Une leçon française à la politique extérieure européenne

L'UE a besoin d'une ligne de politique étrangère claire alors que Federica Mogherini se prépare à prendre ses fonctions de Haute Représentante.

Il y a cent ans, deux mois après le début de la Grande guerre, alors que les forces françaises bataillaient pour bloquer la route vers Paris, le Général Ferdinand Foch signala à son commandant « mon centre cède du terrain, ma droite bat en retraite, la situation est excellente, j’attaque ».

Voici une réponse que Federica Mogherini, aujourd’hui ministre des affaires étrangères italienne, mais nommée par les leaders dirigeants européens comme nouvelle chef de la politique extérieure de l’UE, pourrait vouloir considérer, lorsqu’elle envisage les tâches qui l’attendent. Comme elle l’a dit elle-même : « je sais que les défis sont énormes, en particulier en ces temps de crise ». Comme si ce n’était pas assez de faire face à l’Ukraine et à une grande partie du Moyen Orient en flammes, Mme Mogherini devra affronter deux défis encore plus fondamentaux.

Sur tous les indices de puissance l’Europe est sur une pente descendante et devrait continuer sur cette voie.

Le premier est simplement l’érosion rapide de la puissance et de l’influence de l’Europe dans le monde. La dernière décennie fut celle de changements mondiaux sans précédent. L’hégémonie occidentale est terminée, le PIB de la Chine est sur le point de surpasser celui des Etats Unis, qui renoncent à leur rôle de gendarme du monde ; la conception occidentale de l’ordre mondial est sans cesse remise en cause, en particulier par la Russie mais aussi par les puissances émergentes comme l’Inde ou le Brésil. Sur tous les indices de puissance – économie, démographie, poids militaire – l’Europe est sur une pente descendante et devrait continuer sur cette voie ; d’ici 2030 seulement 6 personnes sur 100 dans le monde seront européennes.

 La place de l’Europe dans le monde

Un tel changement est la conséquence inévitable de la mondialisation ; et elle a plusieurs aspects intéressants, telle que le recul de la pauvreté dans le monde. Mais cela signifie que l’Europe vieillissante et aux ressources limitées devra se défendre bien plus durement dans les années à venir pour protéger la prospérité et la sécurité des générations futures. Elle devra conjuguer ses efforts et ses ressources de façon plus efficace pour conserver une certaine capacité à influer sur le reste du monde.

La présomption en faveur de réponses européennes communes aux défis extérieurs, largement partagée il y a une dizaine d’années, n’existe plus.

Ce qui mène au second défi sous-jacent – le fait qu’une Union Européenne qui doit aujourd’hui montrer un front de plus en plus uni au monde extérieur semble en fait suivre la direction opposée. La crise économique et financière, avec l’introspection, la défense, et les ressentiments mutuels qu’elle a engendrés en est la cause principale.  Mais en conséquence, la présomption en faveur de réponses européennes communes aux défis extérieurs, largement partagée il y a une dizaine d’années, n’existe plus; sauf lorsque les crises les force à travailler ensemble, les Etats membres préfèrent suivre leurs agendas nationaux. Aucun des « trois grands » – la France, l’Allemagne et la Grande Bretagne – ne peut, pour des raisons différentes, invoquer une action européenne.

Bruxelles dans le déni ?

Cette analyse montre l’étendu du travail qu’il reste à accomplir pour remettre la politique étrangère de l’Union sur une voie plus réaliste.

Pour aggraver les choses, la bulle bruxelloise dans laquelle Mme Mogherini va entrer est largement dans le déni. Le discours de politique étrangère reste dominé par des concepts complaisants tels que « le voisinage de l’Europe » – qui s’est avéré hors du contrôle européen – et les « partenariats stratégiques », une étiquette confortablement placée sur les relations avec n’importe quel Etat trop grand pour être ignoré au-delà du « voisinage », y compris la Russie de Vladimir Poutine. La fameuse « approche globale » à l’égard des régions en crise telles que le Sahel sont devenues une excuse pour offrir de l’aide et des conseils, en évitant un engagement militaire. Cette analyse que j’ai co-écrit montre, à grand renfort de détails déprimants, l’étendu du travail qu’il reste à accomplir pour remettre la politique étrangère de l’Union sur un chemin plus réaliste.

Heureusement, la nouvelle Haute représentante a la jeunesse pour elle, ainsi qu’une grande conviction européenne. Pour réussir, elle aura également besoin de chance, de détermination et d’un plus grand soutien – de la part des Etats membres, du Président de la Commission européenne et des autres institutions européennes – que celui sur lequel son prédécesseur a pu compter. Néanmoins, elle commencera à travailler avec les vœux de succès de tous ceux qui, comme le disait le slogan du gouvernement britannique pour le referendum écossais, pensent que lorsqu’il s’agit de gérer le monde extérieur, les Européens sont « plus forts ensemble ». Et, si elle est prête à prendre le risque, l’exemple du Général Foch devrait l’y encourager.

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