Tourner la page: l’Allemagne à la pointe de la continuité

La prochaine campagne électorale allemande sera la dernière de la sorte -la page finale du premier chapitre de l'histoire de la République de Berlin. 

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La prochaine campagne électorale allemande sera la dernière de la sorte – la page finale du premier chapitre de l'histoire de la République de Berlin. 

 

La politique allemande semble plutôt exceptionnelle, pour ne pas dire ennuyeuse, si on la compare à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Son degré de stabilité et de continuité rassure ceux qui voient le désordre partout ailleurs. Et ce n’est pas juste un mythe – l’Allemagne est réellement différente. Même l’Union chrétienne-sociale bavaroise – le versant conservateur de l’Union Chrétienne Démocrate –  ne cherche pas à changer l’histoire du pays comme l’ont fait les pro-Brexit au Royaume-Uni. Bien sûr, comme beaucoup d’autres pays, l’Allemagne a un parti populiste, anti-immigration et nationaliste, l’Alternative pour l'Allemagne (AfD), mais celui-ci peine à mobiliser et à se faire entendre dans le débat national à l’instar des partis semblables aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en France. Les électeurs allemands semblent ainsi toujours percevoir la politique comme quelque-chose de sérieux, même si l’Allemagne n’est pas exemptée de la crise de confiance des citoyens envers leurs représentants qui sévit partout ailleurs.

L’exception allemande ne s’exprime pas seulement à travers son opinion publique. Contrairement aux autres grands pays de l’Union européenne (UE) ou aux Etats-Unis, l’Allemagne a un parti écologiste important. Depuis leur entrée au Bundestag en 1983, le parti a alimenté le débat et le discours sur la durabilité écologique, et ce malgré la forte tradition industrielle du pays. Les deux partis principaux d’Allemagne –  Les Démocrates Chrétiens (CDU/CSU) et Le Parti social-démocrate (SPD) – sont tous deux engagés à faire la promotion d’une économie sociale de marché fondée sur le consensus et l’intégration. Les clivages idéologiques qui faisaient rage dans les années 1970 ont été largement atténués, une tendance inverse à la polarisation grandissante que les Allemands ont pu observer de l’autre côté de l’Atlantique depuis une quarantaine d’années.

Les populations à travers l’Europe, que ce soit en Pologne, au Royaume-Uni, ou même en France, ont tendance à voter en faveur d’un changement distinct d’orientation politique, tandis que l’électorat allemand semble préférer la continuité et la prévisibilité. Ce pays n’a pas besoin, ni ne souhaite, une refonte du système semblable à celle qui donne tant de fil à retordre à Matteo Renzi en Italie ; il n’est pas non plus intéressé par une « révolution culturelle » comme celle entamée par le gouvernement Droit et Justice en Pologne ; et il n’est pas non plus naïf au point de croire que l’UE incarnerait à la solution à toutes les crises du moment. L’élite politique allemande est beaucoup plus ancrée dans la réalité sociale que celle en France, et le pays n’est certainement pas intéressé par l’idée de « rendre sa grandeur à l’Allemagne» – pour paraphraser le slogan de Donald Trump.

Cela est dû en partie à la santé économique, politique et sociale du pays dans un environnement international incertain. De bien des manières, l’Allemagne est la solution aux problèmes de l’Europe – ce qui constitue un véritable problème en soi.  Au soulagement de tous, les Allemands se sont focalisés sur leur politique intérieure à la suite de l’unification de 1990, après des années passées sur le front entre les deux blocs rivaux durant la Guerre Froide. De nos jours, la majorité de la population ne réalise pas que Berlin a tendance à fonctionner de manière individuelle, sans chercher à créer un consensus européen autour de ses préférences. Ceux qui en sont conscients défendront cette tendance comme la meilleure façon pour aller de l’avant. Mais, en même temps, le public et les élites rechignent à assumer leur rôle officieux de leadership, à cause des coûts en matière politique et fiscale, mais également à cause des risques associés avec la responsabilité de diriger – et enfin à cause de la couverture médiatique et du ressentiment que le pays susciterait. En effet, l’Europe se voit privée à la fois d’une bienveillante Allemagne-Europe ainsi que d’une Allemagne européenne.

C’est sur ce fond-ci que les partis politiques allemands se préparent aux élections fédérales de septembre 2017. La chancelière Angela Merkel a récemment annoncé sa candidature pour un quatrième mandat. Elle est le symbole de la continuité et de la prévisibilité, et personne en Europe à l’exception de Vladimir Poutine n’affiche une présidence aussi longue qu’elle. Sa campagne sera centrée autour de la question de la confiance. A l’inverse de sa campagne de 2012, elle n’essayera pas de démobiliser l’électorat car celui-ci s’avère déjà très alarmé par les changements qui s’opère tout autour du pays. Merkel tentera de d’utiliser ces changements et ce climat d’incertitude pour se présenter, ainsi que son parti, comme une gardienne responsable. Son équipe gouvernementale est fatiguée et mise à rude épreuve. Wolfgang Schäuble, le ministre des finances et figure emblématique du cabinet de la chancelière, sera de nouveau candidat en 2017 à l’âge de 75 ans. De plus, Merkel a réussi à apporter plus de diversité dans son cabinet que l’ensemble de ses prédécesseurs. Si quelqu’un peut revendiquer pouvoir mener une grande coalition ou une coalition de partis, c’est bien elle.

La politique intérieure sera au cœur de la campagne. La prochaine vague d’innovations dans l’industrie, les perspectives d’emploi, la cohésion sociale, l’immigration, et la sécurité en ces temps de désordre, seront à l’agenda. La chancelière ne voudra pas lancer un débat de fond sur l’Europe et le rôle de l’Allemagne dans l’Union, mais étant donné que les sujets cités ci-dessus sont en partis influencés par les développements au niveau européen et international, il y a fort à parier que ces thèmes s’immisceront dans la campagne. Mais cette fois-ci, la manière dont elle présentera le contexte européen et international constituera un véritable enjeu. Les partis marginaux de droite et de gauche – La Gauche ou l’AfD – tenteront d’exacerber les sentiments anti-internationalistes et anti-interdépendance dans la population.   Et le défi posé par les partenaires de la coalition de Merkel – les sociaux-démocrates – pourrait devenir de plus en plus sérieux au fur et à mesure que les élections se rapprochent.

En ces débuts de campagne électorale, la stratégie des sociaux-démocrates pour contrer l’ouverture prônée par Merkel parait être basée sur une division des tâches entre trois acteurs principaux et sur l’attaque du bilan de la chancelière. Premièrement, l’actuel ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a été choisi pour devenir le président fédéral le 12 février 2017. Cette nomination est le résultat d’un accord entre les différents partenaires de la coalition – une victoire stratégique primordiale pour le président du SPD, Sigmar Gabriel, rendue possible par l’impossibilité de Merkel de trouver elle-même un candidat approprié. Steinmeier est le politique le plus populaire du pays, à la stature et au caractère présidentiel, et un social-démocrate convaincu. Il sera le symbole de la responsabilité et de la fiabilité aux yeux du public, quelqu’un dont les valeurs transcendent le brouhaha des politiques électorales.

Deuxièmement, aux Affaires étrangères, Martin Schulz succédera à Steinmeier, le tout aussi franc et éloquent président du Parlement européen, dont le mandat à Bruxelles prend fin en janvier. N’ayant jamais occupé un poste officiel en Allemagne mis à part au niveau local, Schulz incarne une forme  de renouveau dans la politique allemande. Bien sûr, il reste bien connu du grand public grâce au duel du « Spitzenkandidaten » qu’il a disputé avec Jean-Claude Juncker lors de la campagne pour la présidence du parlement européen en 2014. Schulz est la voix la plus crédible du SPD sur l’Europe, et il est mieux placé que quiconque pour tenir tête à Merkel sur sa politique européenne. Son éloquence naturelle, son caractère authentique et humble le met sur le même pied d’égalité que la chancelière elle-même. Parallèlement, la nomination de Schulz comme ministre des Affaires étrangères permettrait de donner un rôle plus important au sociaux-démocrates sur les questions européennes. Steinmeier ne s’était pas fait prier pour laisser cette question aux mains de la chancelière, mettant fin à la tradition de partenariat entre eux deux sur les affaires européennes. De plus, Schulz n’aurait pas à porter le fardeau du bilan des précédents gouvernements mais bénéficierait de la visibilité et des moyens de sa fonction. Il pourrait même incarner le meilleur espoir pour le SPD de d’obtenir le meilleur score face à Merkel dans la course à la chancellerie.

D’un autre côté, il y a un troisième joueur, Sigmar Gabriel, l’actuelle vice-chancelier, ministre de l’Economie et président des sociaux-démocrates. Avec Steinmeier et Schulz, il pourrait décider de quitter le gouvernement et de se libérer de la discipline du cabinet. Gabriel pourrait se hisser à la tête de la fraction de son parti au parlement. Ce rôle lui confèrerait plus de liberté politique et de discours. Gabriel serait libre de faire ce qu’il veut :  mener des attaques depuis la ligne de touche, mobiliser le public et se présenter comme le candidat du changement tout en ayant Steinmeier et Schulz à ses côtés pour faire preuve de responsabilité et de compétence. Si Merkel fait l’effet d’un valium sur la population allemande, Gabriel souhaite devenir sa caféine. La question reste : va-t-il être le candidat de son parti ou va-t-il laisser la place à quelqu’un d’autre, Schulz ou le maire d’Hambourg Olaf Scholz ? Dans la logique des partis politiques allemands, cela conduirait inévitablement à sa résignation de la tête du parti, donc Gabriel aurait tout intérêt à tenter le tout pour le tout dans la prochaine campagne.

A la fin, la probabilité qu’un social-démocrate occupe la chancellerie reste infime.  Le prochain parlement sera probablement composé de sept partis, avec le CDU et le CSU à la tête des deux plus grandes factions. Les deux partis conservateurs s’uniront pour former une faction de taille à empêcher le premier ministre bavarois Horst Seehofer de rejoindre le gouvernement ainsi qu’à faire passer des quotas d’immigration. Il est peu probable que le SPD, les Verts, et La Gauche obtiennent une majorité dans le parlement comme c’est le cas actuellement. Merkel peut aussi peut-être envisager de former une coalition avec les Verts et les libéraux afin d’accéder à la chancellerie. Les experts peuvent se lancer dans des débats sur les raisons qui poussent les Allemands à détester les gouvernements de minorité, mais une grande coalition verra probablement le jour sous le commandement de Merkel, une à laquelle Sigmar Gabriel ne souhaiterait pas participer et où Martin Schulz représenterait le SPD pendant les dernières années de Merkel à la tête de la plus petite « grande coalition » que la République Fédérale ait jamais connue.

Et tout ceci sera de l’histoire passée en 2021, voire même en 2020, quand cette coalition prendra fin, et une nouvelle génération se lancera à la recherche d’une nouvelle majorité. En ce sens, la prochaine campagne électorale sera la dernière de la sorte – la page finale du premier chapitre de l’histoire de la République de Berlin. 

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