Une politique étrangère démocratisée.

Avec la crise des réfugiés, le temps est venu pour Berlin de pousser le public à s’engager davantage dans la politique étrangère.

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L’examen de 2014 de la politique étrangère allemande (Auswärtiges Amt) a eu un retentissement au-delà de Berlin, dans la communauté européenne et internationale des think-tanks. Dans le cours d’une seule année, le ministère s’est lancé à la recherche d’idées neuves sur le rôle de l’Allemagne dans le monde, l’environnement mondial en mutation, ainsi que les ressources et partenariats de sa politique étrangère. L’examen s’est également appuyé sur les opinions d’un public plus large, durant une série d’événements à travers toute l’Allemagne. En application des conclusions de l’examen, le ministère a décidé de renforcer ses capacités stratégiques et a adopté un certain nombre de changements organisationnels. Un autre point d’action, jusqu’ici largement négligé et qui découle du rapport publié en février 2015, concerne le peuple allemand lui-même et la façon dont il interagit avec la politique étrangère allemande.

Lorsque le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a présenté les résultats de l’examen plus tôt cette année, il a annoncé que le ministère prévoyait « une communication plus ouverte et étendue sur la politique étrangère de l’Allemagne ». « Le public allemand semble être intéressé par une discussion sur la politique étrangère », a déclaré Steinmeier, et « ceci est la raison pour laquelle, à l’avenir, nous voulons parler davantage de la politique étrangère, des responsabilités et des limites de la responsabilité de l’Allemagne »

Peut-être cela sonne-t-il comme une revendication arrogante et un ressassement des discours politiques habituels. «Inclure les gens » est un slogan qui marche généralement bien, et qui comporte habituellement peu de risques pour les responsables politiques. La politique étrangère ne compte presque jamais dans les élections, mais lorsque cela est le cas, elle peut changer la donne (comme il l’a été démontré par Gerhard Schröder qui a remporté les élections fédérales de 2002 en s’appuyant sur son « non » à la guerre en Irak).

 

Démocratiser la politique étrangère

Le ministère des Affaires étrangères prend-il vraiment au sérieux son engagement à démocratiser sa politique étrangère ? Il existe un intérêt certain pour un tel développement, mais il est également clair que la question est plus que de simplement avoir des diplomates qui se livreraient à des débats de politique étrangère. En fin de compte, le but est que les Allemands parlent de politique étrangère comme ils le feraient pour les affaires intérieures. Beaucoup de discussions ont eu lieu à propos des changements qui seraient nécessaires pour faire de ceci une réalité. Parmi les résultats : le renforcement de la communauté stratégique ; une expertise plus large et approfondie au Parlement, au sein de l’administration, des think-tanks et des universités ; des médias qui mettent l’accent sur des reportages sur les politiques étrangères plutôt que sur les pays étrangers, pour ne nommer que quelques-unes des recommandations formulées au cours des dernières années.

Ces débats ont été organisés pour une bonne raison et ont déjà eu un certain impact sur le discours de politique étrangère. Il y a également eu un certain nombre d’évènements liés à la politique étrangère qui ont inclus les Allemands, et qui sont devenus des moments-clés pour la définition de l’identité de la politique étrangère allemande. Les engagements militaires de l’Allemagne dans les Balkans occidentaux et en Afghanistan ont été des leçons douloureuses pour les décideurs politiques, les forces armées, et pour l’opinion publique allemande. A présent, avec la crise des réfugiés  en cours, nous vivons un autre moment décisif qui nous pousse à élargir l’objectif au-delà des frontières de notre propre pays.

La politique étrangère comme politique intérieure

Ces jours-ci, les Allemands ressentent clairement le lien entre ce qui les concerne à la maison et ce qu’ils voient aux informations, en particulier au Moyen-Orient. Tous les jours, des milliers de réfugiés à la recherche d’une vie meilleure font leur chemin vers toutes les régions de l’Allemagne. Alors que nombre d’Allemands sont prêts à aider et répondre aux besoins des nouveaux arrivants, d’autres ont commencé à demander combien allaient arriver au final. La plupart venant de la Syrie, pays déchiré par la guerre, il est clair que la réponse à cette question réside dans une solution au conflit dans cette partie du monde.

S’engager dans un débat public sur le lien entre le rôle que peut jouer l’Allemagne pour mettre fin à la guerre en Syrie et la gestion de la situation des réfugiés au niveau national sera rentable à moyen et à long terme, parce que cela peut aider à la création d’un consensus chez les Allemands sur la nécessité d’avoir une politique étrangère, de sécurité et de défense plus active. Un pays au cœur de l’Europe, dont l’économie dépend de son ambition mondiale, et qui encourage activement la collaboration avec les partenaires de l’Union Européenne (UE) et les organisations multilatérales, a besoin d’un peuple qui ait un esprit ouvert sur la place de l’Allemagne en Europe et dans le monde.

Il y a seulement quelques semaines, près d’un quart de million de personnes sont descendues dans les rues de Berlin pour contester le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP). Beaucoup d’entre eux avaient des arguments forts qui ont poussé les décideurs politiques à se questionner. Et si le TTIP échouait parce que les parlements, en réponse à la pression croissante de la part des électorats à travers l’Europe, lui donnent le baiser de la mort ? Et si le gouvernement allemand avait été plus proactif dans sa considération des coûts et des bénéfices du TTIP bien avant les négociations menées par la Commission européenne, et au-delà du cercle restreint des intervenants en Allemagne ? Il existe des raisons de croire que cela aurait pu empêcher les prises de bec actuelles à ce sujet. Les gens veulent avoir leur mot à dire sur les « grandes choses » qui les concernent, c’est-à-dire une vérité simple à la fois en politique intérieure et en politique étrangère (dont les frontières sont de plus en plus floues).

 

Solliciter l’opinion publique

Faire passer le message au public, expliquer et permettre la controverse sur des choix politiques est au final récompensé, car les citoyens finissent par ressentir qu’à bien des égards, la politique européenne et étrangère n’est pas quelque chose de distant, mais concerne la façon dont ils vivent dans leur propre pays. Et comme avec toute autre politique, cela concerne l’établissement de majorités de consensus, s’engager à faire des compromis, et souvent prendre des décisions difficiles. En étant inclus dans de telles conversations, les citoyens pourraient peut-être même trouver les questions les plus difficiles, telles que celles de la guerre et de la paix – comme le déploiement des troupes allemandes -, plus acceptables.

Il est important de se demander si une telle tentative de démocratisation de la politique étrangère donneraenvie aux Allemands de voir leur pays jouer un rôle plus important, avec une politique étrangère et de sécurité proactive, et une politique de défense si nécessaire.  Les Allemands vont-ils tourner le dos à l’idée d’une « grande Suisse » ? Il y a encore beaucoup de chemin à faire, mais avec la crise des réfugiés qui amène la politique étrangère allemande dans la sphère intérieure de l’Allemagne, le temps est venu pour Berlin de pousser le public à s’engager davantage dans la politique étrangère.

De toute évidence, cela est une tâche qui ne peut être accomplie par le gouvernement allemand seul. Ceux qui veulent que l’Allemagne joue un rôle plus important en politique étrangère et de sécurité devront démontrer eux-mêmes le désir d’amener le peuple allemand dans la conversation. A moyen et long terme, cela va élargir le champ de manœuvre de tout gouvernement élu à Berlin. Les partenaires européens et internationaux fatigués que les décideurs et législateurs politiques allemands pointent du doigt la portée limitée de l’action de leur pays « parce que les Allemands n’en veulent pas » devront adopter une telle approche. Et tous ceux qui sont intéressés par une politique étrangère allemande forte et européanisée devront amplifier le message européen en toute sensibilité.

A la suite de l’examen de 2014 de la politique étrangère, il est temps de demander des comptes au gouvernement allemand au sujet du message d’une politique étrangère démocratisée, et de s’assurer que ce but ne soit pas perdu de vue, lorsque la diplomatie allemande retournera à ses activités habituelles. Il ne fait aucun doute qu’inclure le peuple influera certains résultats politiques, parfois d’une façon qui ne rendra pas le gouvernement heureux. Mais en fin de compte, cela rendra la politique étrangère allemand plus forte – ce qui est non seulement dans l’intérêt de l’Allemagne, mais également de ses partenaires de l’Union européenne.  

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