Le Brexit et la défense : serait-il temps de dépoussiérer la « lettre d’intention » ?

La Grande-Bretagne et les Etats membres de l’UE doivent rester liés sur les questions de défense. 

Également disponible en

En principe, les couples qui divorcent devraient faire en sorte de préserver une forme de coopération après la rupture. Ils y arrivent parfois. La Grande-Bretagne comme les 27 Etats membres restants de l’Union européenne ont intérêt à rester aussi proches que possible s’agissant des questions de politique étrangère et de défense. L’énigmatique « lettre d’intention » (ou LoI, un accord de coopération datant des années 1990 entre les six principales puissances productrices d’armement en Europe : la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni) pourrait jouer un rôle d’intermédiaire utile dans le domaine de la défense.

Bien entendu, la campagne du « Leave » exhortait les citoyens britanniques à échapper à la contrainte d’une « armée européenne ». Les vieux mensonges sont souvent les meilleurs et, après tout, ce fantasme avait été tout aussi efficace à faire rejeter le traité de Lisbonne par les Irlandais en 2008. Cependant, maintenant que l’objectif principal des partisans du Brexit est accompli, il est à nouveau possible d’être factuel. Le fait est justement que la coopération de défense européenne a toujours été, et sera toujours, entreprise sur une base entièrement volontaire par chaque Etat membre, dans la mesure qu’il le souhaite, en tant que nation souveraine. (Aucun de ces Etats, bien entendu, ne désire une armée européenne). Le rôle des institutions bruxelloises dans tout ceci est purement accessoire – que la Commission injecte de l’argent pour la recherche sur la défense, que l’Agence européenne de défense apporte des analyses, des idées et un support administratif. C’est avant tout aux Etats membres de prendre les décisions.

Ainsi, le principe d’un retrait de l’Union européenne (UE) ne sera pas remis en question par la poursuite de la coopération de défense avec les partenaires européens après le Brexit. Quiconque souhaitant savoir en quoi conserver cette coopération est au cœur notre intérêt national britannique n’a pas besoin de regarder plus loin que le discours de David Cameron au British Museum pendant la campagne.

 Et que dire des continentaux ? Ils devraient avoir envie de continuer à bénéficier du poids militaire et de la sagesse de la cinquième puissance économique mondiale (certes, elle est maintenant la sixième – mais le PIB peut aussi bien grimper que chuter). Certains pourraient même être médisants et suggérer que même dans l’Union européenne nous avons été plus une force d’obstruction que de construction sur les questions de défense. D’autres pourraient même affirmer que « out is out », pour décourager d’autres potentiels déserteurs. Mais il est certain que des conseils plus sages prévaudront – après tout, les démocraties matures n’iraient pas se tirer une telle balle dans le pied… 

Reste à voir si les politiques permettront réellement ou non une coopération de défense mutuellement bénéfique. Si le bon sens et la patience reprennent le dessus, un partenariat privilégié entre le Royaume-Uni et l’Union européenne pourrait être un objectif raisonnable – le type de partenariat que l’OTAN a avec des Etats « neutres » comme la Suède et la Finlande. Le problème est de savoir comment l’UE pourrait offrir cela au Royaume-Uni sans avoir à l’offrir aussi à la Norvège (pas de problème), la Turquie (sérieux problème), ou même l’Ukraine ? Comment le définir et le concrétiser sous la forme d’un changement de traité, puisque c’est ce qui serait nécessaire ? Et quelle priorité donner à ces questions par rapport, par exemple, aux aspects économiques et migratoires de la séparation ? Mon hypothèse est que nous y arriverons – à un partenariat de politique étrangère et de défense privilégié – mais pas avant très longtemps.

Entre temps, il pourrait être utile de dépoussiérer la LoI « Restructurer l’industrie européenne de la défense ». « L’accord-cadre sur la LoI a été signé le 27 juillet 2000 par les ministres français, allemand, italien, espagnol, suédois et britannique de la défense. Son objectif était de créer le cadre politique et légal nécessaire pour faciliter la restructuration industrielle indispensable à la promotion d’une Base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) plus solide et compétitive sur le marché mondial de la défense ».

Tout cela semble un peu technique. En réalité, cet accord reflétait l’ambition de parvenir à une convergence de l’offre et de la demande sur le marché de la défense en Europe. En pratique, cela mènerait à une coopération plus étroite sur tous les aspects de la défense, mis à part les opérations en cours.

Comme ce document d’orientation du gouvernement britannique l’explique, la création de l’Agence européenne de défense (AED) a pris de vitesse le forum sur la LoI. (En tant que directeur général fondateur de l’AED, j’étais naturellement désireux que cela se produise : tout d’abord parce que le club des six, qui manquait d’un secrétariat ou d’une surveillance ministérielle permanents, était inefficace ; mais aussi parce que le concept de l’AED se voulait trop englobant. L’idée était que les collaborations en petit comité pourraient servir d’exemple, notamment en termes de coordination au niveau européen). Cependant, l’accord est resté en place et sert désormais de cadre légal pour poursuivre la coopération, en attendant qu’une relation plus développée entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne sur les questions de défense et de sécurité soit mise en place.

Si le directeur général actuel de l’AED lisait ces lignes, il s’en arracherait probablement les cheveux. Cela voudrait dire que l’AED perdrait tout contenu, avec les cinq autres puissances de la défense européenne qui suivraient la Grande-Bretagne hors de toute réelle coopération européenne de défense. Bien entendu, cela serait intolérable, mais pourrait être évité, à mon sens, en s’accordant sur de nouvelles règles de base de coopération entre l’Agence et le groupe LoI. Les cinq autres pays devraient continuer en tant que principaux participants de l’Agence, ne rencontrant le groupe LoI que lorsqu’il sera intéressant d’impliquer les Britanniques. De son côté, le groupe LoI devrait utiliser l’Agence comme son secrétariat afin de gagner en visibilité auprès des autres membres et que son activité soit rapportée régulièrement auprès du conseil de direction ministériel de l’Agence (qui pourrait ainsi inviter le ministre britannique de la défense à prendre part à certaines occasions).

Il est possible qu’il y ait des objections légales insurmontables à cette petite astuce. Mais je ne vous en fais pas part car je suis confiant dans le fait qu’un accord mutuellement bénéfique entre l’AED et le groupe LoI serait bien plus aisé et rapide à conclure qu’une définition de l’intégralité des relations post-Brexit entre l’UE et la Grande-Bretagne sur les sujets de défense. A condition, il est vrai, qu’une certaine volonté de coopérer survive au divorce. Je rappellerai à nos futurs ex-partenaires européens que les jeunes britanniques ne sont pas à condamner pour l’issue de ce référendum. Ils ont, en effet, très largement voté pour le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE. Dans le domaine de la défense comme dans les autres, faisons-en sorte de sauver ce qu’il est encore possible. Faisons-le au moins pour eux. 

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.