Livrons les Mistral à l’Union européenne, pas à la Russie

A l'heure où le monde s'embrase, l'Europe doit se donner les moyens concrets de défendre ses valeurs, ses frontières et son unité.

Mistral : vent violent, de secteur nord à nord-ouest, froid et sec, résultant de dépressions formées au-dessus de la Méditerranée. » Cet été, des vents mauvais et violents soufflent du sud vers le nord et d'est en ouest. Ils convergent tous vers l'Europe. Le conflit israélo-palestinien, 1.270 morts en vingt-trois jours, prend pied en France, parmi les pays occidentaux qui comptent les plus importantes communautés juive et musulmane. En Irak, mais aussi en Syrie, les chrétiens d'Orient sont chassés de leur maison ou exterminés par milliers. Au Sahel, les armes du régime Kadhafi circulent à la vitesse d'un 4 × 4 sur les pistes du désert. Ce sont les organisations les plus meurtrières et les plus fanatisées qui les récupèrent.

Plus près de nous, à trois heures d'avion de Paris, les avions de ligne sont la cible des séparatistes prorusses en Ukraine, dirigés par Igor Strelkov, ancien membre du GRU (renseignement militaire russe),

Les Européens doivent désormais emprunter un autre chemin : celui d'une union politique, diplomatique et de défense renforcée.

Exactement un siècle après l'ultimatum de l'Autriche à la Serbie, ayant mené à la Grande Guerre et ses 37 millions de morts, le monde semble prêt à s'embraser de nouveau. Mais, cette fois-ci, sur des événements autrement plus graves qu'un attentat sur un archiduc à Sarajevo. Et à l'échelle d'une planète de 7 milliards d'habitants – contre 1,8 milliard en 1914. Or, jusqu'à lundi dernier, que faisaient les dirigeants de l'Union européenne, entité politique la plus riche au monde ? Ils se chamaillaient. Et, avant de partir en vacances, continuaient de faire des affaires chacun dans leur coin.

Ainsi la France, qui comptait livrer deux bateaux de guerre furtifs, les Mistral, à la Russie de M. Poutine, comme si de rien n'était. Deux bateaux censés s'ancrer à Vladivostok, et qui iraient certainement s'établir en mer Noire – les Ukrainiens, Turcs, habitants des Balkans et du Caucase apprécieront un jour à sa juste mesure ce bras d'honneur.

Ainsi de la Grande-Bretagne, donneuse de leçons sur l'insoutenable position française, mais frappée d'un singulier mutisme et d'une parfaite inaction dès que l'on envisage de geler les avoirs russes de la garde rapprochée de M. Poutine, qui font la fortune des opérateurs de la City de Londres.

Que penser enfin, de l'Allemagne, si dépendante de la Russie pour son gaz et la réussite de ses affaires en Europe de l'Est, figurant aux abonnés absents dès qu'elle est invitée à assumer des responsabilités politiques de diplomatie et de défense ? Sa vocation est-elle de devenir le canton le plus riche et le plus égoïste d'une Europe rêvée en grosse Suisse, prête à faire des affaires avec le monde entier, s'obligeant donc à une parfaite neutralité ?

Signe supplémentaire d'une diplomatie européenne pusillanime, c'est sous la pression de la diplomatie américaine que les Européens viennent de décider, in extremis, d'un programme de « sanctions » contre la Russie de M. Poutine. Or, c'est sans les Etats-Unis, et en apprenant à compter uniquement sur eux-mêmes, que les Européens doivent désormais emprunter un autre chemin : celui d'une union politique, diplomatique et de défense renforcée. Ce chemin-là passerait très concrètement par :

  1. Le rachat, par l'Union européenne elle-même, des deux navires Mistral, qui pourraient constituer le début d'une future flotte militaire paneuropéenne, qui trouverait hélas rapidement son emploi en mer du Nord , en Méditerranée, aux larges des côtes africaines. Partout où les intérêts vitaux des Européens sont en jeu.
  2. Le gel effectif des avoirs financiers des oligarques les plus proches de MM. Poutine, Strelkov et consorts, à la City de Londres, en attendant que la Russie, qui traverse aujourd'hui une crise économique profonde, retrouve le goût d'un partenariat économique responsable et pacifié avec l'Union européenne
  3. Enfin et peut-être surtout, le rôle moteur que doit désormais assumer l'Allemagne dans le financement et la mise en oeuvre d'une politique européenne de défense digne de ce nom. L'Allemagne est immensément riche – une balance de paiements excédentaire de 200 milliards d'euros. Elle a raté, depuis la crise de 2009, de nombreuses occasions de réinvestir cette richesse dans la fortification du projet européen, constitutif de son identité et pilier de sa Constitution de 1949. Elle a, avec les crises de l'été 2014, l'occasion de gagner enfin une légitimité de grande nation européenne, qu'elle a perdue au siècle dernier, en assumant pleinement un leadership dans la diplomatie et la défense paneuropéenne.

C'est, donc, d'abord à Paris, à Londres, à Berlin, mais aussi à Madrid, Rome et Varsovie que doit se dessiner le devenir de l'Union européenne. Pas à Washington DC. Ni à Bruxelles, où les médiocres discussions de personnes, pour savoir qui remplacera Herman Van Rompuy, Catherine Ashton ou les 26 autres commissaires européens, paraissent surréalistes. A quoi servirait un président de Conseil européen, ou un Haut Représentant de la diplomatie européenne, si l'Europe ne se donne pas les moyens concrets de défendre ses valeurs, ses frontières et son unité, dans le XXIe siècle des Etats continents ?

Cet article a initialement été publié dans les Echos.

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