Corée du Nord : faut-il craindre un embrasement ?

Corée du Nord : faut-il craindre un embrasement ?
Le drapeau Nord-Coréen flotte dans son ambassade à Pékin le 8 mars 2017 (FRED DUFOUR (AFP))

A l'approche de célébrations importantes en Corée du Nord, et alors que les Etats-Unis ont déployé un porte-avions dans la péninsule, faut-il craindre une nouvelle démonstration de force qui embraserait la péninsule ?

Par Le Nouvel Obs
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La tension est montée d'un cran cette semaine dans la crise coréenne. Déclarations chocs, déploiement d'un groupe aéronaval américain... cette soudaine crispation des tensions dans la péninsule coréenne, a poussé le président chinois à décrocher son téléphone pour joindre son homologue américain et appeler au calme. Xi Jinping a plaidé pour une solution pacifique de la crise et "le maintien de la paix et de la stabilité" dans la région, rapporte ce mercredi 12 avril la télévision nationale chinoise.

Dans un éditorial au ton inhabituellement virulent envers le régime de Kim Jong-un, le quotidien chinois "Global Times" a mis en garde Pyongyang contre un sixième essai nucléaire qui pourrait coïncider avec les célébrations du 105e anniversaire de la naissance du fondateur du régime, Kim Il-sung, samedi 15 avril. Il y a cinq ans, ces célébrations du "jour du soleil" avaient été l'occasion d'un essai nucléaire. Une menace latente minimisée par Mathieu Duchâtel, directeur adjoint du programme Asie du Collège européen des relations internationales (ECFR) :

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"Cette date sera sûrement utilisée pour une mobilisation patriotique en interne, mais effectuer un tir d'essai, surtout continental, serait un gros risque de la part des Nord-Coréens", explique-t-il à "l'Obs".  

Un tel tir pourrait conduire à un emballement de la situation déjà tendue du moment. 

"L'arsenal chimique de la Corée du Nord est un des plus importants au monde"

"La péninsule coréenne n'a jamais été aussi proche d'un affrontement militaire depuis que le Nord a mené son premier essai nucléaire en 2006", estime ainsi l'éditorialiste du quotidien chinois, considéré comme proche des dirigeants du pays.

"Aujourd'hui, frapper la Corée du Nord est exclu"

Ce risque d'embrasement doit toutefois être relativisé selon Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Joint par "l'Obs", il explique :

"Aujourd'hui, frapper la Corée du Nord est exclu des hypothèses américaines. Ce qu'il se passe en ce moment avec l'envoi du porte-avions… C'est de la communication politique internationale, mais ça n'a rien de militaire."

Il est rejoint sur ce point par Mathieu Duchâtel, qui estime que dérouter le porte-avions équivaut à utiliser l'armée pour envoyer un message politique fort, "mais la seule option militaire crédible, pour moi, est l'interception de test de missile. C'est beaucoup moins risqué qu'une frappe préemptive [à la différence de préventive, la préemption implique une menace réelle et pouvant être constatée, NDLR] sur les sites de lancement nord-coréens".

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Trump tente d'intimider la Corée du Nord après sa frappe en Syrie

L'option militaire s'était déjà retrouvée sur la table... en 1994. Bill Clinton avait alors demandé des plans de frappe avant de faire machine arrière et de laisser la diplomatie et son émissaire Jimmy Carter s'exprimer. La crise s'était résolue par un accord prévoyant le gel du programme nucléaire nord-coréen. Accord rendu caduc en 2002 par la reprise de ce même programme. Vingt ans plus tard, le contexte n'est plus le même pour Mathieu Duchâtel :

"Ce qui change par rapport à 1994, c'est justement l'arme nucléaire et la posture de Kim Jong-un de répondre systématiquement aux attaques par le feu nucléaire. Il y a un infléchissement notable dans le sens du préemptif."

L'USS Carl Vinson et son armada en route vers la péninsule coréenne. (AFP)

"La posture américaine est plus agressive"

Au-delà de l'emballement médiatique autour des récents événements, Mathieu Duchâtel estime que ce qui a changé de manière notable, c'est la posture américaine.

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"C'est la fin de la patience stratégique d'Obama qui consistait à ne pas répondre aux provocations nord-coréennes, et tout miser sur les sanctions et sur la dissuasion grâce aux manœuvres interarmées qui ont lieu deux fois par an en Corée du Sud. Trump est dans une posture plus agressive."

Une position nouvelle des Américains, qui mettent ainsi la pression sur la Corée du Nord, mais aussi sur la Chine, souligne le spécialiste de la sécurité en Asie : "L'utilisation du porte-avions est aussi faite pour inquiéter les Chinois. Cela permet de reprendre l'initiative stratégique et de leur faire croire que tout est possible. Depuis dix ans, toutes les options ont été essayées et Trump a critiqué la trop grande pondérabilité de l'administration Obama sur ces questions internationales. L'imprévisibilité, c'est l'atout de Trump et en même temps, toute bonne dissuasion est là pour créer le doute. Donald Trump agite la menace pour la rendre la plus crédible possible." 

Les derniers tweets du président américain, quelques jours après l'entrevue avec Xi Jinping en Floride, attestent de cette volonté de lier la Chine à l'équation nord-coréenne : 

"J'ai expliqué au président chinois qu'un accord commercial avec les Etats-Unis serait bien meilleur pour eux s'ils résolvent le problème nord-coréen !"
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"La Corée du Nord cherche des ennuis. Si la Chine décide d'aider, ça serait formidable. Sinon, nous résoudrons le problème sans eux ! USA."

Qu'en pensent le Japon et la Corée du Sud ?

"Ils sont opposés à des frappes américaines en Corée du Nord", tranche Mathieu Duchâtel. Japonais et Sud-Coréens sont inquiets et ne veulent pas négliger les capacités réelles de dissuasion de Pyongyang. Ces derniers disposent d'un arsenal chimique et biologique, "de vraies armes de destruction massive", sans oublier l'artillerie longue portée et évidemment... l'arme nucléaire.

Le Japon, déjà frappé dans son histoire par la bombe atomique, est actuellement très préoccupé et fait connaître son opposition aux frappes préemptives américaines. Idem pour la Corée du Sud qui craint une riposte. Séoul est très proche de la frontière, l'aéroport international d'Incheon l'est encore plus, "ce sont des cibles faciles" d'après le chercheur.

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Américains et Nord-Coréens ne sont donc pas les seuls acteurs d'une crise qui risque de déstabiliser l'ensemble de la région. Et pour cause, les relations entre Pékin et Séoul sont déjà bien distendues. Le THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), le système américain de bouclier antimissile, déployé en février 2017 en Corée du Sud pour prévenir d'une éventuelle attaque nord-coréenne, est vivement critiqué par la Chine.

Pékin craint que ce projet porte atteinte à sa propre sécurité et augmente les risques de conflit dans la région. Le pays y voit évidemment aussi une menace pour... sa propre dissuasion nucléaire. 

Guillaume Reuge

Le Nouvel Obs
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