour résoudre des problèmes concrets. Une administration républicaine sera probablement hostile à diverses institutions internationales importantes pour l’UE, notamment l’Organisation Mondiale du Commerce et la Banque Mondiale. Une seconde administration Biden adopterait une approche moins idéologique, mais exigerait néanmoins une action plus efficace de la part des institutions internationales comme prix de son soutien continu. Compte tenu de l’investissement de l’UE dans le système multilatéral, les Etats Membres doivent se préparer au pire et capitaliser sur les solutions les plus efficaces ; pour ce faire, ils devraient développer de nouvelles coalitions au sein des institutions internationales pouvant s’attaquer à des problèmes concrets qui importent à la fois aux Américains et aux Européens. Nos collègues de l’ECFR, Anthony Dworkin et Richard Gowan, ont proposé des solutions dans quatre domaines : le commerce international, les migrations, les droits humains et la réglementation multilatérale des nouvelles technologies. Ces coalitions incluraient généralement les États-Unis, mais pourraient dans certains cas devoir fonctionner sans leur participation. 

Aucune de ces mesures politiques n’est facile à mettre en place – elles supposent toutes d’âpres négociations européennes et des compromis douloureux. L’UE, comme la plupart des démocraties complexes, n’a jamais excellé dans la planification à long terme ou la couverture stratégique. Il semble donc que la réponse la plus probable à l’élection présidentielle américaine soit de s’inquiéter tranquillement et d’espérer bruyamment. Hélas, l’espoir n’est pas une stratégie. Les deux partis et les différents courants qui les composent posent des problèmes très clairs aux Européens. Ces derniers doivent se préparer au meilleur, comme au pire. 

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.