Attentats de Paris: comment l’Europe doit agir pour combattre Daech

Pour éviter des solutions régressives, il nous faut des politiques qui répondent aux défis au niveau européen.

L'équipe du bureau de Paris: Manuel Lafont Rapnouil, François Godement, Abigaël Vasselier, Laurent Glattli, Tara Varma, Héloïse Priou

Ce qui est arrivé à Paris est le fait de terroristes armés et entraînés pour la guerre. En réalité, c’est un fragment de la guerre au Proche-Orient qui atteint l’Europe. 

Il s’agit évidemment d’une guerre non-conventionnelle, où l’objectif est de prendre l’avantage sur le terrain psychologique en répandant la terreur par le carnage. La France a sans doute été prise pour cible en raison de sa détermination (parfois solitaire) à agir militairement contre Daech et Al-Qaïda, de l’Afghanistan et le Mali à l’Irak et désormais la Syrie. Mais plus que des cibles stratégiques, ce sont nos stades de football, nos cafés et nos salles de concerts – tous autant de symboles de notre vie sociale, de notre jeunesse et de notre diversité culturelle – qui ont été visés.

Notre réponse ne fera pas l’économie d’une action militaire accrue. L’endiguement de Daech a échoué, non pas sur le plan territorial, mais parce qu’il lui est trop facile de frapper hors de son bastion. La capacité de Daesh à organiser, financer et mettre en oeuvre des attaques contre des cibles civiles, que ce soit en Europe ou au Moyen-Orient, doit être éliminée.

Nos objectifs devraient être concrets et limités. Une crise régionale qui détruit des Etats, dresse les confessions les unes contre les autres et profite aux acteurs les plus cruels ne peut trouver de solution facile. Mais les Européens devraient cesser de croire que ne pas intervenir est une position tenable quand des crimes de masse sont commis contre les Yézidis ou les chrétiens, quand des attentats frappent des civils à Beyrouth ou dans un avion de ligne russe. Sans défense de l’avant, le risque est qu’une guerre sans fin s’impose à nous sur notre propre territoire.

Pour autant, il ne peut y avoir d’action militaire réussie sans en mesurer les moyens, les aspects diplomatiques et l’appuyer sur une vision stratégique de l’objectif que nous nous fixons – et de ceux qu’il n’est pas nécessaire ou possible de poursuivre. Des frappes aériennes peuvent fragiliser un adversaire, mais elles ne peuvent pas le détruire à elles seules. Et pour aller plus loin – une action terrestre avec un mandat de l’ONU – il faudrait une convergence des acteurs régionaux. Isoler Daech exige de travailler à un compromis politique avec les soutiens de la rébellion contre Assad, c’est-à-dire l’Arabie saoudite et les autres Etats du Golfe, aussi bien qu’avec l’Iran et la Russie, qui ont jusqu’à maintenant couvert politiquement la guerre menée par Assad contre sa population.

Il n’y a pas de règlement politique au problème posé par Daech. Mais il n’y a pas d’intervention militaire viable sans un compromis régional qui implique les Syriens et les soutiens des différents candidats au pouvoir en Syrie.

Les acteurs de la région – de l’Iran à l’Arabie saoudite en passant par la Turquie et les Kurdes – s’opposent les uns aux autres de façon si âpre qu’ils ne peuvent trouver un tel compromis par eux-mêmes. Les Etats-Unis disposent de moyens militaires bien supérieurs à ceux des Européens, mais suscitent la méfiance de la part de trop d’interlocuteurs. Les intérêts russes semblent trop partisans, avec des capacités militaires moins considérables… Les Européens doivent se saisir de l’ouverture diplomatique actuelle. Ceux parmi nous qui disposent des capacités et de la volonté d’agir militairement devraient rejoindre la coalition militaire contre Daech, tandis que les autres pourraient appuyer les efforts diplomatiques pour trouver un compromis sur la Syrie. L’Iran et la Russie commencent à éprouver les limites de l’action militaire et le prix à payer en termes de menace terroriste quand on supprime toute perspective politique. Cette opportunité doit être exploitée au mieux.

Nombreux sont ceux parmi les Syriens plus ou moins sécularisés et éduqués qui fuient- en direction de l’Europe. Leur arrivée souligne notre échec à prévenir l’effondrement du Moyen-Orient. La crise des réfugiés trouve son origine dans la région, mais elle est désormais aussi un problème européen. Nous avons les moyens d’accueillir un million de réfugiés, sur une population de plus de 500 millions d’habitants – et nous devons faire mieux dans le soutien dont a besoin un pays comme le Liban, qui accueille plus d’un million de réfugiés pour une population de 4 millions d’habitants. Ce faisant, nous serons d’ailleurs en meilleure position pour faire pression sur les pays les plus riches de la région et persuader nos partenaires internationaux de prendre leurs responsabilités dans cette crise.

Le défi pour l’Europe est aussi intérieur, d’autant que cette guerre psychologique s’appuie sur des recrues européennes. Le défi posé par le terrorisme est pris au sérieux par les Etats, mais semble encore avoir été sous-estimé à l’échelle collective des Européens. Nous discutons encore de l’échange des fichiers des passagers aériens (PNR), dont le principe avait été acté… en 2004 après les attentats de Madrid. La réponse de Frontex à la crise des réfugiés – qui exige a minima le renforcement des vérifications d’identité pour écarter ceux qui n’apportent pas des éléments suffisants – reste à mettre en place. Le degré de priorité accordé à la lutte contre le trafic d’armes légères – et moins légères -n’est pas suffisant. La mise en oeuvre stricte des règles européennes contre ces trafics qui prolifèrent en Europe doit être au coeur de la réponse de notre réponse collective.

Les attentats de Paris ont été présentés comme une attaque portée contre nos valeurs. Il est vrai que Daech instrumentalise la déshérence dans nos sociétés. Mais il s’attaque à tout ce qui ne souscrit pas à sa vision, nos valeurs aussi bien que les initiatives pourtant peu tournées contre lui d’Erdogan ou de Poutine. C’est pourquoi nous avons besoin d’une coalition. Mais nos valeurs nous obligent. Nous devons accueillir les demandeurs d’asile et renforcer dans la durée l’effort humanitaire, conformément à nos responsabilités internationales. Nous devons dire clairement que l’aventure militaire des Etats du Golfe au Yémen ou la répression brutale de la société civile en Egypte sont contre-productives pour la lutte contre le terrorisme. La solidarité européenne, même requise par les traités, n’aura de sens que si la volonté politique suit. Et nous devons répondre à l’exclusion communautaire ou à la discrimination de facto à l’emploi, avec la même détermination que nous mettrons à réprimer ceux qui attisent les haines et recrutent les terroristes.

Pour éviter des solutions régressives, telles que s’engager vers un Etat de surveillance ou  » fermer les frontières « , il nous faut des politiques qui répondent aux défis au niveau européen. Accepter les réfugiés et répartir leur présence exige des frontières extérieures solides et une coopération de sécurité efficace ; tout comme un effort diplomatique pour régler la crise syrienne et mettre un terme aux flux de réfugiés ne se comprend pas sans un engagement militaire parallèle pour défaire Daech. Le temps presse, car en démocratie, ce sont les électeurs qui jugent.

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