La révolution politique en demi-teinte de l’Europe représente un cauchemar pour l’Allemagne
Commentaire de Josef Janning sur la perte de vitesse des partis traditionnels en Europe.
Alors que le Premier ministre britannique David Cameron est en train de lancer sa campagne pour réformer l'Europe ou pour obtenir plus d'exemptions pour la Grande-Bretagne et qu'un défaut de la Grèce pointe à l'horizon, les efforts de la chancelière allemande Angela Merkel pour continuer de faire avancer l'Union européenne sont devenus plus couteux: après les élections présidentielles en Pologne et les élections régionales en Espagne, deux autres pays ont pris la première place sur la liste de ses préoccupations concernant ses partenaires européens.
Certainement, les électeurs ont davantage réagi aux questions nationales et ont bien exprimé leur désapprobation des partis de l’establishment en Pologne et en Espagne mais pour de nombreux citoyens, l'UE est liée à ces deux sujets. Le sentiment d'éloignement de la classe politique nationale débouche facilement sur un jugement négatif du processus politique européen qui est encore plus éloigné des gens, moins bien compris par eux et qui constitue un traditionnel bouc émissaire dans les discours politiques adressés aux électeurs. Pour les analystes comme pour les responsables de campagne, la profonde transformation des systèmes de partis au sein de l'Europe post-division et pré-fédérale reste encore un puzzle comptant trop de pièces différentes. Il est devenu évident que les structures des partis traditionnels sont partout en train de s’étioler, souvent au ralenti, à la place d'une implosion comme ce fut le cas pour les parties d’Etat de l'ex-bloc de l'Est. Les troubles intellectuels, cependant, découlent de la question totalement ouverte de savoir ce qui va remplacer ces structures.
L’Europe centrale et orientale a vécu 25 ans de fragmentation politique en raison de parties naissant ou mourant plus vite qu'à aucun autre moment de l'histoire récente, de changements massifs entre partis lors des élections et du rôle grandement accru des personnalités dans les campagnes politiques. Comme le montre Piotr Buras dans son analyse des élections présidentielles polonaises, la période d'incertitude et de flux n'est pas encore finie et la façon dont elle se terminera et le moment où elle se terminera restent inconnus.
Dans les « vieux » Etats membres de l'UE, ces questions ont longtemps eu l’air de suivre une transformation progressive, ponctuée par quelques évolutions aberrantes comme la Ligue du Nord et l’ascension de Forza Italia, parti de l'ancien Premier ministre italien Silvio Berlusconi. A présent, il est devenu évident que les systèmes de partis à l'Ouest sont en train de traverser la même refonte fondamentale comme ce fut le cas à l'Est – le processus a juste l’air différent. La gauche traditionnelle européenne se débat avec le peu d’attrait qu’elle déclenche dans un contexte marqué par la désillusion générale concernant l’espoir d'une vie meilleure garantie par la redistribution assurée par l'Etat-providence. La conquête de postes au sein de l’establishment par des politiciens socialistes ne bénéficie plus de la légitimité attachée au fait de briser le contrôle exercé par les anciennes élites conservatrices sur l'Etat et l'économie. Au contraire, aux yeux de beaucoup de gens, la gauche est devenue une énième composante de l’establishment. Lors de la période où les clivages traditionnels primaient, le clientélisme à gauche pouvait être accepté comme l’idée que « nous » prenions des choses à « eux »; de nos jours c’est juste du patronage.
La droite traditionnelle européenne a défendu les valeurs traditionnelles, le capitalisme et (au moins sur le continent) la justice sociale souvent vue de façon un peu paternaliste. A présent, elle se débat avec la disparition des milieux traditionnels et avec cette même désillusion parmi l'électorat au sujet de la justice sociale telle qu’organisée par l'Etat-providence. Son défi le plus compliqué, cependant, est l'érosion du soutien à l'internationalisme pragmatique des partis conservateurs européens. L'UE était exactement leur projet etla montée des partis anti-UE ou nationalistes constitue une attaque directe pour eux. Alors que les croyances religieuses, les valeurs familiales, l'idéologie du propriétaire-entrepreneur ou les rôles homme/femme ont tous disparu de leur discours au moment où les sociétés s’individualisaient, ils ont perdu leur sujet de prédilection à propos de l'identité nationale ou du patriotisme en s’efforçant d’approfondir l'intégration européenne. De nouveaux partis de droite dénoncent ce pragmatisme conservateur à propos de l'Europe et retournent même l'approche des dirigeants du Parti populaire européen sur l’intergouvernementalisme contre eux. Pour les nouveaux nationalistes chercher à exercer le contrôle sur l'UE à travers le rôle central du Conseil européen est peu enthousiasmant au mieux ; cette solution est beaucoup plus modérée que diminuer le pouvoir de Bruxelles en rapatriant des compétences et en prenant leurs destins entre leurs mains au niveau national.
Alors que la participation de l'UE échoue à prodiguer prospérité et demandes de mesures sociales qu’ont beaucoup, les revendications européennes des deux partis traditionnels de gauche et de droite tournent au désastre, ce qui s’ajoute à l'élan du changement en cours, résultat de l’évolution de la société. La fin de cette transition n’est pas en vue mais certains éléments indiquent qu'elle ne sera pas marginale. A un moment ou un autre, le centre politique de la plupart des Etats membres de l'UE traversera une zone de turbulences, sera contesté et pris d’assaut par de nouvelles forces politiques avant de pouvoir redevenir stable.
La grande question est de savoir si l'UE peut survivre à une telle période de changements prolongés. Y aura-t-il assez de temps pour les dirigeants politiques pour « ré-apprendre » l'Europe tandis qu’ils émergent des ruines des systèmes de partis traditionnels ? Aussi, comment gérer l'UE pendant cette période ? La sagesse actuelle semble indiquer qu’il faille rester sur ses gardes en évitant toute ambition constitutionnelle – même si le Parlement européen prépare justement cela – pour se détourner d’un changement majeur de traité et pour renforcer le contrôle des gouvernements des États membres. Cette approche est devenue plus problématique pour ses partisans au premier rang desquels se trouve la chancelière Merkel. Selon elle, la Grande-Bretagne ne doit pas être encouragée à partir mais ne doit pas non plus obtenir ce qu’elle veut en faisant passer l'UE en marche arrière. De même, l'Espagne doit rester dans son rôle de cas le plus prometteur de discipline budgétaire dans le sud de l'UE. La Pologne enfin, est la clé pour maintenir le pivot de stabilité de l'UE. Si les élections présidentielles polonaises transmettent un message pour l'avenir de la politique européenne de la Pologne, l'adhésion à l'euro du pays vient d'être reportée pour au moins une décennie supplémentaire. Il est devenu encore plus crucial de garantir le positionnement de la Pologne au centre politique de l'UE, position que l'Allemagne occuperait bien. Pour cela, des relations bilatérales étroites entre les pays sont essentielles. Si la relation que la chancelière Merkel et le président de l'UE Donald Tusk ont ​​construit ne dure pas, un pilier de l'architecture de l'Allemagne pour l'UE s’effondrera.
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