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Monde - ÉCLAIRAGE

Libye : la question du départ de Sarraj au cœur des débats

L’annonce du chef du gouvernement d’union nationale relance la discussion autour de l’avenir du pays, notamment d’une possible réconciliation nationale voulue par l’ONU.

Libye : la question du départ de Sarraj au cœur des débats

Le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj à Charm el-Cheikh, le 24 février 2019. Mohamed el-Shahed/AFP

« Je déclare mon souhait sincère de céder mes fonctions à un prochain pouvoir exécutif, avant fin octobre au plus tard. » Cette annonce, faite le 16 septembre, par le Premier ministre libyen Fayez el-Sarraj a rapidement fait les gros titres. Elle n’en était pas moins attendue à Tripoli, où courait déjà la rumeur plusieurs jours avant la nouvelle officielle.

Fayez el-Sarraj dispose certes de raisons notoires. Celui qui mène le gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli depuis près de cinq ans se trouve confronté à une série de pressions créant un contexte inédit. Les manifestations de Tripoli, en août dernier, entachent la réputation du gouvernement et « augmentent la pression sur Sarraj, puisqu’il fait face à des accusations de corruption de la part de plusieurs parties, dont certains officiels de la Banque centrale libyenne », souligne à L’Orient-Le Jour Samuel Ramani, chercheur en relations internationales à l’université d’Oxford.

Mais son départ, annoncé de manière solennelle lors d’une allocution télévisée, n’est peut-être pas ce qu’il prétend être, avertissent plusieurs observateurs. « Il y a un jeu de non-dits, d’ambivalences et de zone grise qui fait qu’on ne sait pas s’il va vraiment partir », estime Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye au sein de l’unité de recherche sur les conflits au Clingendael Institute, à La Haye. Selon lui, on ne pourra parler de la démission « comme d’un événement tangible, que lorsque Sarraj aura effectivement quitté ses fonctions ».

À y regarder de plus près, l’annonce envoie effectivement des informations brouillées. D’abord parce qu’il existe en Libye un historique qui consiste à utiliser la démission comme un instrument politique. En ce sens, la décision a peut-être plus de valeur pour son effet d’annonce que pour sa mise en œuvre effective. « Quand les politiciens annoncent leur démission, généralement ils restent », ironise Jalel Harchaoui. Ensuite parce que les propos de Fayez el-Sarraj laissent la porte ouverte à toutes les possibilités. « Il n’a jamais dit qu’il démissionnera, mais qu’il quitterait le pouvoir si telles et telles conditions sont remplies », remarque Tarek Megerisi, chercheur spécialiste de la Libye au European Council on Foreign Relations. Parmi les conditions : le rétablissement d’un dialogue entre les grandes factions du pays et la formation du nouveau Conseil présidentiel tripartite, tel que prévu par l’initiative onusienne d’août qui comprend la relance d’un processus de réconciliation nationale. « Mais l’autre option, presque également possible, est qu’il ne se prononce pas et maintienne un nuage de flou, faisant durer le plaisir pendant des mois », estime Jalel Harchaoui.

Gagner du temps

Pourquoi Fayez el-Sarraj, engagé depuis le 21 août dans un processus de réconciliation nationale sous l’égide de l’ONU et avec l’aval tacite de la Turquie, chercherait-il à créer cette zone de latence ? À court et moyen terme, l’annonce représente un gain politique permettant de reprendre la main. « Il prétend être sérieux, mais il pourrait simplement s’agir d’un moyen de s’extraire des problèmes dans lesquels il est empêtré », estime Tarek Megerisi. L’annonce de la démission permettrait ainsi de geler les engagements et de reprendre l’initiative. « On ne peut plus exiger la signature de pactes, envisager des accords, attendre des promesses au nom de la Libye… Plus personne ne pourra l’embêter avec des histoires d’accords économiques ou militaires, d’alliances… En faisant une conférence de presse, il recommence également à contrôler le calendrier libyen », estime Jalel Harchaoui.

D’autant que le Premier ministre actuel, qui pour certains représente un compromis potentiellement difficile à remplacer, pourrait avoir conscience de sa valeur sur la scène politique locale. « Les figures grises, les entre-deux, comme Sarraj, ne courent pas les rues », note le chercheur. Le choix, pour le remplacer, d’une figure trop timide vis-à-vis de la Turquie serait difficilement acceptée par cette dernière, qui a beaucoup investit afin de faire de Tripoli son nouveau domaine réservé. À l’inverse, une figure trop radicalement proturque susciterait l’hostilité de certaines milices locales. « Finalement, en menaçant de démissionner, il a rappelé au monde entier qu’il était une denrée rare », résume Jalel Harchaoui.

Quels que soient les calculs politiques immédiats, l’homme semble avoir, sur le long terme, décidé depuis 2017 d’une sortie politique. « Il est vieux, fatigué et n’a jamais voulu rester Premier ministre pendant une longue période. Or il l’est depuis déjà cinq ans », précise Jalel Harchaoui. Partir, oui, mais pas dans n’importe quelles conditions. « Il ne veut pas partir comme un voleur : il ne veut pas donner un coup de poignard à la Turquie et devoir se réfugier dans le Golfe en ayant peur de voyager pendant le restant de ses jours. Surtout, il n’a pas envie de faire le contraire, d’accorder de grandes faveurs à la Turquie et de se retrouver enfermé à Istanbul comme un vulgaire islamiste, sans pouvoir aller voir sa fille à Bahreïn. » Pour Fayez el-Sarraj, négocier une sortie par la grande porte pourrait donc signifier gagner du temps. « Au lieu de partir en trois semaines, il pourrait partir en neuf mois », observe M. Harchaoui.

Mais outre les raisons qui motivent l’annonce du Premier ministre, et sa décision de la mettre à exécution ou pas le moment venu, la question de l’après domine le débat politique interne. Plusieurs noms circulent quant aux potentiels remplaçants. L’ancien Premier ministre et homme d’affaires Ahmad Maiteeq, connu pour ses positions modérées, soutenu par la Turquie et disposant d’une base à Misrata, est l’un de ces potentiels candidats. « Je le classerais parmi les candidats les plus crédibles pour succéder à Sarraj, bien qu’il soit encore trop tôt pour l’affirmer à 100 % », estime Samuel Ramani.

Au-delà des spéculations ouvertes par l’annonce de Sarraj, c’est l’initiative onusienne, scellée le 21 août, qui est remise sur la table. Et avec elle, l’avenir politique mais également économique, financier et monétaire d’une Libye au bord de la partition. L’initiative pour une nouvelle entente nationale ne réglera pas toutes les divisions, ni même les luttes d’influence extérieures visant à prendre le contrôle du terrain libyen. « Sur le plan géographique, il restera de manière indéniable et peut-être même irréversible une sphère d’influence dominée par la Turquie à l’ouest, et par l’Égypte et la Russie à l’est », remarque Jalel Harchaoui. Mais l’initiative de l’ONU pourrait permettre d’éviter une scission totale du territoire : « Recouvrir l’ensemble d’une fine pellicule qui ferait figure de gouvernement d’unité et permettrait, au moins sur le papier, un modus vivendi entre les factions », résume Jalel Harchaoui. Pour cela, Fayez el-Sarraj n’est pas absolument indispensable. Mais une démission pourrait retarder le processus, voire le paralyser, s’il s’avérait difficile de lui trouver un successeur.

« Je déclare mon souhait sincère de céder mes fonctions à un prochain pouvoir exécutif, avant fin octobre au plus tard. » Cette annonce, faite le 16 septembre, par le Premier ministre libyen Fayez el-Sarraj a rapidement fait les gros titres. Elle n’en était pas moins attendue à Tripoli, où courait déjà la rumeur plusieurs jours avant la nouvelle officielle. Fayez el-Sarraj...

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