Sommet intercoréen : la paix n’est pas encore « à portée de main »

Par-delà le soulagement de l’opinion sud-coréenne, bien compréhensible au vu des perspectives de conflit armé durant l’année écoulée, la Corée du Nord devra démontrer dans les faits son engagement dans la dénucléarisation.

Voilà seulement deux mois, un conflit majeur paraissait possible en Corée. Aujourd’hui, la paix peut sembler à portée de main. L’emballement médiatique fait le reste : pour la seconde fois en un mois, Kim Jong-un s’est livré à une extraordinaire chorégraphie. Mais si lors de sa visite à Pékin, fin mars, la Chine tenait en main la caméra, à Panmunjon la scène a été minutieusement négociée entre les deux parties.

La décoration patriotique (non seulement le mont Kumgang, mais aussi les îlots Dokdo, disputés par la Corée du Sud avec le Japon, y figurent), le menu (Kim plaisantant sur les nouilles « apportées de Pyongyang », un contre-pied à l’aide alimentaire souvent accordée par le Sud) sont calculés pour toucher l’opinion sud-coréenne.

Le président Moon Jae-in, négligé par la Corée du Nord pendant une année entière, en tire un bénéfice politique énorme, deux mois avant des élections législatives. Qui serait contre la paix ? Les Nord-Coréens auraient plus de mal à se prononcer. La tenue du sommet ne leur a pas été révélée pour l’instant, tout comme de nombreux aspects du voyage en Chine n’ont pas été diffusés.

Perche tendue aux Etats-Unis

La paix, le renoncement à toute agression, et même la dénucléarisation, tout cela a déjà fait l’objet de plusieurs engagements entre les deux Corées depuis 2001. Certains propos de Kim Jong-un sont des redites. La promesse, sur le ton de l’humour badin, de ne plus déranger au petit matin avec des tirs de missiles, avait déjà été faite par son père Kim Jong-il au président Roh Moo-hyun en 2007…

C’est sur des détails concrets qu’il faut évaluer les avancées du sommet de 2018 : engagement à éviter les incidents en mer Jaune pour les deux parties, fin de la propagande par haut-parleurs de la Corée du Sud dans la zone démilitarisée. Surtout, le président Moon affirme le caractère positif de la proposition de dénucléarisation du Nord : mais on ne sait rien de son contenu à ce jour.

Rien n’est irréversible dans cette déclaration « historique ». Mais certains éléments interpellent. La déclaration s’engage à mettre en pratique « tous les accords et engagements antérieurs » : c’est au moins les reconnaître et non les déclarer caducs. Elle promet un dialogue à trois, avec les Etats-Unis ; ou peut-être à quatre, en incluant la Chine ! Que Kim Jong-un ait ratifié la première hypothèse, un mois après sa visite à Pékin, en dit long sur son éloignement réel de la Chine. Ici, la perche est directement tendue à Donald Trump, et on peut penser que l’audace de Kim Jong-un est très grande sur ce point.

Une Chine qui compte

Mais tous les tweets de Donald Trump ne sont pas impulsifs. Quelques minutes après la publication de la déclaration intercoréenne, le président américain demandait « qu’on n’oublie pas la grande aide que mon bon ami, le président Xi, a apportée ». D’ailleurs, si l’on veut signer la paix avant la fin de l’année, comme l’évoque la déclaration, il faut compter avec la Chine : c’est elle, et la Corée du Nord, qui sont signataires de l’armistice de 1953, dont la Corée du Sud n’était pas partie prenante.

En clair, si la déclaration a le mérite d’annoncer des mesures réduisant le risque d’incidents locaux entre les deux Corées, elle ne résout pas l’essentiel. Si Donald Trump rappelle aussitôt le rôle de la Chine, c’est parce que la recherche de la stabilité prime sur une paix purement déclarative. Et cette stabilité nécessite une dénucléarisation vérifiée. Le reste est de l’accompagnement. La poursuite de la contribution chinoise aux sanctions internationales est indispensable. Le resserrement tant attendu des sanctions par la Chine est sans doute l’élément qui a ramené Kim Jong-un vers la table des négociations.

Moratoire

La partie commence seulement. L’engagement nord-coréen d’arrêter les essais nucléaires et les tirs de missiles n’est encore qu’un moratoire sous un autre nom. Toutes les expériences précédentes ont montré que les accords par étapes tombaient très rapidement. Or c’est ce que propose pour l’instant Kim Jong-un, alors que les Etats-Unis veulent un résultat tangible dans la foulée du sommet : autrement dit, le démantèlement vérifié d’ogives ou de missiles.

Par-delà le soulagement de l’opinion sud-coréenne, bien compréhensible au vu des perspectives de conflit armé durant l’année écoulée, la Corée du Nord devra démontrer dans les faits son engagement dans la dénucléarisation. Certes, l’effort international à accomplir sera alors énorme. Le démantèlement d’une force nucléaire et balistique en place est une opération lourde. Et il est évident que la Corée du Nord doit pouvoir toucher des dividendes économiques importants de son renoncement. Mais, au vu des fausses solutions négociées depuis 1991, c’est bien à celle-ci d’accomplir les premiers pas concrets.

Cet article a d'abord été publié dans Le Monde le 28 avril.

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