Au-delà du problème Netanyahou : Pourquoi les Européens doivent développer une approche globale d’Israël
Alors que le mécontentement des Israéliens à l’égard de Netanyahou s’accroît, il est probable que ce dernier demeure Premier ministre, et qu’il continue à faire obstacle à toute avancée diplomatique crédible avec les Palestiniens. Pour autant, même s’il était démis de ses fonctions, la résistance israélienne à l’autodétermination palestinienne demeurerait.
Près d’un an après le 7 octobre, les attentats menés par le Hamas continuent de secouer la société et la politique israéliennes. Ce samedi (14/09/24), des milliers de personnes se sont rassemblés à Tel-Aviv et dans d’autres villes du pays, dans le cadre des manifestations antigouvernementales hebdomadaires, appelant à un accord de cessez-le-feu immédiat pour mettre fin à la guerre à Gaza et à la libération des otages israéliens détenus par le Hamas.
Au cœur de leur mécontentement se trouve Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien demeuré le plus longtemps en exercice et qui prend un virage de plus en plus illibéral. Bien que le dirigeant chevronné s’attache depuis longtemps à se présenter comme « Monsieur Sécurité », de nombreux Israéliens lui reprochent de ne pas avoir empêché l’offensive surprise menée par le Hamas et de ne pas parvenir à faire libérer tous les otages israéliens.
Cette pression croissante sur Netanyahou est une opportunité pour les diplomates européens et américains d’utiliser leur influence politique et militaire pour pousser le Premier ministre en difficulté à s’engager en faveur d’un cessez-le-feu tant attendu à Gaza et à mettre un terme aux attaques contre le Hezbollah qui mènent la région au bord de l’escalade.
Toutefois, les difficultés d’Israël vont au-delà de Netanyahou. Sa capacité à rester au pouvoir traduit la faiblesse de l’opposition politique dans le pays et reflète une opinion publique israélienne qui reste opposée à une paix durable avec les Palestiniens. Les Européens doivent donc faire comprendre à tous les Israéliens que la poursuite de l’intransigeance et du conflit se fera au coût d’un isolement international croissant.
L’obstructionnisme de Netanyahou
Netanyahou s’est engagé à plusieurs reprises à éliminer le Hamas et à libérer tous les otages israéliens. Mais ces objectifs restent élusifs et, pour de nombreux observateurs ainsi qu’un nombre croissant d’Israéliens, ils sont mutuellement incompatibles. Après 11 mois, l’incursion de l’armée israélienne dans la bande de Gaza a tué au moins 40 000 Palestiniens, dont une majorité de civils. Bien qu’Israël ait tué des milliers de militants du Hamas, le groupe islamiste continue de régénérer ses effectifs en exploitant la large colère populaire face aux actions israéliennes.
Dans le même temps, les otages israéliens continuent de disparaître et les autorités israéliennes pensent que seuls 70 d’entre eux vivent encore. Bien que 105 otages aient été libérés dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu temporaire en novembre 2023, Netanyahu a priorisé l’action militaire pour libérer les otages restants. Les forces de sécurité israéliennes n’ont pourtant secouru jusqu’à présent que huit otages, tandis qu’un nombre bien plus important d’entre eux ont été tués en conséquence de l’action militaire ininterrompue d’Israël.
De nombreux Israéliens accusent Netanyahou de faire obstacle à des mois d’efforts de médiation menés par les États-Unis, le Qatar et l’Égypte pour un accord qui permettrait de libérer les otages restants. Les personnes impliquées dans les tentatives de cessez-le-feu, y compris au sein de l’équipe de négociation d’Israël, ont accusé le premier ministre israélien de torpiller délibérément les pourparlers chaque fois qu’un accord semblait proche, comme en jurant de reprendre les combats une fois que le Hamas aurait libéré les otages et en faisant assassiner le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, avec lequel Israël négociait. Plus récemment, Netanyahou a introduit de nouvelles conditions de dernière minute, exigeant une présence israélienne permanente dans les corridors dits de Philadelphie et de Netzarim – il est bien connu que c’est un non-lieu pour le Hamas, qui continue d’exiger un retrait total d’Israël de la bande de Gaza.
En privé, les responsables américains se plaignent de l’obstructionnisme de Netanyahou. En public, l’administration Biden préfère pourtant blâmer le Hamas, bien que le groupe ait accepté une proposition américaine de cessez-le-feu présentée par le président Joe Biden à la fin du mois de mai 2024. La menace d’une guerre élargie entre Israël et le Hezbollah au cours de l’été a conduit les États-Unis à redoubler d’efforts pour élaborer une proposition de rapprochement entre les deux camps. Mais en l’absence de toute volonté des Etats-Unis de tenir tête publiquement à Netanyahou et d’utiliser de véritables moyens de pression – tel que l’arrêt ou la limitation de l’envoi d’armes américaines dont Israël a besoin pour sa campagne militaire, le premier ministre israélien a continué à obstruer les négociations.
Une opinion largement répandue en Israël est que Netanyahou, actuellement en procès pour corruption et fraude, considère que son avenir politique (et personnel) dépend de la poursuite du conflit à Gaza. Bien que sa coalition ait subi plusieurs défections, notamment le départ du chef du Parti de l’unité nationale, Benny Gantz, elle conserve une majorité gouvernementale avec 64 des 120 sièges de la Knesset. Un cessez-le-feu risquerait de faire s’effondrer son gouvernement, étant donné le refus catégorique de ses partenaires d’extrême droite de conclure un accord avec le Hamas.
Alors que Netanyahou travaille à éviter de nouvelles défections, les membres de son gouvernement profitent de la vulnérabilité politique du Premier ministre israélien pour faire avancer leurs propres positionnements idéologiques. Il s’agit notamment des personnalités d’extrême droite du gouvernement, comme le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, qui soutiennent l’annexion de jure de la Cisjordanie par Israël. Depuis le 7 octobre, le gouvernement israélien a accéléré la mise en place de colonies en Cisjordanie afin de renforcer le projet d’un « Grand Israël » qui serait fatal à tout espoir de solution politique viable avec les Palestiniens à l’issue du conflit. Il y a aussi la possible relance d’un ensemble de réformes judiciaires porté par le ministre de la Justice, Yariv Levin, qui limiterait le pouvoir du système judiciaire israélien – une mesure qui pourrait donner à Netanyahu une stratégie de sortie de ses déboires juridiques. L’année dernière, une première tentative en ce sens avait déclenché de larges manifestations antigouvernementales.
Même si l’opposition intérieure à Netanyahou est de plus en plus forte, celui-ci fait preuve d’une résilience politique étonnante. Comme il l’a fait par le passé, le Premier ministre israélien va tenter de résister à la tempête politique actuelle jusqu’à ce que sa position à l’intérieur du pays s’améliore suffisamment pour qu’il puisse convoquer de nouvelles élections. Il a jusqu’à octobre 2026 pour ce faire. Et Netanyahou a encore des cartes à jouer pour prolonger son mandat, notamment en lançant une potentielle opération terrestre contre le Hezbollah au Liban, ce qui pourrait temporairement rassembler les Israéliens derrière lui. L’attaque stupéfiante contre le Hezbollah au cours des derniers jours (le 17/09/2024), attribuée à Israël, qui a fait exploser des milliers de bippers et de talkies-walkies entre les mains des membres du groupe, va donner une impulsion politique à Netanyahou et pourrait être le prélude à une offensive israélienne de plus grande envergure.
Un phénomène qui dépasse le gouvernement
Toutefois, et c’est plus important encore, on constate que malgré la colère croissante de l’opinion publique à l’égard du gouvernement, l’opposition a totalement échoué à offrir une vision alternative acceptable. Même si un parti d’opposition accédait au pouvoir, il est peu probable que l’ancrage stratégique d’Israël s’en trouve radicalement modifié. Si le départ de Netanyahou pourrait ouvrir la voie à un accord de cessez-le-feu à Gaza, et peut-être à une approche moins conflictuelle à l’égard de l’Autorité palestinienne, aucun grand parti politique juif israélien ne plaide actuellement en faveur d’une solution à deux États ou de la fin du projet de colonisation illégale d’Israël.
Les Européens doivent résister à la tentation de considérer Netanyahou et ses ministres d’extrême droite comme la seule source de résistance israélienne à un processus de paix durable. L’occupation du territoire palestinien, qui s’intensifie depuis des décennies, bénéficie depuis longtemps du soutien de l’ensemble de l’échiquier politique israélien.
Toutefois, les diplomates européens peuvent, et doivent faire davantage pour accroître la pression sur Netanyahou pour qu’il cesse de bloquer les négociations sur le cessez-le-feu, en dénonçant son obstructionnisme. Les gouvernements européens, comme l’Allemagne, qui fournissent une protection politique et un approvisionnement en armes, doivent conditionner leur soutien, en collaborant avec les États-Unis afin d’utiliser leurs leviers de pression pour appuyer davantage en faveur d’un cessez-le-feu qui n’a que trop tardé.
Tout en s’efforçant de mettre fin à la guerre à Gaza, l’Union européenne et les pays européens doivent également se focaliser sur l’arrêt de l’occupation israélienne, tel qu’il a été demandé par la Cour internationale de justice. Ils devraient aller jusqu’à interpeller ouvertement les dirigeants de l’opposition israélienne sur leur propre refus de l’autodétermination palestinienne, et chercher une collaboration renforcée avec la société civile israélienne, les partis politiques et l’establishment militaire qui sont favorables à une nouvelle voie diplomatique. Il est tout aussi essentiel de soutenir les mécanismes internationaux de responsabilisation, y compris les mandats d’arrêt imminents de la Cour pénale internationale, et cela doit être accompagné d’actions plus radicales contre les colonies israéliennes et les violations des droits de l’Homme, notamment en interdisant le commerce depuis les colonies et en sanctionnant les organisations qui financent leur expansion.
Israël n’étant jusqu’à présent pas décidé à prendre une nouvelle voie, les membres de l’UE devraient revoir d’urgence l’accord d’association UE-Israël, tel que l’Irlande et l’Espagne le préconisent, ce qui pourrait faire perdre à ce pays l’accès aux tarifs commerciaux préférentiels, aux instruments de financement de l’UE et aux subventions de la recherche. S’il est de plus en plus aisé de reporter la faute sur Netanyahou, ce conflit ne pourra s’arrêter que lorsque le public israélien lui-même prendra conscience du coût de pérenniser la réalité d’un État unique faite d’occupation perpétuelle et d’inégalité.
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