L’Europe ne pliera pas face à un Congrès américain anti-accord sur le nucléaire iranien

Alors que le Congrès des Etats-Unis débat de l'accord conclu entre l'Iran et six puissances mondiales sur la maitrise du programme nucléaire de Téhéran, beaucoup de ceux qui s'y opposent attendent des Européens qu'ils se conforment à Washington si l'arrangement était rejeté par le Congrès américain.

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L’Europe ne pliera pas face à un Congrès américain anti-accord sur le nucléaire iranien

Cet article a été initialement publié par The Bulletin le 26 août 2015.

Alors que le Congrès des Etats-Unis débat l’accord conclu entre l’Iran et six puissances mondiales sur la maitrise du programme nucléaire de Téhéran, beaucoup de ceux qui s’y opposent attendent des Européens qu’ils se conforment à Washington si l’arrangement était rejeté par le Congrès américain. Quelques sénateurs américains proclament de manière irréaliste qu’un meilleur accord est possible, et pensent qu’ils seront en mesure de persuader ou contraindre les alliés européens à renégocier celui-ci. Leur hypothèse semble peu probable, cela dit, et pourrait avoir des conséquences néfastes sur  les relations transatlantiques. A ce stade, il serait difficile pour la législature américaine d’inverser l’élan politique bien débuté entre l’Europe et l’Iran.

Après des années d’intenses négociations sur le nucléaire, un important nombre d’experts et législateurs en Europe pensent qu’il serait difficile de faire mieux que l’accord fixé en juillet. Les puissances nucléaires européennes les plus avancées, la France et la Grande-Bretagne, ont établi que cela va à l’encontre de leurs rigoureuses normes techniques sur la non-prolifération. En s’entêtant à poursuivre une alternative imaginaire au lieu de se concentrer sur la mise en œuvre de l’accord, les membres du Congrès risquent d’ébranler l’unité de l’Occident au sujet  de l’Iran et la coopération Etats-Unis/Europe sur les sanctions mises en place.

L’accord iranien a été soutenu unanimement par les 28 Etats membres de l’Union européenne (UE). Les échanges de ce mois-ci avec l’Iran, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et la Haute Représentante de l’UE Federica Mogherini ont clairement établi un plan d’action ayant pour but l’intensification des relations politiques et économiques. En ré-ouvrant son ambassade à Téhéran dimanche, le gouvernement britannique a envoyé un signal fort que les liens diplomatiques avec l’Iran sont en train de s’améliorer, et ce indépendamment des décisions prises par le Congrès américain.

Les Européens regardent maintenant au-delà de la vision de l’Iran centrée sur le nucléaire, afin de se concentrer sur les moyens d’utiliser cette ouverture pour interagir avec l’administration du Président Hassan Rohani. L’Iran et l’Europe sont tous les deux impatients de relancer leurs relations commerciales, par le passé prospères, et les Européens souhaiteraient également travailler avec l’Iran de manière plus constructive afin de désamorcer les conflits au Moyen-Orient. Cette forme de progrès ne peut être atteinte facilement et, si elle l’est, les législateurs européens pourraient accuser Washington plutôt que Téhéran d’avoir prématurément fait avorter l’accord qui avait quasiment reçu une approbation unanime sur la scène internationale.

Les Européens ont appris à prendre les déclarations des membres du Congrès américain avec prudence, surtout lorsqu’il s’agit de problèmes polarisants comme celui de l’Iran. Cela dit, ils ne s’attendent pas à être directement critiqués par les sénateurs américains, comme cela avait été le cas lorsque que le Sénateur démocrate de New York Chuck Schumer avait menacé les alliés de longue date des Etats-Unis d’une guerre économique. Selon la position illogique de Schumer, le Congrès devrait sanctionner l’Iran et les Européens afin de les ramener à la table des négociations. Lors d’un événement au mois d’août, il déclarait ainsi que les sanctions secondaires contre le commerce européen donneraient aux Etats-Unis « une bonne arme…qui dirait à HSBC, une importante banque anglaise… « Si vous faîtes affaires avec l’Iran, vous ne pourrez plus le faire nulle part aux Etats-Unis, et nous sommes un marché bien plus conséquent » ». Schumer a subi les critiques de ses confrères démocrates pour s’être aligné avec le GOP à ce sujet, mais il n’est pas seul dans ses arguments, qui sont repris dans les débats sur la possibilité d’un nouvel accord avec l’Iran et comment utiliser des sanctions par le futur.

Quelques sénateurs américains  ont choisis d’ignorer l’importance de la coopération entre les Etats-Unis et l’Europe qui a culminé lors de la mise en place du réseau de sanctions sur le pétrole et les banques visant le programme nucléaire Iranien. Les sanctions les plus considérables, imposées unilatéralement par les Etats-Unis en 2011 et l’Europe en 2012, se reflétaient globalement l’une et l’autre. L’Europe et Obama ont été en mesure d’atteindre un accord tacite sur les sanctions secondaires des Etats-Unis contre les entreprises Européennes, puisque dans la plupart des cas les lois européennes auraient traité un tel comportement, pénalisé par la loi américaine, de manière similaire.

Comme le soulignait le Secrétaire du Trésor américain Jacob L. Lew, l’adhésion de l’Europe et sa bonne volonté lorsqu’il s’est agi de faire des « sacrifices coûteux » ont permis au Congrès de, non seulement, renforcer mais aussi de mettre en œuvre le système de sanctions décidé à l’encontre de l’Iran. Etant donné  l’importance du commerce entre l’Europe et l’Iran avant 2012, ces sanctions ont eu un impact financier sur l’Europe et non sur les Etats-Unis. Si les membres du Congrès étaient amenés à menacer activement les Européens de sanctions secondaires plus sévères afin de les forcer à renégocier l’accord que le président américain a signé, ils devraient s’attendre à être refoulés.

Les Européens sont également inquiets de la réaction de la Chine et de la Russie, si l’Occident fait marche arrière. Il est peu probable que les deux acceptent de retourner à la table des négociations au vu des nouveaux paramètres dictés par le Congrès des Etats-Unis. En fait, un retrait des Etats-Unis de l’accord accélérerait surement les efforts russes et chinois de lancer le Système de Paiement International Chinois (China International Payment System – CIPS) comme moyen de « dé-dollariser » les transactions transfrontalières. Malgré la baisse de régime actuelle de l’économie chinoise, sur le long terme cela pourrait, comme l’a averti le Secrétaire d’Etat des Etats-Unis John Kerry, diminuer le rôle du dollar américain comme réserve de monnaie mondiale, l’opposant au yuan chinois. Un tel affaiblissement pourrait réduire le rôle des sanctions, vu par l’Occident comme un outil de politique étrangère. L’Europe perdrait également foi en l’infrastructure financière mondiale dirigée par les Etats-Unis, conduisant le secteur privé à couvrir leurs paris d’affaires entre les Etats-Unis et la Chine.

Si le Congrès américain gâche l’accord iranien, un débat difficile prendra place entre les Européens à propos de leurs options. L’Europe pourrait succomber à la pression économique, s’aligner avec le Congrès et renoncer à l’accord. Mais à un moment où les relations Européennes avec Téhéran se sont améliorées, et dans une situation où le Congrès a obstrué l’accord sans lui donner une chance de succès, les Européens sont susceptibles de sympathiser avec l’Iran et de se dresser fermement contre la législature américaine.

Si le Congrès américain ruine l’accord, les Européens devront fournir à l’Iran un lot d’offres économiques soulageant des sanctions européennes à la condition que l’Iran coupe court à son programme nucléaire. Ils auront également besoin de protéger leurs entreprises des sanctions secondaires américaines en exerçant le type de pression politique utilisée afin de résister aux sanctions extraterritoriales de l’administration Clinton sur la Libye et l’Iran dans les années 1990. Et que l’Europe s’aligne avec un Congrès américain opposé à l’accord ou non, elle encourra des coûts et devra se préparer à gérer les conséquences d’une nouvelle confrontation militaire au Moyen-Orient.

Comme Obama l’a correctement fait remarquer, si le Congrès rejette l’accord Iranien, il est inconcevable que les partenaires de l’Amérique en Europe disent alors « nous ferons juste ce que [le Sénateur républicain de l’Arkansas] Tom Cotton a à dire avec tout le respect que nous devons à nos intérêts géopolitiques ». Les membres du Congrès américain opposés à l’accord doivent être avertis que leurs menaces contre l’Europe, et leur insistance à atteindre un accord imaginaire sont troublants pour de nombreux alliés. Cela risque d’ébranler l’unité transatlantique et en fin de compte l’avantage de l’Ouest, tout en renforçant par inadvertance la Chine et la Russie. Il est compréhensible que le Congrès puisse se voir comme omnipotent sur les problèmes nationaux, mais, à l’inverse, adopter une position similaire lorsqu’il s’agit de traiter avec les grandes puissances sur des sujets de sécurité internationales lui serait dangereux. 

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