Les crises en Méditerranée et les troubles en Libye : quel est le plan de l’Europe au-delà des migrations ?

Mattia Toaldo examine la réalité géopolitique en Afrique du Nord et s'interroge sur la réponse européenne.

Il y a un an, l'organisation État islamique (EI) a conquis Mossoul, ce qui a eu pour effet de précipiter les conflits en Irak et en Syrie sous les projecteurs. A présent, au printemps 2015, l'attention (rare) au sujet de la politique étrangère de l'Europe se concentre sur l'Ukraine et la Russie et le reste se partage à parts égales entre la Syrie, l'Irak et la crise qui se développe dans le Sud de la Méditerranée dont l’épicentre se situe en Libye.

La guerre civile en Libye a commencé quelques semaines avant que Mossoul tombe sous le contrôle de l'EI. Depuis ce moment, l'Envoyé spécial de l'ONU Bernardino Leon, avec le soutien de l'UE et des plus grands Etats membres, tente de trouver un accord de partage du pouvoir entre les différentes factions – une tâche ardue étant donné que les alliés régionaux de l'Europe sont engagés dans un jeu à somme nulle dans lequel la Libye est l'un des champs de bataille.

La proximité géographique de la Libye et de l'Europe en fait une porte d’entrée pour deux phénomènes extrêmement importants qui affectent les Etats membres : la montée de l'EI et les migrations en Méditerranée. On ne s’attend à ce qu’aucun de ces deux problèmes ne s’arrange dans un futur proche, en particulier s’il se produit une escalade du conflit. L’effet sur les voisins d'Afrique du Nord de la Libye pourrait être significatif étant donné que tous sont en train de passer par une phase de transition complexe.

Le plus grand voisin de la Libye, l'Egypte, a vu le niveau de violence – souvent de la violence d'Etat – croître lors de cette dernière année. Bien que l'économie semble encore être en difficulté, l'armée du pays est engagée sur de nombreux fronts : de la manière la plus visible dans le Sinaï mais cela s’ajoute à des engagements vis-à-vis de la sécurité intérieure et de la participation symbolique (au moins pour le moment) de l’Egypte au sein de la coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen.

La Libye est considérée par l’élite du pays comme une composante de la bataille interne contre l'extrémisme islamiste et le président de l'Egypte le Maréchal Sissi a toujours soutenu le gouvernement libyen de Tobrouk reconnu par la communauté internationale sur un plan politique et avec des livraisons d'armes. De pair avec les Émirats arabes unis, l'Egypte a également mené de nombreuses frappes aériennes en Libye dont certains ont été reconnues publiquement. Dans quelle mesure un accord de partage du pouvoir avec ceux considérés comme des « terroristes islamistes » par l'Égypte et Tobrouk est possible est une question à laquelle l’Europe devra répondre si elle veut donner un soutien concret à une solution politique.

A l'ouest, l'Algérie a été très active en Libye même si elle manque de mandats clairement définis dans le conflit et qui n’a, contrairement à l’Egypte, aucune participation militaire visible. Au lieu de cela, l'Algérie a essayé de devenir un chef de file dans les négociations politiques mais sans y arriver de manière spectaculaire.

L'Algérie a jusqu'ici montré un certain degré de résilience face à la faiblesse des prix du pétrole, à la hausse des demandes sociales et à la lutte de pouvoir pour succéder à Bouteflika. Savoir combien de temps durera cette résilience et savoir comment l'Europe gérerait une crise dans le pays est une question qui reste ouverte.

Enfin, les prochaines années détermineront si la transition – jusqu'ici – démocratique et pacifique de la Tunisie est vouée à constituer une exception ou si elle peut devenir un exemple. La crise qui se développe en Libye depuis 2011 a largement affecté la Tunisie en raison à la fois de l’afflux de plus d'un million de Libyens et de la montée de la violence politique de la part de tunisiens formés en Libye. Ces deux phénomènes ont tous deux eu des répercussions sur l'économie de la Tunisie.

En fin de compte, la Libye est l'épicentre de l'instabilité en Afrique du Nord et le canal par lequel une certaine radicalisation et les migrants se déversent en Europe. Si le dialogue politique en Libye cale ou s’arrête, l'Europe pourrait être tentée de procéder à une simple mesure de confinement mais sans des voisins fiables, cela pourrait se révéler inefficace.

L'Union européenne (UE) et les Etats membres concernés devront peut-être travailler sur deux niveaux distincts afin de redémarrer un processus politique plus que nécessaire, de désamorcer le conflit et d’éviter une crise humanitaire. Le premier niveau est local en soutenant les accords de paix locaux en particulier dans l’ouest et le sud de la Libye où ces dangers sont plus pressants. Le second niveau est international et implique de dépasser ce jeu à somme nulle au niveau régional qui a prévalu depuis le coup d’Etat de 2013 en Egypte en tirant parti des changements dans la politique saoudienne et dans les effets de la guerre sur le Yémen.

La manière dont l'Europe fera face aux urgences de court terme tout en se penchant sur des solutions à long terme constitue le véritable défi, encore plus complexifié par la façon dont les migrations méditerranéennes irritent les opinions publiques au niveau national et pousse les gouvernements à adopter un mode de gestion de crise. Dans ce contexte, l'idée de détruire les bateaux des passeurs pourrait être contre-productive tout en éclipsant les bons éléments présents dans l'agenda de l’UE sur les migrations.

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.