Pris entre deux feux : comment les pays du Golfe peuvent aider à apaiser les tensions entre l’Iran et Israël 

Interceptor missiles are fired, after Iran’s armed forces say they targeted the Al-Udeid base in a missile attack, as seen from Doha, Qatar, June 23, 2025
Interceptor missiles are fired, after Iran’s armed forces say they targeted the Al-Udeid base in a missile attack, as seen from Doha, Qatar, June 23, 2025
Image par picture alliance / REUTERS | Stringer
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Autrefois fervents partisans d’une intervention militaire contre Téhéran, les pays du Golfe appellent désormais à la retenue et à la diplomatie. Ils considéraient autrefois Trump comme un partenaire ; aujourd’hui, ils craignent que les États-Unis ne soient davantage un risque qu’une protection. 

Les frappes iraniennes contre la base aérienne d’Al Udeid au Qatar, le 23  juin dernier, ont confronté les monarchies du Golfe à un scénario redouté depuis longtemps : se retrouver prises dans la ligne de feu d’un conflit entre Israël et l’Iran. Bien que Téhéran ait délibérément calibré son attaque en visant uniquement les installations américaines — sans s’en prendre au Qatar, décrit comme un “pays frère” — l’incident a suscité des réactions vives dans toute la région. Les dirigeants du Golfe craignent que la diplomatie ne suffise plus à les protéger de l’escalade régionale. 

Ces dernières années, les pays du Golfe ont radicalement changé leur approche à l’égard de l’Iran. Sous l’administration Obama, ils se montraient profondément méfiants envers la diplomatie, critiquant fermement l’accord sur le nucléaire iranien (le JCPOA), appelant plutôt les États-Unis à intervenir militairement. Mais l’incertitude quant à la fiabilité de la protection américaine les a poussés à reconsidérer leur stratégie. Ils ont alors commencé à privilégier le dialogue bilatéral et la diplomatie avec Téhéran, cherchant à maîtriser eux-mêmes les tensions. 

Cette réorientation est également liée aux ambitions économiques du Golfe, qui reposent sur la stabilité régionale et la capacité du Golfe à attirer  les investissements étrangers — des objectifs incompatibles avec le climat de tensions actuelles. L’accord de normalisation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, soutenu par la Chine en mars 2023, a marqué une étape importante. Depuis, les capitales du Golfe ont activement mobilisé leurs canaux diplomatiques avec l’Iran pour éviter d’être pris pour cibles par l’Iran et ses proxys suites à l’attaque du 7 octobre, et, plus récemment, dans le contexte des frappes israéliennes contre l’Iran. Les pays du Golfe ont publiquement condamné la campagne israélienne et assuré à Téhéran qu’ils ne soutiendraient ni ne faciliteraient aucune attaque israélienne ou américaine contre l’Iran. 

Cependant, les dirigeants du Golfe redoutent que la diplomatie ne soit plus suffisante. Le cessez‑le feu fragile entre Israël et l’Iran, négocié après l’attaque d’Al Udeid via la médiation qatarie, ne tient qu’à un fil. Une guerre ouverte entre les États‑Unis et l’Iran aurait des répercussions catastrophiques. L’Iran a averti à plusieurs reprises qu’il viserait les États du Golfe s’ils facilitaient toute action militaire. Et malgré les efforts de ceux-ci pour prendre leurs distances, la présence de bases américaines sur leur sol les expose directement à des représailles. 

Par ailleurs, une fermeture du détroit d’Hormuz provoquerait des perturbations économiques sévères, tandis qu’un accident nucléaire ou des fuites radioactives dans les eaux du Golfe — dont les pays du CCG dépendent pour 60 à 90 % pour leur consommation d’eau potable désalinisée — représenteraient une menace existentielle. L’escalade entre l’Iran et Israël encourage déjà les Houthis à suspendre leur cessez‑le feu avec les États‑Unis et à intensifier les attaques contre la navigation dans la mer Rouge, un autre axe commercial vital pour l’Arabie saoudite. Et surtout, l’image de stabilité que les États du Golfe ont patiemment cultivée serait brisée, minant la confiance des investisseurs et compromettant leurs ambitions de développement à long terme.  

Un nouvel ordre s’annonce 

Au‑delà des enjeux immédiats de sécurité, les capitales du Golfe observent attentivement les conséquences à long terme de la crise pour les dynamiques régionales. Bien qu’ils saluent en privé l’affaiblissement de l’Iran, certains estiment que la confrontation actuelle va trop loin. 

“Il y a une crainte croissante que l’objectif final d’Israël — un « nouveau Moyen-Orient » restructuré sur la base d’une puissance militaire écrasante — laisse peu de place aux intérêts et à l’autonomie du Golfe.” 

Une crainte majeure est que la campagne israélo-américaine conduise l’Iran à accélérer le développer d’une arme nucléaire. De même, la possibilité d’un changement de régime ou de l’effondrement de l’État iranien ouvriraient une boîte de Pandore dont les effets déstabiliseraient l’ensemble de la région. Israël semble viser une hégémonie régionale, ce qui inquiète profondément les puissances arabes. Son objectif final — un “nouveau Moyen‑Orient” remodelé autour d’une suprémacie militaire israélienne régionale — laisse peu de marge de manœuvre aux intérêts et à l’autonomie des pays du Golfe. 

La campagne actuelle contre l’Iran révèle aussi les incertitudes entourant le rôle des États‑Unis comme partenaire fiable du Golfe. Quelques semaines plus tôt, lors de sa tournée régionale, Donald Trump avait vanté la stabilité du Golfe et promis de soutenir une stabilisation régionale propice à la croissance économique. Aujourd’hui, ce discours sonne creux. Le soutien sans réserve de Washington aux frappes israéliennes, associé aux discours flous sur un changement de régime à Téhéran, est perçu dans le Golfe comme une aventure irresponsable. Le soutien de Trump pour les activités militaires à Gaza — et la mention de faire de Gaza une « Riviera du Moyen-Orient »  — avaient déjà écorné la confiance des États du Golfe dans la capacité américaine à assurer une paix régionale durable. Face à une intensification du conflit, ces pays se demandent désormais si la politique américaine n’est pas davantage un handicap qu’un atout. 

Si les dirigeants du Golfe retiennent une leçon de l’escalade récente entre l’Iran et Israël, c’est bien la pertinence de leur stratégie diplomatique envers l’Iran. En agissant indépendamment de Washington ils ont réussi à établir des canaux de communication avec l’Iran offrant une protection relative contre les pires scénarios d’escalade. Le fait que Téhéran évite de cibler des intérêts du Golfe trop directement ou de fermer le détroit d’Hormuz est largement attribué à cette diplomatie. Cette démarche a aussi rendu l’Iran plus dépendent de ses relations avec les capitales du Golfe pour résister à la pression américaine, donnant aux pays du Golfe un nouvel avantage. 

Cette stratégie de rapprochement avec l’Iran a aussi renforcé le rôle des pays du Golfe dans l’arène diplomatique. Après les frappes iraniennes sur Al Udeid, le Qatar a aidé à négocier le cessez‑le feu entre l’Iran et Israël. Mohammed ben Salman, prince héritier saoudien, est en contact fréquent avec le président iranien Masoud Pezeshkian. En coulisses, les capitales du Golfe travaillent à désamorcer les tensions et à éviter toute déstabilisation régionale. 

Le rôle de l’Europe 

Le cessez‑le feu reste fragile, et l’espace diplomatique, étroit. Si les puissances européennes veulent soutenir une trajectoire pacifique — notamment pour relancer les négociations nucléaires iraniennes — le moment est venu d’agir. La coopération avec les acteurs du Golfe sera essentielle. Bien que certains Européens soutiennent les frappes américaines, ils partagent avec les pays du Golfe plusieurs intérêts : préserver la stabilité régionale, éviter une escalade et prévenir la prolifération nucléaire iranienne. Face au risque d’une escalade généralisée — et alors que des doutes émerge sur l’efficacité des frappes américaines — l’Europe et le Golfe doivent faire vraincre la diplomatie sur l’usage de la force. 

Ces derniers jours, les capitales du Golfe ont montré leur désir sincère que l’Europe joue un rôle de modérateur plus affirmé , pour contrebalancer la dérive déstabilisante de la politique américaine. Le Golfe dispose d’un atout unique : l’accès aux décideurs iraniens et israéliens, des liens sécuritaires profonds avec Washington et un intérêt direct à la paix régionale. Ensemble, Europe et Golfe pourraient lancer une initiative pragmatique de désescalade. 

Au cœur d’une voie possible se trouve la création d’un consortium régional comprenant l’Iran et les États arabes du Golfe. Ceux-ci pourraient encourager Téhéran à revenir à la table des négociations, tout en pressant Trump de freiner Israël et d’éviter des exigences maximalistes envers l’Iran — deux éléments potentiellement fatals pour toute relance de négotiations nucléaires.  

Pour être crédibles auprès de leurs interlocuteurs du Golfe, les Européens devraient aussi condamner plus fermement les frappes israéliennes sur l’Iran, qui constituent uneviolation du droit international et une tentative dangereuse de compromettre les négociations diplomatiques. 

Le récent report de la conférence saoudo‑française sur la Palestine a été une occasion manquée pour l’Europe de renforcer son engagement avec le Golfe sur les dossiers régionaux. La crise actuelle pourrait en constituer une nouvelle. En soutenant la diplomatie, les acteurs européens peuvent redevenir des partenaires crédibles et stabilisateurs dans une région où la confiance envers les États‑Unis s’érode rapidement. 

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