L’ombre du Brexit plane sur les élections au Royaume-Uni

La décision opportuniste de la Première ministre de capitaliser sur sa forte position à l'intérieur du Royaume-Uni est rendue plus compliquée par le contexte international.

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La décision opportuniste de la Première ministre de capitaliser sur sa forte position à l'intérieur du Royaume-Uni est rendue plus compliquée par le contexte international.

Moins d’une semaine avant le premier tour de l’élection présidentielle française, et les sondages se resserrant au point que les quatre premiers candidats sont à 4% les uns des autres, les inquiétudes de l’Union européenne (UE) étaient concentrées sur Paris ce matin – jusqu’à ce que Theresa May annonce des élections générales pour le 8 juin.

Vous ne vous y attendiez pas ? Westminster non plus : Theresa May avait été plutôt claire ces derniers mois affirmant que cela ne se produirait pas. Mais le dirigeant du parti travailliste, Jeremy Corbyn, a salué la nouvelle – courageusement, ou imprudemment pourraient dire certains, au vu de la désorganisation de son parti – et la majorité des deux tiers de la Chambre des Communes dont Theresa May a besoin pour organiser l’élection anticipée semble donc acquise.

Les groupes pro-européens – en particulier le parti libéral-démocrate, qui a juré de faire campagne pour les prochaines élections sur un programme pour inverser la décision sur le Brexit – ont acclamé la nouvelle comme la chance qu’ils attendaient d’éloigner le Royaume-Uni de la route qui doit le conduire au Brexit. Mais en réalité, une élection anticipée aura certainement les effets contraires. De récents sondages – pour ceux qui y portent encore attention après le référendum sur le Brexit – estiment que le parti conservateur remportera autour de 42 ou 43% des voix, le parti travailliste autour de 25% et les libéraux-démocrates au coude à coude avec l’UKIP autour de 11%.

C’est pourquoi Theresa May a demandé l’organisation de cette élection maintenant : elle souhaite renforcer sa majorité à la Chambre des Communes et s’assurer une plus grande marge de manœuvre pour négocier le Brexit tel qu’elle le voit. Réussira-t-elle à élargir sa majorité dans la Chambre des Communes ? Elle semble bien profiter d’un vent politique favorable, mais cela pourrait bien se révéler moins facile qu’elle ne l’espère.

Le Royaume-Uni est actuellement un pays très divisé, les incertitudes allant bon train quant à l’impact différentiel d’un « hard Brexit » sur l’Ecosse, l’Irlande du Nord, Londres, et ailleurs, et bien évidemment aussi sur les différents secteurs de l’économie. Le gouvernement de Theresa May affirme qu’il réalise la volonté démocratique de ceux qui ont voté pour le Brexit, mais il ne peut pas se permettre d’ignorer les peurs de l’autre moitié de la population qui s’est prononcée contre, ou même de ceux qui ont voté pour le Leave mais qui ne s’attendaient pas à ce que la rupture des liens suive une ligne si dure.

Maintenir le juste équilibre serait déjà assez difficile si Theresa May ne devait s’inquiéter que du contexte politique interne. Mais la décision opportuniste de la Première ministre de capitaliser sur sa position forte par rapport à l’opposition devient encore plus complexe quand on tient compte du contexte international.

La campagne électorale britannique se tiendra – en partie – en même temps que le dernier mois de la campagne présidentielle française, qui se termine le 7 mai. Le défi pour Theresa May sera de construire des messages de campagne clairs défendant un « hard Brexit » sans tomber dans des discours expliquant que l’UE est responsable de tout ce qui ne va pas au Royaume-Uni en ce moment. Puisque les deux campagnes se dérouleront simultanément, la première ministre risque de se retrouver dans la position inconfortable où elle avancerait des arguments similaires à ceux de Marine Le Pen, dont le type de discours anti-européen se révèle de plus en plus être xénophobe de façon flagrante. Theresa May devra distinguer clairement sa position anti-UE de celle de Marine Le Pen, afin d’éviter de perturber non seulement ces électeurs britanniques qui sont réticents à sortir de l’UE, mais aussi ceux qui soutiennent la vision d’un Royaume-Uni mondialiste en dehors de l’UE.

Le plus probable est que la première ministre réussira son numéro d’équilibriste et obtiendra une plus large majorité en appelant à cette élection soudaine. Elle n’a pas peur du défi et l’opposition n’est absolument pas préparée à une élection d’ici deux mois. Mais si nous avons appris une chose des montagnes russes que la politique internationale a connues au cours de l’année écoulée, c’est qu’il faut se préparer à l’inattendu. La seule chose dont on peut être sûr c’est que l’annonce d’aujourd’hui ne rendra pas la longue route du Royaume-Uni pour sortir de l’UE moins tortueuse.

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