Le Grand débat national d’Emmanuel Macron peut-il sauver sa présidence ?

La bataille contre le populisme en Europe ne sera pas gagnée en collant au discours anti-immigration, mais en écoutant les véritables préoccupations des citoyens.

Également disponible en

La bataille contre le populisme en Europe ne sera pas gagnée en collant au discours anti-immigration, mais en écoutant les véritables préoccupations des citoyens.​

Début janvier, dans une lettre ouverte adressée à ses concitoyens, le président Emmanuel Macron a suggéré que l'adoption de quotas en matière migratoire pourrait aider à résoudre la crise des gilets jaunes. Cette idée, comme on pouvait s’y attendre, a fait grimacer à gauche. Elle a aussi ramené le souvenir d’un entretien accordé à The Guardian par Hillary Clinton, dans lequel elle avait donné son point de vue sur la cause profonde du populisme de droite. « Je pense que l'Europe a besoin de reprendre le contrôle sur la question migratoire parce que c'est ce qui servi de détonateur », avait-t-elle déclaré. Clinton soutenait qu’il fallait affronter les populistes sur leur propre terrain et que les partis libéraux devraient adopter une position plus ferme à l'égard de l'immigration.

Alors que l'Europe est à quelques mois à peine d'une élection parlementaire européenne cruciale, la tâche urgente est la suivante : faire éclater les bulles dans lesquelles nous vivons. 

Sur la base de ma contribution à la campagne présidentielle de Macron, je me permets d’avoir un avis différent. Alors que l'Europe est à quelques mois à peine d'une élection parlementaire européenne cruciale, au cours de laquelle les populistes de gauche comme de droite chercheront à gagner des sièges, la tâche urgente à laquelle les démocrates et les libéraux doivent s'atteler est la suivante : faire éclater les bulles dans lesquelles nous vivons. Comprendre l'opinion publique est incroyablement difficile. En 2016, ma société d'analyse de données a participé au lancement du mouvement En Marche ! de Macron, qui a commencé avec la « Grande Marche » : une vaste opération de porte-à-porte pour recueillir l’avis de milliers de citoyens à travers la France.

L'opinion publique est comme un iceberg : il est facile de savoir ce que pensent les gens au sommet, surtout parce qu'ils tweetent, publient sur les réseaux sociaux, parlent à la télévision ou écrivent dans les journaux ; mais il est bien plus difficile de pénétrer ce qui se trouve sous la surface, pour savoir ce que pense la majorité silencieuse.

Suggérer qu'une politique plus dure sur l'immigration pourrait juguler la montée du populisme serait convaincant si l'immigration était vraiment une priorité pour les citoyens qui ont voté pour les populistes, ou qui pourraient le faire. Pourtant, ce n'est pas du tout ce que les données montrent.

Pour avoir une image complète, il faut faire éclater les bulles de pensée dans lesquelles nous vivons tous, ce que les nouvelles technologies et la collecte de données à grande échelle permettent. C'est un cliché de dire que la quantité de données générées en ligne a explosé. Les données « hors ligne » sont tout aussi importantes. Les conversations avec les habitants des quartiers où le vote populiste a considérablement augmenté lors des dernières élections peuvent donner des résultats surprenants.

Une étude que mon entreprise a contribuée à mener en France et en Allemagne reposait sur le principe suivant : la meilleure façon d'amener les gens à partager ce qui les préoccupe est de poser face à face des questions ouvertes et non techniques auxquelles chacun peut répondre, par exemple : « Qu'est-ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas dans votre ville ou pays ?, « qu'est-ce que vous changeriez en politique ? », « qu'est-ce qui vous inquiète pour l'avenir ? ». C'est le genre de travail de terrain fondé sur la proximité et l'écoute sur lequel l'initiative de la « Grande Marche » était construite, et qui a permis à Macron d'identifier les enjeux les plus importants pour les Français en amont de la campagne présidentielle de 2017. La clé du succès serait un message politique visant à convaincre les citoyens qu'ils seront pleinement pris en compte, et non laissés pour compte.

La clé du succès serait un message politique visant à convaincre les citoyens qu'ils seront pleinement pris en compte.

Les données recueillies en France et en Allemagne révèlent que la raison pour laquelle les citoyens attirés par les partis populistes expriment de la rancœur envers les « médias et la politique » est que ces derniers ont des priorités qui ne correspondent pas du tout aux préoccupations de ces citoyens. Ces préoccupations les plus importantes sont « la précarité des conditions de travail, les soucis financiers et le déclin des infrastructures sociales ». Les données tirées des conversations de porte-à-porte montrent que le discours anti-immigration des partis populistes de droite est beaucoup moins répandu parmi leurs électeurs qu'on ne le pense généralement.

Les gens ne parlent pas spontanément des migrants lorsqu’on les interroge réellement sur leur vie. Ils se plaignent plutôt d'un manque d'attention de la part des responsables politiques et des institutions publiques. Les électeurs qui se tournent vers les partis populistes, qu'ils soient de gauche ou de droite, disent souvent qu'ils se sentent « abandonnés ».

Il est vrai que la crise des réfugiés en Europe de 2015-2016 a exacerbé un sentiment d'abandon largement répandu. Mais les leçons tirées de l'étude sont claires : un nombre croissant de citoyens se sentent pris au piège et ont perdu tout espoir que leur vie et celle de leurs enfants s'améliorent un jour. Ils veulent des politiques qui les écoutent davantage, qui comprennent mieux les défis auxquels ils sont confrontés et qui proposent des solutions pratiques –pas des boucs émissaires.

C'est pourquoi instaurer des politiques migratoires plus strictes n’est qu’une solution à courte vue. Nous formons tous nos opinions politiques à l'intérieur de bulles différentes et d'une manière qui peut souvent alimenter les malentendus et la polarisation. Ces bulles rendent impossible la construction d'une vision commune pour l'avenir. Mon travail d'analyse des perceptions des électeurs dans différents pays européens m'a convaincu que les bulles sociales et politiques sont l'un des plus grands problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.

Ceci s'applique également aux difficultés actuelles de Macron. Il tente de mettre en œuvre des mesures politiques d'urgence pour mettre fin à la crise des gilets jaunes qui a ébranlé sa présidence, d'où sa consultation nationale populaire de deux mois, lancée avec sa lettre ouverte. Là encore, il est facile de ne voir que la pointe de l'iceberg : la plainte populaire contre les impôts et le faible pouvoir d'achat qui ont constitué le détonateur initial.

Réagir en baissant les impôts et en parlant de limiter l'immigration ne permettra pas d’aller très loin. En fait, cela pourrait bien être l'équivalent de la recette mal conçue de Clinton contre le populisme. Il est plus important de faire la preuve d'une véritable capacité d'écoute. Le défi pour Macron est désormais de convaincre ses concitoyens que son Grand débat national sert précisément à cela.

Des correctifs immédiats ne résoudront pas le problème des gens qui se sentent coupés de ceux qui prennent les décisions. Il vaut mieux commencer par sonder les couches les plus profondes de la société, recueillir des données hors-ligne en prenant le temps d'écouter les citoyens d'une manière plus attentive – plutôt que par des sondages instantanés. Cela aiderait également à élaborer des politiques susceptibles d'améliorer la vie des gens à long terme. Si le danger populiste peut être évité en Europe, un élément clé de la solution consiste non pas à céder aux slogans anti-migrants, mais à travailler à faire éclater ces bulles dans lesquelles les personnes sont trop souvent cadenassées.

Guillaume Liegey est PDG et fondateur de Liegey Muller Pons (LMP), une entreprise de technologie basée à Paris qui développe des solutions innovantes pour comprendre l'opinion publique. Il est également membre du Conseil de l’ECFR.

Cet article a été publié pour la première fois le 22 janvier 2019 sur The Guardian.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle de l’ECFR.

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.