Emmanuel Macron peine à redéfinir la politique étrangère de la France

Emmanuel Macron peine à redéfinir la politique étrangère de la France
Emmanuel Macron et Donald Trump, le 18 septembre 2017 à New York. (LUDOVIC MARIN/AFP)

MONDOVISION. Un an après avoir fait renaître le style "gaullo-mitterrandien", le chef de l'Etat n'a pas réhabilité une politique étrangère indépendante.

Par Pierre Haski
· Publié le · Mis à jour le
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Il y a près d’un an, la victoire d’Emmanuel Macron était saluée comme un coup d’arrêt à la vague populiste qui, du Brexit à l’élection de Donald Trump, semblait inexorable. Aujourd'hui, le président français est le meilleur allié de son homologue américain dans la crise en Syrie, et s’est tenu aux côtés du Royaume-Uni dans l’affaire des espions avec Moscou.

Outre la démonstration de l’assez large imprévisibilité du monde actuel, ces prises de position illustrent la difficulté pour une puissance moyenne comme la France à réinventer une politique étrangère indépendante, comme souhaitait le faire Emmanuel Macron. Un an après, que reste-t-il de cette ambition ?

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Se démarquer de Hollande

Pendant sa campagne, et dès ses premiers pas remarqués sur la scène internationale, Emmanuel Macron s’est affiché comme "gaullo-mitterrandien", ce socle commun d’une diplomatie française indépendante qui s’oppose au "néoconservatisme" incarné par Nicolas Sarkozy et suivi sans grande imagination par François Hollande.

Le candidat Macron s’est en particulier fait remarquer par sa condamnation des aventures militaires à l’étranger, celle des Américains en Irak en 2003, évidemment, mais il s’est aussi montré très critique vis-à-vis de l’intervention initiée par la France de Sarkozy en Libye en 2011.

Mais cette approche ne l’empêche pas, aujourd’hui, d’être engagé, aux côtés de Donald Trump, pour agir dans le conflit syrien après l’attaque chimique de Douma. Trump et Macron se parlent, se coordonnent quotidiennement comme l’a confirmé le président sur TF1 ce jeudi, et c’est par rapport à cet inattendu attelage américano-français que se positionnent les "autres", à commencer par le Royaume-Uni dont la "special relationship" avec les Etats-Unis s’est évaporée avec le changement d’hôte à la Maison-Blanche.

Le point commun de Donald Trump et d’Emmanuel Macron ? Vouloir se différencier à tout prix de leurs prédécesseurs respectifs, Barack Obama dans un cas, François Hollande dans l’autre, qui, l’un par choix, l’autre par défaut, n’ont pas agi en 2013, lors de la première attaque chimique attribuée au régime de Bachar al-Assad.

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Donald Trump, en particulier, veut montrer qu’il "en" a, comme le révèlent ses tweets à répétition, celui sur le "bouton rouge" plus gros que celui de Kim Jong-un il y a quelques mois, ou le dernier sur les missiles tout neufs qu’il promet à la Syrie…

"The day after"

Emmanuel Macron est moins démonstratif, mais tout aussi désireux d’assurer sa crédibilité sur le terrain où il était le moins attendu, celui de l’action militaire. Il veut, en particulier, être celui qui respecte ses "lignes rouges" quand il les énonce, en Syrie comme… en France.

Ce faisant, le président français brouille les cartes par rapport à ses promesses de campagne, et, en particulier, donne le sentiment d’accepter de jouer les seconds rôles dans des scenarii qui lui échappent.

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Qu’il s’agisse du bras de fer avec Moscou lors de l’attentat contre l’agent double russe Sergueï Skripal en Grande-Bretagne, ou de la riposte contre le régime de Bachar al-Assad sur les armes chimiques, Paris ne définit pas les règles d’engagement.

L’alignement de l’Elysée sur la Maison-Blanche dans le cas de la Syrie comporte un risque non négligeable : celui de l’imprévisibilité trumpienne, donnée incontournable dont Emmanuel Macron ne peut ignorer la réalité et le risque. Que se passe-t-il "the day after", le jour qui suit le bombardement de cibles syriennes ? C’est la question-clé à laquelle personne n’apporte réellement de réponse.

Une voie très étroite

Le président français donne d’autant plus l’impression d’un "alignement" qu’il vient de s’afficher sans retenue avec le prince "MBS", Mohammed Ben Salmane d’Arabie saoudite, alors qu’il avait adopté une relative distance jusqu'ici, fermant au passage les yeux sur la guerre atroce du Yémen. Or "MBS" et Trump sont totalement unis contre leur ennemi commun, l’Iran, qui n’est pas nécessairement celui de la France.

Paris court dès lors le risque, pour être cohérent sur la Syrie, de s’inscrire dans une alliance dont Macron se méfie comme de la peste : début janvier, le président français ne disait-il pas tout haut que les Etats-Unis, Israël, et l’Arabie saoudite portaient "un discours qui va nous conduire à la guerre en Iran"

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La diplomatie française avance donc sur une voie très étroite qui lui fait faire un bon bout de chemin aujourd'hui avec une alliance dont elle disait hier tout le danger – avant de s’en distancier de nouveau en mai, si Emmanuel Macron ne parvient pas à convaincre Donald Trump de prolonger le bail de l’accord nucléaire avec l’Iran. C’est en effet le 12 mai que le président américain et ses nouveaux conseillers faucons très hostiles à Téhéran, John Bolton et Mike Pompeo, doivent décider s’ils donnent le coup de grâce à l’accord avec l’Iran.

Le flou européen

Dans cette ambiguïté qui brouille la lisibilité de la politique étrangère macronienne, l’Europe reste le grand point d’interrogation. L’alignement des planètes en Europe, qui semblait idéal il y a un an, lors de l’élection d’Emmanuel Macron, est aujourd’hui singulièrement plus complexe : l’élection allemande et les six mois qu’il a fallu à Angela Merkel pour accoucher d’une majorité et d’un gouvernement n’étaient pas prévus au programme, pas plus que la grande incertitude dans un autre grand pays européen, l’Italie.

Ajoutez à ce paysage le succès de l’euro-hostile Viktor Orban, le disrupteur numéro un de la vision française, dans les urnes hongroises dimanche dernier, et vous avez un chantier bien plus difficile que prévu.

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Le président aura l’occasion de s’expliquer, de réaffirmer son ambition et surtout les moyens de la réaliser lors de sa grande intervention prévue sur l’Europe, le 17 avril face au Parlement européen à Strasbourg. Mais d’ores et déjà, le premier étage de sa "fusée" européenne, les Conventions démocratiques qui devaient lancer le débat, est un non-événement qui douche les ambitions de l’Elysée, dans un climat international de très forte tension.

Le président a certes réussi depuis son élection à faire de nouveau entendre la voix de la France sur la scène internationale et à lui redonner du crédit, profitant notamment de la double éclipse britannique et allemande, de la confusion dysfonctionnelle à Washington, et de la montée des menaces dans le monde.

Mais cela ne suffit plus, après un an, à donner de la cohérence et du sens à cette action. Il est, en particulier, très difficile de passer d’une "voix française" à une "voix européenne", ce qui figure toujours au cœur de l’ambition du président. Comme le souligne à propos des derniers épisodes moyen-orientaux le think tank Conseil européen des relations internationales (ECFR), "la France se retrouve constamment dans une position de puissance solitaire dans l’une des régions les plus contestées du monde".

Là aussi, Emmanuel Macron doit faire preuve de pédagogie, d’adaptation, et, sans doute, d’un peu d’humilité face aux réalités du monde actuel.

Pierre Haski

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