Quel est le coût de l’investissement chinois ?

Agatha Kratz questionne le coût des investissements chinois à l'étranger.

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Qu’est-ce que l’initiative chinoise « One Belt, One Road » (OBOR) ? Six mois de recherche et un numéro de China Analysis consacrés à la question nous ont permis de mieux comprendre l’impressionnant projet économique et diplomatique déployé par la Chine.

OBOR a pour objectif de relier la Chine à l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, via des routes couvrant potentiellement 55% du PNB mondial, 70% de la population du globe et 75% de ses réserves énergétiques connues. Le projet est soutenu par des ressources financières considérables et une forte volonté politique, et alors que les contours du plan manquent encore de clarté et continuent d’évoluer, les différents acteurs chinois se sont d’ores et déjà jetés à l’eau, apposant l’étiquette « Route de la Soie » sur presque tous les nouveaux projets de la Chine à l’international.

Le Plan d’action présenté par la Chine met l’accent sur un très grand nombre d’objectifs, aussi divers que les échanges humains, l’harmonisation des procédures douanières ou l’amélioration des réseaux de communication, mais le principal élément (et le plus visible jusqu’ici) de cette initiative reste les investissements en infrastructures routières, portuaires, ferroviaires et même aéroportuaires, le long de ces routes.

Alors qu’il est encore difficile de comprendre pourquoi la Chine s’est engagée publiquement dans un projet d’une telle envergure, il est clair que celle-ci est entrée dans une nouvelle phase de son développement. Désormais, elle souhaite être plus active internationalement, et encourager « une seconde vague d’ouverture » – cette fois axée non pas sur l’importation mais sur l’exportation de capitaux et de technologies – et soutenir le développement – tout à son avantage – de ses voisins.

Cette nouvelle phase de développement a des caractéristiques proprement chinoises et remet dans une certaine mesure en cause l’ordre international établi. Non seulement la Chine a mis sur pied une nouvelle banque de développement multilatérale, mais elle promeut aussi un type de coopération et de financement du développement international « low cost », basé sur le financement à bas prix et, du moins en apparence, sans condition de projets locaux, notamment le long de la Route de la Soie mais aussi dans d’autres parties du monde.

En comparaison des financements traditionnels et souvent conditionnés des pays occidentaux, de l’Union Européenne, de la Banque de Développement Asiatique ou encore de la Banque Mondiale, la Chine offre à ses partenaires des prêts encore plus avantageux (à des taux proches de zéro) et, de prime abord du moins, sans conditions. De plus, les financements chinois sont généralement disponibles plus rapidement, et en masse, comparés aux financements plus traditionnels qui mettent parfois des années à être alloués au pays cible. Cet avantage procédural rend également les financements chinois plus attractifs pour les pays récipiendaires que les sources de financement multilatérales ou occidentales. La preuve en est que les financements chinois sont activement recherchés jusqu’en Europe, où la Chine prévoit d’investir des milliards d’euros en infrastructures – notamment en Europe de l’Est dans le cadre du forum 16+1.

Grâce à cet avantage compétitif, la Chine pourrait bien, comme elle l’a fait sur d’autres marchés auparavant, supplanter les acteurs traditionnels du financement du développement, et arriver à promouvoir un nouvel ordre international en la matière, « low cost », moins conditionnel et moins qualitatif.

Mais malgré cette importance croissante de la Chine dans le domaine du financement du développement et des infrastructures, l’Union européenne (UE) doit à tout prix s’abstenir de s’engager dans ce nivellement par le bas et de s’aligner sur l’offre chinoise. Alors qu’en apparence, la Chine offre des prêts très avantageux, la réalité est tout autre. En effet, accepter des financements chinois peut comporter des coûts non négligeables.

Tout d’abord, alors que nombre de prêts chinois sont offerts à des taux proches de zéro, ceux-ci sont souvent accordés à la condition que les entreprises réalisant les projets sous-jacents, souvent des projets de construction d’infrastructures, soient chinoises. Cette pratique limite grandement les retombées positives pour l’économie ou les entreprises locales. En conséquence, la majorité des bénéfices des projets financés reviennent à la Chine d’une façon ou d’une autre, et ce quelque soit le taux d’intérêt proposé. Ensuite, ces entreprises chinoises surfacturent souvent pour leurs services, annulant ainsi les bénéfices retirés des conditions offertes en termes de taux d’intérêt. Enfin, ces entreprises arrivent souvent à négocier des conditions opérationnelles plus favorables, en termes de droit du travail, de standards environnementaux ou d’achat des matériaux, qui réduisent encore les bénéfices locaux du financement proposé. En résumé, les expériences passées suggèrent qu’alors que les prêts et investissements chinois paraissent plus avantageux, ils sont souvent coûteux et contraignants.

Mais ce n’est pas le seul problème. Aujourd’hui, la Chine peut se permettre de proposer des financements à bas prix et des prêts pour des projets à rendement limité, dans des pays parfois instables. Néanmoins, cette situation n’est pas pérenne et les prix chinois augmenteront nécessairement. Les ressources financières de l’Etat chinois sont vouées à diminuer en raison du ralentissement de la croissance chinoise. Par ailleurs, la Chine ne pourra pas continuer éternellement à soutenir financièrement ses entreprises d’Etat. Le niveau des salaires en Chine va continuer d’augmenter, ce qui rendra moins intéressant financièrement le fait d’employer des travailleurs chinois sur des projets (internationaux) d’infrastructure. Enfin, avec le temps, la Chine deviendra de plus en plus consciente de la nécessité d’introduire davantage de durabilité et de standards environnementaux dans ses projets. Ainsi, l’ordre « low cost » chinois pourrait bien devenir bientôt un ordre à coûts moyens.

C’est pourquoi, dans ce domaine comme dans tant d’autres, l’UE ne devrait pas participer à un nivellement vers le bas ou essayer de s’aligner sur les prix et les standards chinois. Au contraire, l’UE doit chercher à se différencier en axant son offre financière sur la qualité plutôt que sur la quantité.

D’ailleurs, l’UE ne peut pas se permettre, financièrement, de s’aligner sur les prix chinois car elle ne dispose pas des entreprises d’Etat, des réserves de change ou de l’opinion publique muselée sur laquelle s’appuie la Chine. Par ailleurs, elle ne doit pas remettre en question ses critères de durabilité ou d’efficacité car ceux-ci sont des objectifs de long terme à la fois pertinents, rationnels et bénéfiques. En effet, il existe pour les pays récipiendaires, une véritable valeur financière à accepter le prix européen, de la même façon qu’il existe un véritable coût financier à accepter le prix chinois.

Alors que l’Union européenne peine à accepter l’évolution générale vers un ordre mondial de plus en plus multipolaire, la tentation de se mesurer et de faire concurrence à la Chine est grande. Mais en termes de financement et de développement, comme dans d’autres domaines, elle doit garder à l’esprit ce qui la différencie de la Chine, et jouer sur ses forces pour obtenir un impact maximum.

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