Les élections locales dans le Donbass risquent de saborder les accords de Minsk.

Les élections locales dans le Donbass étaient à l’ordre du jour lorsque les ministres des Affaires étrangères allemand, français, russe et ukrainien  se sont réunis à Berlin le weekend dernier. 

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Les élections locales dans le Donbass étaient à l’ordre du jour lorsque les ministres des Affaires étrangères allemand, français, russe et ukrainien  se sont réunis à Berlin le weekend dernier. Ce sujet représente le prochain défi majeur pour l’accord de Minsk, et risque de compromettre celui-ci.

Les dirigeants de facto de la « République populaire » de Donetsk et Louhansk menacent d’organiser leurs propres élections locales, respectivement le 18 octobre et le 1er novembre 2015. Ces « élections » seraient tenues en parallèle des élections locales organisées par les autorités ukrainiennes, le 25 octobre 2015. Cela constituerait une violation des accords de Minsk et pourrait ébranler un processus de paix déjà fragile. Si les élections « présidentielles » et « parlementaires » de l’année dernière à Donetsk et Louhansk font fonction d’exemple, il est hautement improbable que ces « élections » soient conformes aux normes de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ou que l’OSCE/Bureau des Institutions Démocratiques et des Droits de l’Homme (BIDDH) soient en mesure de les observer, comme le requiert l’accord de Minsk.

Cet accord prévoit un cessez-le-feu ainsi qu’une feuille de route politique au sein de laquelle les élections locales font partie intégrante aux côtés de la réforme constitutionnelle, la décentralisation, et le rétablissement du contrôle par l’Ukraine de la frontière avec la Russie. Les élections locales devraient, selon l’accord, se tenir sur la base de la législation ukrainienne, et comporter en plus quelques points convenus avec le Trilateral Contact Group. Les élections devraient également être tenues en conformité avec les normes pertinentes de l’OSCE/BIDDH et surveillées par ces deux institutions.

Moscou et ses mandataires tentent à présent d’utiliser la menace d’élections parallèles pour obtenir des concessions de la part de Kiev. Ils exigent la fédéralisation de l’Ukraine, ce qui aurait pour conséquence de leur donner un droit de veto sur les décisions les plus importantes. Cela créerait non seulement un Etat dysfonctionnel, mais mettrait également un terme aux efforts de réforme du pays, ainsi qu’à ses aspirations européennes.

Kiev est prête à transférer des pouvoirs considérables aux régions. Le vote du Parlement ukrainien en faveur de l’adoption des amendements constitutionnels du 31 août – en dépit des violentes protestations qui ont conduit à la mort de trois policiers – était une étape importante dans cette direction. Mais Kiev soutient que les élections légitimes doivent être maintenues dans le Donbass avant que les territoires ne se voient octroyer un statut spécial. Des élections légitimes sont nécessaires afin d’élire des leaders légitimes.

Des efforts diplomatiques sont en cours au Trilateral Contact Group dans le but de trouver une solution qui permette aux élections d’avoir lieu sur une base juridique commune. Les ministres des Affaires Etrangères en ont convenu ce weekend. Mais c’est une stratégie risquée, car fournir une couverture légale aux mandataires de Moscou pourrait conduire à leur légitimation, et leur donner assez de marge de manœuvre au sein du système politique ukrainien pour faire des ravages. Cela pourrait saper l’ordre constitutionnel de l’Ukraine et, par extension, son intégrité territoriale.

Indépendamment de savoir si un arrangement sera mis au point à propos des élections, l’accord de Minsk requiert que celles-ci soient tenues en conformité avec les standards de l’OSCE, et surveillés par des observateurs de l’OSCE/BIDDH. Quelles sont ces normes ?

Tout d’abord, la tenue d’élections libres et équitables exige une atmosphère propice. Les partis politiques et leurs candidats devraient être en mesure de faire campagne librement et de présenter leurs idées à l’électorat. Les procédures administratives devraient être équitables et non-discriminatoires. La liberté des médias est une exigence fondamentale.

Le climat actuel d’intimidation dans les territoires aux mains des séparatistes, couplé à la présence des forces séparatistes et russes, ne crée par une atmosphère idéale pour la tenue d’élections. Les milices dominent la scène politique, et il existe peu de vrais partis politiques pour lesquels voter.

Deuxièmement, le registre électoral doit être mis à jour et inclure tous les électeurs admissibles. Dans le Donbass, cela doit inclure ceux qui vivaient là bien avant le début des combats. Ne pas inclure les personnes déplacées serait les priver de leur droit de vote et saper la légitimité des élections.

Les personnes déplacées doivent également bénéficier de moyens pratiques afin de voter. Environ 2.5 million de personnes ont fui les combats et sont maintenant dans d’autres régions de l’Ukraine ou à l’étranger. Les électeurs admissibles devraient être en mesure de déposer leur bulletin, même s’ils sont dans l’incapacité de rentrer chez eux pour voter.

Troisièmement, l’OSCE/BIDDH doit également être en mesure d’observer les élections. Cela est une caractéristique essentielle à la tenue d’élections libres et équitables. Les observateurs sur le long et le court terme doivent être sur le terrain avant, pendant, et après les élections. Ils devraient être en mesure d’opérer dans un environnement sécurisé, et bénéficier d’un accès libre et sans entraves eux bureaux de vote.

Les élections parallèles organisées par les séparatistes ne sont pas susceptibles de se conformer à ces normes de base, ni même d’être correctement contrôlées par l’OSCE/BIDDH. Si les séparatistes ne peuvent accepter que les élections soient organisées par Kiev, alors un intermédiaire – par exemple, les Nations Unies- pourrait être invité à les organiser, comme cela fût fait dans de nombreux autres cas, notamment dans les Balkans. Mais le temps est compté.

La tenue d’élections parallèles dans le Donbass risque de conduire à une impasse politique, et de compromettre l’accord de Minsk. Les séparatistes pourraient réclamer un nouveau mandat politique, tandis que Kiev maintiendrait qu’ils sont illégitimes. Cela pourrait mettre fin à la perspective d’un statut spécial pour les territoires et empêcher la réhabilitation du contrôle par l’Ukraine de la frontière avec la Russie.  Avec la disparition de la feuille de route politique, le risque que l’opinion publique se rallie à une option militaire augmenterait.

L’Union européenne devrait prendre une position de principe et envoyer un message clair à Moscou et ses mandataires que les élections dans les zones se trouvant sous leur contrôle doivent être tenus en vertu de la loi ukrainienne. Les élections doivent également se conformer aux normes de l’OSCE et être surveillées par l’OSCE/BIDDH, afin d’être conforme à l’accord de Minsk. Tout autre forme d’élection serait une violation de l’accord et éroderait le processus de paix déjà fragile. 

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