Syrie : Les Etats-Unis et la Russie vont-ils entrer en guerre ?

La bonne nouvelle est que ni Washington, ni Moscou ne pensent tirer parti d’un conflit en Syrie. La mauvaise est qu’il pourrait y avoir une escalade dans la confrontation.

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La bonne nouvelle est que ni Washington, ni Moscou ne pensent tirer parti d’un conflit en Syrie. La mauvaise est qu’il pourrait y avoir une escalade dans la confrontation.

Les experts continuent d’affirmer que ni la Russie ni les Etats-Unis n’ont l’intention de se déclarer la guerre en raison de la situation en Syrie. Et en même temps, ils n’écartent pas le risque d’une intensification accidentelle des tensions conduisant les deux camps à recourir aux armes. Cette mise en garde est d’autant plus préoccupante qu’il s’agirait d’une guerre entre deux puissances nucléaires, aux dirigeants aussi imprudents qu’imprévisibles. Dès lors, quelles sont les chances d’une guerre entre la Russie et les Etats-Unis ?

La réponse repose sur les perceptions respectives de Washington et Moscou. Si les deux parties comprennent leurs signaux respectifs, ils éviteront une escalade malencontreuse. Dans le cas contraire … cela ne présagerait rien de bon.

Vu de Washington

La perception de Washington au sujet de la Russie a certainement évolué durant cette année, depuis la dernière fois que les Etats-Unis ont menacé le régime d’Assad de frappes aériennes. Le président Donald Trump, qui n’avait alors jamais critiqué directement le président russe, l’a attaqué sur son soutien à Assad, le Gas Killing Animal”. Cette attaque directe à l’encontre de Poutine a été accueillie par des démonstrations de force et la mise en garde d’un potentiel conflit.

Cette compétition machiste entre présidents fait monter la température dans le contexte déjà tendu des relations américano-russes. Les décideurs de Washington comprennent que si les attaques menées par les Américains entrainent des pertes russes, ceci aura l’effet de creuser les tensions et, peut-être, de pousser les Russes à répondre. 

Mais tout n’est pas déterminé. Même si les Américains fustigent Moscou d’avoir permis les pires comportements du régime d’Assad, ils espèrent éviter une confrontation avec la Russie et réduire les risques à travers une désescalade militaire et d’autres messages similaires. En effet, l’étonnant tweet de D. Trump à propos d’une prochaine attaque de missile peut être lu comme un avertissement pour libérer la voie.

L’administration de Trump considère l’Iran, non la Russie, comme la principale menace au Moyen-Orient. Elle estime que la Russie est relativement flexible concernant le résultat en Syrie et partage l’inquiétude de Washington sur l’influence croissante de l’Iran dans cette zone. Selon la perception des Etats-Unis, la Russie reste l’alternative « la moins pire » parmi les alliés du régime et dispose de suffisamment de levier pour influencer le régime, le cas échéant.

Un président américain à la fois impatient de retirer ses troupes de Syrie et résolu à empêcher que l’Iran ne gagne de terrain doit entamer le dialogue avec la Russie sur l’avenir de la Syrie. Le problème de Trump est que, compte tenu de sa rhétorique passée, l’utilisation brutale d’armes chimiques de la part du régime d'Assad exige une réaction de la part des Etats-Unis. Il peut espérer que ce moment et la transgression du régime lui permette de pousser la Russie vers une coordination plus constructive.

La moindre des choses serait, Trump l’espère, comme il l’a fait l’an passé, de faire preuve de la volonté de punir Assad sans se mettre les Russes à dos.

Vu de Moscou

Il y a un an, Moscou a fait preuve d’une remarquable modération lorsque la nouvelle administration Trump a attaqué une base syrienne. Mais beaucoup de choses ont changé depuis. Cette semaine, un sentiment d'inquiétude et de résignation s’est emparé des milieux de la recherche. Les experts russes ont parlé d'un potentiel affrontement 'cinétique' avec les Etats-Unis en Syrie, pendant que les journalistes russes les interrogeaient sans cesse sur la possibilité d'une Troisième guerre mondiale.

Si ces récits semblent excessivement apocalyptiques, il y a tout de même raison de s'inquiéter. Les experts russes ont perçu la frappe militaire de l'an passé comme l'action punitive isolée d'un président fraichement élu en réponse à une attaque chimique isolée. Cette fois, l'attaque militaire se a eu lieu au milieu de nombreux développements et Moscou sera tenté de considérer les actions américaines en Syrie comme faisant partie d'une large coordination occidentale contre la Russie. 

L'année passée, Moscou considérait l'administration Trump comme une amie et potentielle alliée. Poutine pourrait encore avoir un faible pour Trump – qu'il n'attaque jamais directement – mais désormais le Kremlin voit ses relations avec les Etats-Unis comme conflictuelles.  

De façon plus générale, la tentative d'assassinat de Sergei Skripal à Salisbury et la conséquente expulsion massive des diplomates russes a ébranlé les relations avec l'Occident. La perception de la même affaire à Moscou est fortement inhabituelle. Après avoir commandité des crimes – le MH17 abattu – les média et les diplomates russes se sont empressés de brouiller les pistes et d’inventer des théories alternatives. Mais les experts avaient toujours calmement reconnu la responsabilité. Cette fois ci, la situation est différente. En effet, ceux qui considèrent l'affaire de Salisbury comme une opération montée pour discréditer la Russie sont nombreux. Ceux qui ne croient pas en cette théorie manquent simplement d'explications alternatives. 

Ces évènements, et l'interprétation qu'en fait Moscou, auront un impact sur la Syrie. À l'Ouest, l'affaire Skripal et l'attaque chimique en Syrie sont deux épisodes bien distincts. Pour un amateur de théories du complot, ils sont liés : le ministre des Affaires étrangères a déjà laissé entendre que la tentative d'assassinat de Skripal était une opération montée pour jeter le discrédit sur la politique russe en Syrie. Il y a tout juste un mois, le chef d'état-major des armées, Valery Gerasimov, avait prévu qu'une telle opération serait bientôt le prétexte d'une attaque américaine sur Damas. A la même occasion, il avait prévenu que la Russie répondrait « à la fois aux missiles et à leurs vecteurs ».

À Moscou, certains perçoivent cette situation comme un large complot occidental contre la Russie, provenant de Trump ou de ses conseillers bellicistes et alliés de l’ « État profond ». Si le Kremlin partage ce point de vue, il va renforcer la défense de son vassal indiscipliné, Bachar el-Assad, malgré la frustration causée par son comportement. Comme à Washington, les conseillers vont dire au président que ce comportement ne s’arrêtera pas à moins que l'opposant ne comprenne qu'il est inacceptable. Mais si le Kremlin sait que la Russie a commis une erreur et qu'Assad s’est mal conduit, il est possible qu'il adopte une vision plus modérée. 

Ainsi, le sentiment général à Moscou est celui du souci et de la frustration, mais pas de l'agressivité. « Les choses se sont accumulées en créant l'impression que n'importe quelle action que nous tentons avec l'Ouest, ce sera toujours vain », nous dit un expert. Cette frustration n'encourage pas un affrontement militaire direct en Syrie, mais la tension est de plus en plus évidente.

Bataille de malentendus

L'administration Trump pense que Moscou comprend sa volonté de collaborer avec la Russie sur le cas syrien, malgré l'ingérence russe dans les élections américaines et la ferveur antirusse qui déferle sur Washington. Cependant, Moscou voit une conspiration occidentale croissante, avec de sales tours, pour contrecarrer le renouveau d'efforts et d'influence globale – et pourrait aussi supposer que l'Ouest soit en train de mettre à l'épreuve le rôle de la Russie en Syrie. 

La bonne nouvelle est que ni Washington, ni Moscou ne pensent tirer parti d’un conflit. La mauvaise est que les Etats-Unis pensent pouvoir attaquer la Syrie à nouveau sans que cela n’affecte ses relations avec la Russie, ni ne menace les intérêts géopolitiques de cette dernière. Cependant, voyant que ses autres intérêts sont déjà menacés, la Russie pourrait manquer de voir la Syrie comme une question à part entière. 

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