Le rude automne de l’Ukraine
Les prochains mois allaient être difficiles pour l’Ukraine, même sans les événements de la semaine dernière.
Les prochains mois allaient être difficiles pour l’Ukraine, même sans les événements de la semaine dernière : l’économie du pays est en difficulté et la guerre qui se poursuit dans les provinces de l’est semble ne pas avoir de fin. Même avant la semaine dernière, ce que l’Ukraine pouvait espérer de mieux pour les douze prochains mois était que le conflit dans l’est continue de faire rage mais sans se propager aux autres régions. Un accord avec des créditeurs privés a également soulagé Kiev, même si de nouvelles réformes sévères doivent être mises en place.
Ces dernières représentent un défi encore plus conséquent. Le retour de violentes manifestations dans la capitale de l’Ukraine a été vu par beaucoup comme un nouveau signe prouvant que les autorités perdent progressivement le monopole de la violence : l’attaque à Kiev survient juste après une fusillade en plein jour à Mukatcheve en juillet dernier, dans la région la plus à l’ouest de l’Ukraine, qui a fait un mort et conduit à la fuite de plusieurs adhérents du parti d’extrême droite Pravy Sektor. La crise politique s’est également accentuée, avec le départ du Parti radical d’Oleh Liachko de la coalition au pouvoir.
Mais alors que les choses se corsent à Kiev, la situation n’est pas aussi désespérée qu’il y parait. L’émeute devant la Rada, bien que mortelle, n’était pas soutenue par l’opinion publique. Cette dernière s’est pour la majorité ralliée au gouvernement et aux forces de police. Des centaines de personnes sont allées au Parlement depuis l’explosion mortelle afin d’y déposer des fleurs. Les soldats qui se battent sur le front ont appelé publiquement à ce que leurs compatriotes restent calmes et s’abstiennent de tout acte de violence, argumentant que le pays n’a pas besoin d’une guerre civile en plus de la guerre qui a lieu contre la Russie.
Ces événements marquent également une étape importante dans l’éventuelle dissolution du parti non-parlementaire Liberté, l’un des principaux organisateurs de la manifestation. Celui-ci a perdu de nombreux soutiens et ses dirigeants font à présent l’objet d’une enquête afin de déterminer leur rôle dans les violences de lundi dernier. De plus, le professionnalisme de la police – qui a arrêté le principal suspect juste après l’explosion, calmé d’autres manifestants violents et rapidement procédé à des investigations criminelles – est vu par beaucoup comme un changement notoire comparé à la manière dont l’impopulaire police anti-émeutes Berkut géra les manifestant pacifiques de l’Euromaïdan sous le précédent régime politique.
Le départ de la coalition du Parti radical d’Oleh Liachko a engendré beaucoup de questions quant à la durabilité du gouvernement actuel : le changement a eu lieu au lendemain de l’adoption, à la première lecture par le Parlement de changements constitutionnels donnant plus de pouvoir aux régions ukrainiennes (de même, sur le long-terme et après la mise en place d’élection libres, aux régions contrôlées actuellement par les séparatistes). Tout comme le parti Bat’kivshchyna de Ioulia Timochenko, le Parti radical était un petit membre au sein de la coalition au pouvoir. Les deux partis se sont fortement reposés sur des slogans populistes et ont fréquemment critiqué le gouvernement.
Alors que ni le parti de Timochenko ni celui de Liachko n’ont voté pour la décentralisation lundi dernier, et que le gouvernement allait peu probablement trouver des alliés au sein de l’opposition pour faire accepter la dernière version du projet de loi avant les élections locales en Octobre ( qui requiert une majorité à deux tiers), la décision du Parti radical complique néanmoins la politique de la coalition. Cela donne aux deux autres petits membres de la coalition restants – le parti Samopomisch du maire de Lviv, Sadovy, et le parti Bat’kivshchyna de Iuliya Tymochenko- plus de poids dans la coalition. Cela rend également les deux membres clés – le parti Bloc du Président Porochenko et le Front populaire du Premier ministre Iatseniouk- plus dépendant des accords ad hoc avec d’ignobles partenaires comme le Bloc d’opposition -le nouveau nom du Parti des régions- et les groupes « d’indépendants » (qui agissent souvent dans l’intérêt des oligarques). Cela a déjà été le cas la semaine dernière – le projet de loi de décentralisation a été approuvé seulement grâce au soutien de l’opposition parlementaire, y compris le Bloc d’opposition.
Plus important encore, cela donne une plus grande importance à ce que les membres du parlement du Président et du Premier Ministre soutiennent les politiques du gouvernement. Ce sera un défi : la discipline des partis des deux côtés a été tout au mieux volatile. Même si le gouvernement a en théorie maîtrisé une majorité constitutionnelle confortable à la Rada jusqu’à la semaine dernière, on rapporte que moins de la moitié des projets de loi du gouvernement ont été adoptés. La plupart de ceux qui l’ont été, ont été modifiés jusqu’à être méconnaissables par les membres de parlement des partis au pouvoir. En comparaison, le gouvernement de coalition réformiste de Mikulas Dzurinda, au pouvoir en Slovaquie de 1998 à 2002, avait vu plus de 90 pour cent de leurs projets de lois soutenus par le parlement, bien que la coalition ait été peu maniable, car elle incluait d’anciens communistes, et que ses réformes aient été impopulaires.
La marge de discussion et de surveillance parlementaire du gouvernement ne devrait jamais être restreinte, seulement en Ukraine, les délibérations de la Rada se transforment souvent en sabotage des réformes du gouvernement, dans l’espoir d’en extraire des faveurs pour les particuliers ou les groupes commerciaux. L’Ukraine a eu quelques gouvernements de coalition au cours des deux dernières décennies, et aucun d’eux n’était très fonctionnel ; l’approche « du gagnant emporte tout » est toujours le style préféré des politiciens ukrainiens.
Le départ de l’un de ses partenaires cette semaine ne marque pas la fin de la coalition actuellement au pouvoir. Mais cela souligne toutefois la nécessité pour les politiciens ukrainiens de commencer à s’engager dans des politiques de coalitions sérieuses, avec tous les accords, contrôles et équilibres internes complexes que cela sous-entend. Les tâches intimidantes auxquelles les autorités doivent faire face viennent de devenir encore plus ardues.
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