Minsk : fin de la partie
Ni l’Ukraine ni l’Occident ne peuvent se permettre de quitter le cadre de l’accord de Minsk, même s’ils savent qu’il ne fonctionne pas du tout.
La couverture médiatique des discussions qui se sont tenues le 24 août à Berlin entre le président ukrainien, Petro Porochenko, le président français, François Hollande, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont été quelque peu surréalistes. La mise en œuvre des accords de Minsk a été présentée comme étant la seule voie possible, malgré le refus de la Russie de s’y conformer, et des avancées avaient été prévues dans toutes sortes de domaines : les élections locales, la surveillance de l’OSCE, le retrait des armements et le cessez-le-feu. Toutefois, les preuves empiriques dont nous disposons suggèrent le contraire.
On a ainsi pu récemment observer une recrudescence des combats dans l’est de l’Ukraine. La Russie a regroupé, ré-entraîné, réapprovisionné et renforcé ses forces depuis les opérations de mai 2015, qui avaient eu moins de succès que les précédentes, et les incidents entre les deux forces armées se sont une nouvelle fois intensifiés. Sans surprise, la plupart de ces incidents ont été le fait des rebelles contrôlés par Moscou.
De même, la supervision de l’OSCE est loin d’être complète. Les personnes chargées de la supervision du pays ne sont pas autorisées à se déplacer librement dans les zones séparatistes, ni d’aller au-delà des zones préétablies pour inspecter les installations. Elles ne sont également pas autorisées à se déplacer la nuit. Les véhicules sont incendiés et les drones brouillés. De plus, étant donné que la Russie n’est pas officiellement partie au conflit, les officiers russes sont habilités à patrouiller en tant qu’observateurs de l’OSCE du côté ukrainien ce qui explique pourquoi certains officiers ukrainiens refusent leur en refuse l’accès.
Comme personne ne peut réellement superviser ou contrôler le retrait effectif des armes lourdes côté russe, cela est également devenu une question délicate en Ukraine. A Marinka, au cours d’une seule nuit, le côté russe est parvenu à rapporter de l’artillerie lourde, des armures et des infanteries mécanisées au niveau de la ligne de front alors que les observateurs de l’OSCE dormaient dans leurs chambres d’hôtel. Si les troupes ukrainiennes retiraient leurs armes lourdes des positions déjà exposées aux troupes pro-russes, il est fort probable qu’elles se retrouvent dans une situation très inconfortable très rapidement.
L’autre problème délicat auquel doit faire face l’Ukraine est la question des élections. Pour l’instant, les rebelles veulent procéder à des élections qui répondraient à leurs propres règles, c’est-à-dire qui interdisent la participation des partis traditionnels ukrainiens, et en se basant sur leurs propres ressources administratives, ce qui signifie que celles-ci seront truquées. Personne à Kiev ne se fait d’illusion quant au fait que des élections libres et justes permettraient d’amener un homme politique pro-ukrainien au pouvoir dans le Donbass. Toutefois, un candidat appartenant au Bloc d’Opposition ou encore un homme politique affilié à Rinat Akhmetov serait toujours un interlocuteur plus sincère et fiable qu’un obscur nationaliste parachuté par le GRU, le service de renseignement militaire de la Russie.
Dans cette situation, pourquoi les gouvernements allemand et français attendent-ils des résultats dans les domaines cités ci-dessus, alors même que d’éminents experts mettent en garde contre les conséquences des accords de Minsk ? De plus, si une mise en œuvre réussie de Minsk II dépend principalement de la volonté de la Russie de s’y conformer, pourquoi Poutine n’a-t-il pas été invité à la rencontre s’étant tenue à Berlin ? Pourquoi l’Occident ne fait-il pas plus pression sur la Russie ? Cette rencontre est-elle la continuation de la politique maladroite de l’UE qui vise à mettre la pression sur Kiev pour stimuler le processus de mise en œuvre des accords de Minsk II de telle manière à ce qu’aucun des leaders européens n’ait à reconnaître publiquement que ces accords sont effectivement un échec ?
Le communiqué de presse officiel publié à la suite de la rencontre entre les trois chefs d’Etat était beaucoup plus nuancé que les rapports faits par les médias. Celui-ci était, encore une fois, une énumération des points sur lesquels la Russie souhaiterait voir l’Ukraine, et/ou l’Occident, agir. Toutefois, les chefs d’Etat présents, et particulièrement Madame Merkel, ont évité de mettre dans la liste l’exigence d’une mise en œuvre unilatérale des accords de la part de Kiev.
Ainsi, l’objectif de la rencontre semble avoir été une consultation pour déterminer comment procéder dans la crise ukrainienne. De telles consultations sont, bien entendu, nécessaires. Comme l’a, à juste titre, souligné Porochenko les troupes russes présentes à la fois dans le Donbass et le long de la frontière sont prêtes à attaquer. Les provocations se sont multipliées ces dernières semaines. Le 17 août, le Ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, a accusé Kiev de « se préparer pour une nouvelle offensive ». Cette sortie du ministre des affaires étrangères russe montre principalement que la Russie cherche un prétexte pour justifier une nouvelle offensive.
La Russie n’est pas parvenue à remplir ses objectifs en Ukraine. Le gouvernement de Kiev n’est pas tombé. Le soutien occidental à l’Ukraine est toujours en place. Même si la Russie espère probablement que la résistance ukrainienne s’amenuisera sur la long-terme, en parallèle de son économie, l’idée selon laquelle une guerre impactera plus rapidement l’économie ukrainienne que russe ne semble plus correcte. Avec la baisse continue des prix du pétrole et le ralentissement économique de la Chine, la stratégie russe qui consistait à devenir un fournisseur de matières premières de la Chine pour soutenir la confrontation avec l’Occident est remis en doute. Pour mettre rapidement fin à la guerre aux conditions de la Russie, celle-ci a besoin d’une nouvelle offensive militaire qui, de manière comparable à celle menée en Géorgie en 2008, permettrait, non seulement, de battre l’Ukraine militairement mais aussi d’isoler Kiev de son soutien occidental. Ainsi, l’accusation selon laquelle Kiev ne respecterait pas les accords de Minsk serait essentielle à la propagande russe.
De ce fait, ni l’Ukraine ni l’Occident ne peuvent se permettre de quitter le cadre de l’accord de Minsk, même s’ils savent qu’il ne fonctionne pas du tout. En l’absence d’une complaisance russe et avec la propagande agressive mise en place pour tenter d’incriminer l’Ukraine, une communication stratégique entre les alliés occidentaux pour déterminer la façon de procéder face à la Russie et les lignes rouges à ne pas dépasser est essentielle. Porochenko doit concilier différents intérêts : éviter une escalade majeure avec la Russie sans pour autant abandonner la souveraineté ukrainienne ; maintenir intact le soutien occidental sans s’engager personnellement vis-à-vis d’objectifs qu’il ne peut pas tenir. Les dirigeants européens doivent également doivent également faire attention aux nombreux pièges tendus par Moscou, mais seul le temps dira s’ils ont été victorieux.
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