L'Europe face au casse-tête des départs de jihadistes

  • Un jihadiste, membre du groupe Al-Nusra Front, à Alep en Syrie.
    Un jihadiste, membre du groupe Al-Nusra Front, à Alep en Syrie. Illustration BARAA AL-HALABI / AFP
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L'appel lancé aux volontaires étrangers à rejoindre le "califat" lancé il y a un an, connait un succès croissant. On compterait 71% de candidats supplémentaires, selon l'ONU.

Face à l'afflux en Syrie et en Irak de milliers de combattants européens, les gouvernements ont adopté des mesures de contrôle sans précédent, mais dont l'efficacité reste à démontrer. L'appel lancé aux volontaires étrangers à rejoindre le "califat" lancé il y a un an, connait un succès croissant : selon l'ONU, leur nombre a augmenté de 71% au cours des dix derniers mois.

Le Centre international pour l'étude de la radicalisation, à Londres, estime qu'ils avaient en janvier passé le chiffre de 20 000, dont au moins un cinquième en provenance d'Europe occidentale. Dans cette zone, les gouvernements ont multiplié les initiatives et les mesures administratives dont certaines, notamment les interdictions de voyager à l'étranger, sont controversées.  

60 passeports confisqués

Ainsi la France a pour l'instant confisqué 60 passeports, viennent de révéler les autorités. Ses législateurs ont adopté de nouvelles lois accordant de larges pouvoirs aux enquêteurs qui peuvent désormais placer des caméras dans des domiciles ou des programmes-espions dans des ordinateurs sans l'autorisation d'un juge.

La Grande-Bretagne a adopté en février une législation similaire, qui prévoit notamment de pouvoir interdire à des prêcheurs "extrémistes" de s'exprimer dans des universités. L'Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark ont également commencé à confisquer des cartes d'identités et des passeports afin de tenter d'empêcher les apprentis-jihadistes de quitter le territoire national. Mais pour de nombreux experts, dont Anthony Dworkin, de l'European Council on Foreign Relations, ces nouvelles règlementations vont trop loin.

"Il est crucial que notre réponse au terrorisme fasse appel à une certaine dose de résilience, parce qu'il est certain que nous ne nous débarrasserons jamais totalement du terrorisme", dit-il. "La plupart de ces mesures n'ont pas fait la preuve de leur efficacité. Ainsi, nous savons que l'un des principaux lieux de radicalisation est la prison. Donc emprisonner tous ceux qui rentrent de Syrie est contre-productif". Un spécialiste du contre-terrorisme à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) estime quant à lui que les mesures préventives les plus sévères ne peuvent tout empêcher.

"Il est relativement facile de voyager sans passeport, il suffit de faire appel à des passeurs professionnels", estime ce responsable, qui n'est pas autorisé à révéler son identité. Il est important, selon lui, de s'assurer que les opérations de contrôle restent "proportionnées et non-discriminatoires" et de ne pas oublier que "l'on peut avoir des idées extrémistes sans forcément basculer dans le terrorisme".

Partage d'informations

Si certains estiment que ces nouvelles mesures vont déjà trop loin, au moins un parent d'un jeune parti sur le chemin du jihad estime qu'elles sont encore insuffisantes. Une mère de famille française a lancé ce mois-ci des poursuites contre le gouvernement français, lui reprochant de ne pas avoir fait assez pour empêcher son fils de 16 ans, sans bagage et avec un aller simple pour la Turquie, de passer les contrôles de sécurité. La hantise des pays européens est de voir ces jihadistes rentrer après avoir acquis une expérience sur le terrain.  

Les services anglais de contre-espionnage (MI5) estiment que plus de la moitié des quelque 700 Britanniques qui s'étaient rendus en Syrie sont déjà rentrés. "La menace qu'ils représentent n'est pas seulement la planification d'attaques mais aussi la radicalisation d'autres volontaires, la facilitation des actes terroristes et la levée de fonds", estime le MI5 dans un rapport. 

Selon tous les experts, la difficulté est moins de collecter des informations que d'être en mesure de les traiter de façon efficace et de se coordonner avec les autres pays. "Les systèmes existent pour partager les informations, mais ils ne sont pas toujours employés", estime Camino Mortera-Martinez, du groupe de réflexion Centre for European Reform. "Tout le monde ne se fait pas confiance. Ainsi par exemple le MI5 hésitera à donner une information à la Roumanie, dont il craint la corruption et le manque de confidentialité".

"Un terroriste un peu malin pourra toujours trouver des brèches"

L'un des points d'achoppement de la coopération européenne est le partage des listes de passagers des compagnies aériennes, dont le projet est au point mort depuis 2011. Bien que 15 des 28 membres de l'UE ont adopté un système de partage de ces données, inspiré de ceux qui existent aux Etats-Unis, au Canada et en Australie, le Parlement européen estime que des lois de protection des données privées doivent être mises en place avant que tout le continent n'adopte un système unique.

"Un terroriste un peu malin pourra toujours trouver des brèches", note Camino Mortera-Martinez. "Dans certains pays, différents services peinent à partager les informations, alors vous imaginez à quel point il va être difficile de les persuader de partager ces renseignements avec Europol ou tout autre organisation internationale (...) Les membres des services de renseignement ne sont pas connus pour leur sens de la communication".