Pour sortir de la compétition entre Etats, une souveraineté sanitaire européenne est nécessaire
Une proposition pour le lancement d'une stratégie sanitaire cohérente au sein de l'Union européenne afin de mieux répondre à la pandémie (tribune de Tara Varma dans Le Monde)
L’Union européenne (UE) a été la championne du monde interconnecté dans lequel nous vivons : les personnes, biens, informations, et bien évidemment microbes, se déplacent au-delà des frontières toujours plus vite et en quantité toujours supérieure. Les Etats peuvent limiter ces flux, mais seulement à très grands coûts pour leur économie, leur culture et leurs citoyens. Face à ces vulnérabilités, les citoyens attendent de leurs gouvernements qu’ils soient capables de les protéger, eux et leur santé. En d’autres mots, ils veulent que leur gouvernement conserve une souveraineté sanitaire.
Parvenir à une souveraineté sanitaire n’est pas chose aisée. Et l’« autarcie sanitaire » n’est ni envisageable ni souhaitable dans le monde moderne. La crise a révélé le besoin criant de coopération internationale en termes d’échanges de personnel médical, d’accès aux médicaments et à leur chaîne de valeur, ainsi qu’au développement de réseaux de recherche transnationaux.
Mais les Etats sont aussi en compétition dans l’arène sanitaire, et parfois même violemment. Ils cherchent à obtenir des technologies clés et de la propriété intellectuelle, ils veulent recruter un personnel médical recherché, se battent pour des ressources rares telles que les vaccins et des équipements de protection. Ils se servent parfois aussi des questions sanitaires pour peser dans une compétition géopolitique plus large, en utilisant, par exemple, leur contrôle des chaînes d’approvisionnement (supply chains) pour obtenir des concessions géopolitiques.
Un rôle de l’Europe plus important
Cette dynamique de compétition met en lumière le besoin d’une souveraineté sanitaire européenne, qui ne requerra pas une solution centralisée, mais plutôt une centralisation des efforts menés au niveau européen pouvant servir de plate-forme de coopération et d’établissement de standards communs, faire office de démultiplicateur des efforts nationaux, ainsi qu’assurer une solidarité européenne bien nécessaire. Les peuples européens sont d’accord : selon le dernier sondage Eurobaromètre, 70 % des Européens affirment que l’UE devrait avoir davantage de compétences pour faire face aux crises telles que celle de la pandémie du coronavirus.
Les fermetures de frontières et les différends intra-européens du début de la crise ont montré combien les relations européennes aux niveaux local, national et continental peuvent être complexes. Cependant, il est apparu clairement que l’UE disposait des instruments nécessaires – tant financiers que matériels – pour jouer un rôle essentiel dans la construction de la souveraineté sanitaire européenne.
Toutefois, ces instruments doivent être intégrés à une stratégie plus cohérente, que j’appelle le « Plan Simone Veil », en l’honneur de cette survivante de la Shoah qui a été la première Présidente du Parlement européen, ancienne ministre française de la Santé et ardente défenseuse de l’intégration européenne.
Le marché unique, la plus grande réussite de l’UE
Tout d’abord, le marché unique est probablement la plus grande réussite de l’UE, et en assurer la protection est sa fonction la plus reconnue. La pandémie a tragiquement affecté sa capacité à fonctionner. Les États membres ont fermé leurs frontières, mis un coup d’arrêt au tourisme et aux déplacements à l’intérieur du marché unique, et ainsi réduit les échanges commerciaux.
L’UE pourrait prévenir que cette situation ne se reproduise grâce à ces quelques efforts de préparation et de gestion de crise : renforcer le mécanisme de protection civile de l’UE, créer des stocks stratégiques communs d’urgence en équipements médicaux, cartographier les infrastructures européennes de santé et leurs dépendances, et investir dans la planification de scénarios ainsi que dans des projections pour les crises futures.
Ensuite, les Européens devraient élargir le cadre des régulations pour le contrôle des investissements pour y inclure la santé. Dans certains pays, le secteur sanitaire n’est pas clairement couvert par des lois de protection des investissements mais est simplement mentionné aux marges. Ainsi, ils devraient assurer un meilleur contrôle des investissements étrangers qui sont, pour l’heure, indispensables à l’innovation dans le secteur de la santé.
Amélioration des réponses aux urgences sanitaires
De plus, la solution pourrait être d’identifier davantage de domaines du secteur sanitaire dans lesquels les prises de contrôle par des intérêts étrangers devront être notifiées aux gouvernements européens afin qu’ils puissent les examiner, tout en évitant un trop grand élargissement des critères prohibitifs. Actuellement, puisque la santé est peu mentionnée, il n’est pas sûr que l’obligation de notification s’applique aux entreprises de santé qui ne font pas de biotechnologies dans de nombreux pays européens.
Par ailleurs, faisant suite aux insécurités liées aux chaînes d’approvisionnement au début du Covid-19, l’UE se doit d’ajuster ses chaînes d’approvisionnement pour atteindre une plus grande souveraineté sanitaire. A cette fin, l’Europe devrait constituer des groupes de produits selon leur caractère essentiel au cours d’une crise sanitaire et leur vulnérabilité à la protection face à la coercition économique.
Enfin, face à un environnement géopolitique toujours plus compétitif, et au milieu des tensions sino-américaines, l’UE peut et doit endosser de nouvelles responsabilités sur la scène internationale. Les Européens peuvent promouvoir des initiatives mondiales ad hoc, telles que la conférence d’appel aux dons Access to Covid-19 Tools (ACT) organisée par la Commission européenne en mai 2020, et se positionner comme la plate-forme de rassemblement d’acteurs étatiques et non-gouvernementaux, tels que l’OMS, le G7, le G20, des fondations et l’industrie pharmaceutique.
Et l’UE peut travailler à l’amélioration des réponses aux urgences sanitaires en faisant le plaidoyer d’une réforme et d’un renforcement du système sanitaire mondial actuel. L’année 2021 où la Grande-Bretagne et l’Italie prendront respectivement les présidences du G7 et du G20 pourrait être ce moment européen tant attendu.
Cette tribune a tout d'abord été publiée sur le site du Monde.
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