Russie en Syrie : contre-attaquer aux Nations Unies

Les gouvernements européens – en particulier la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne – ne peuvent pas laisser la diplomatie onusienne faiblir.

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L’ONU peut-elle jouer un rôle dans la prochaine phase du conflit en Syrie ? Il est difficile d’être optimiste sur les perspectives pour les Nations Unies. Le mois dernier, on pouvait croire que le président Poutine mettrait à profit sa prestation très attendue devant l’Assemblée générale pour présenter un nouveau plan de paix. Il a sans équivoque dissipé ces espoirs avec un discours qui s’est concentré sur le rôle négatif joué par l’Amérique à travers le monde. Deux jours plus tard, l’aviation russe menait ses premières frappes contre des cibles en Syrie. Poutine faisait ainsi étalage de sa capacité à influencer les échanges politiques aux Nations Unies et de son mépris pour l’institution.

Il est généralement admis que ce sont désormais les événements sur le champ de bataille qui pèseront sur la diplomatie onusienne plutôt que l’inverse. Les responsables américains et européens espèrent sans doute que les Russes veuillent éviter de se retrouver enlisés dans un bourbier militaire, et que Moscou soit amenée à revenir aux Nations Unies. Mais tant que la campagne russe est un succès, Poutine aura l’avantage pour définir les termes d’un accord de paix. Les responsables de l’ONU ont contribué à forger les termes qui ont présidé au retrait russe d’Afghanistan à la fin des années 1980. Peut-être joueront-ils in fine un rôle similaire dans le cas de la Syrie.

En tout état de cause, pour le moment, l’ONU est une nouvelle fois sur la touche. Son envoyé pour la Syrie Stefan di Mistura a mis en place une série de groupes de travail pour évoquer différents volets d’un règlement, comme les aspects militaires et la reconstruction. Bien que le Conseil de sécurité ait appuyé ce processus en août dernier, la Coalition nationale syrienne a déclaré qu’elle boycotterait ces discussions en réponse à « l’agression russe ». De fait, la stratégie d’Assad et, désormais, de Poutine, semble destinée à supprimer toute partie tierce entre le régime syrien et Daech. Mais l’existence d’une telle partie tierce est la clé de toute solution politique. De Mistura s’est démené pour identifier une voie qui permette de sortir de la crise, et son dernier plan semble à nouveau plombé.

Le mieux que le diplomate et son patron, le Secrétaire général Ban Ki-moon, puissent faire désormais, est de prendre du recul et d’attendre une nouvelle ouverture stratégique. Ban doit en outre assumer la tâche ingrate de trouver l’argent pour financer les efforts humanitaires moribonds des Nations Unies au Moyen-Orient. Mais les gouvernements européens – en particulier la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne – ne peuvent pas laisser la diplomatie onusienne faiblir. Cela ne ferait que confirmer qu’à la suite de sa surprise de septembre, Poutine s’est assuré le contrôle des termes de la discussion politique sur la Syrie.

Pour l’essentiel, la Russie considère les Européens comme puissance négligeable sur le dossier syrien. Sa priorité va à négocier directement avec les Etats-Unis, aux Nations Unies et en dehors. Les principaux Etats-membres de l’UE restent pour leur part divisés sur la meilleure manière de gérer la crise. L’Allemagne semble de plus en plus tentée de soutenir une négociation avec le président Assad selon les termes fixés par la Russie, si c’est le prix à payer pour maîtriser la crise des réfugiés. La Chancelière Merkel a poussé les feux en ce sens avant l’Assemblée générale des Nations Unies, accréditant l’idée poussée par Poutine selon laquelle Moscou est indispensable, jusqu’à ce que les frappes de Poutine la conduisent à davantage de prudence. Le Royaume-Uni et la France plus encore ont conservé une ligne plus stricte. Le résultat final est que, comme trop souvent, il n’existe pas de véritable position européenne sur cette crise. Les divisions internes de l’UE sur les réfugiés ne font qu’exacerber cet état de fait.

Les dirigeants européens doivent trouver un moyen de mettre le président Poutine sur le reculoir diplomatique, et de démontrer qu’ils ont toujours leur place dans les discussions sur la Syrie. Au vu de leurs options politiques et militaires limitées, l’ONU reste sans doute le meilleur endroit pour qu’ils prennent l’initiative.

En dépit de ses succès récents, Poutine est vulnérable sur le terrain diplomatique à New York. Son intervention dédaigneuse à l’Assemblée générale, dans laquelle il a répété que la Russie avait le droit et l’intention de recourir au veto au Conseil de sécurité pour maîtriser l’ONU, n’avait pas vocation à lui rallier de nombreux soutiens parmi les autres dirigeants. A l’inverse, le dirigeant chinois Xi Jinping a montré comment gagner les cœurs et les esprits à New York en annonçant des contributions généreuses en troupes et en ressources financières pour les opérations de paix de l’ONU. Ces deux dernières années, la France a mis à profit le mécontentement répandu devant le comportement russe pour mener une campagne afin d’encadrer le recours au veto dans des situations d’atrocités de masse. Une initiative humanitaire comparable, qui se concentrerait plus directement sur la Syrie, serait utile dans les circonstances actuelles.

Le Royaume-Uni et la France pourraient ainsi présenter un projet de résolution rappelant les responsabilités de tous les acteurs extérieurs engagés militairement en Syrie afin de limiter les victimes civiles, et imposer aux parties syriennes de faire de même, en gardant à l’esprit l’effrayant recours par Assad aux barils d’explosif. Ceci ne constituerait, en fait, qu’un simple rappel du droit international humanitaire. Mais la résolution pourrait aussi appeler les Etats engagés en Syrie à faire rapport de leurs actions militaires sur place à intervalles réguliers, et demander que Ban Ki-moon désigne un envoyé militaire (par exemple un général issu d’un pays aussi incontestablement neutre que la Suisse) pour surveiller la protection des civils.

Une telle initiative mettrait la Russie au centre de l’attention, même si les précédents montrent que le plus probable est qu’au besoin, elle oppose son veto à un tel texte. Mais elle devrait en tout état de cause s’expliquer. Et la Chine, qui s’est jusqu’à présent associée à la Russie dans ses vetos sur le dossier syrien, pourrait hésiter à en faire autant sur un sujet humanitaire. Les accusations d’hypocrisie contre Londres et Paris ne manqueraient pas. Le président Poutine soulignerait que ces pays ne s’étaient pas imposés de telles contraintes lorsqu’ils intervenaient en Libye. Et si, par quelque miracle, la résolution était adoptée, elle s’appliquerait aussi aux Français, Américains et autres forces engagées dans des opérations aériennes contre Daech en Syrie. Pourtant, il est important que la coalition conduite par les Américains établisse une claire distinction entre ses principes et ses tactiques et ceux de la Russie, à tel point que ce risque vaudrait la peine d’être pris.

Les Britanniques et les Français pourraient renforcer leur position en invitant tous les membres de l’UE et les Etats non-Européens intéressés à co-parrainer la résolution (les Etats qui ne siègent pas au Conseil de sécurité peuvent apporter leur appui symbolique à un projet de texte de cette façon). Il serait politiquement utile de donner à l’Allemagne un rôlé-clé dans l’initiative, d’autant que sa décision de s’abstenir au Conseil sur l’intervention en Libye en 2011 contrebalancerait les accusations d’hypocrisie à l’endroit des Français et des Britanniques. Il serait utile de rallier le soutien d’autres critiques de la campagne en Libye, tels que le Brésil, même s’il essaiera sans doute d’éviter de prendre parti.

Si la Russie devait mettre un veto à une résolution de ce genre, il serait possible de réunir une majorité autour des mêmes propositions à l’Assemblée générale des Nations Unies – même s’il ne fait guère de doute que Moscou ignorera toute résolution de l’Assemblée qui ne rallierait pas au moins 150 des 193 Etats membres.

En réalité, les responsables russes traiteront probablement une telle initiative (que ce soit au Conseil de sécurité ou à l’Assemblée générale) comme juste une autre chicanerie européenne visant à placer des principes abstraits au-dessus de l’affirmation directe de la puissance. Mais le véritable objectif ne serait pas tant de changer l’état d’esprit à Moscou que de relever le coût diplomatique et politique pour la Russie de la stratégie qu’elle a retenue, dans le monde sunnite et ailleurs, afin de la pousser vers le choix stratégique de revenir à une option politique. C’est aux puissances occidentales qu’il appartient de montrer qu’elles refusent que la vision sinistre, brutale et à courte-vue du futur de la Syrie que Vladimir Poutine entend imposer.

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