Tribune 

TRIBUNE. La vraie bataille pour l’avenir de la Pologne

Piotr Buras

European Council on Foreign Relations

Jaroslaw Kaczynski promet le « modèle polonais de l’Etat-providence » et une protection sociale occidentale. Mais si, comme c’est probable, son parti, le PiS, demeure au pouvoir après les élections du dimanche 13 octobre, le pays s’éloignera encore davantage des libertés qu’il a durement gagnées et de l’Europe, estiment Piotr Buras et Paweł Zerka, du think tank European Council on Foreign Relations.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Les sondages d’opinion en Pologne ne semblent laisser aucune illusion. Le parti conservateur et nationaliste au pouvoir, Droit et Justice (PiS), dirigé par Jaroslaw Kaczynski, est presque certain de continuer à diriger, seul, le pays pour encore quatre ans. Aux élections législatives du 13 octobre, il devrait obtenir plus de 40 % des voix, soit plus que celles que réunissent les deux principaux partis de l’opposition (libéraux et « La gauche »).

Il serait cependant erroné de conclure que Droit et Justice a totalement conquis le cœur des Polonais. La société est en réalité très diverse et politiquement polarisée, et les électeurs de Droit et Justice n’en sont qu’une minorité bien mobilisée. Selon une récente enquête de l’European Council on Foreign Relations (ECFR), les opinions de la majorité des Polonais sur des questions comme la politique de l’Union européenne, Donald Trump, l’avenir des finances publiques et même les droits des personnes LGBT sont en contradiction avec ce que pensent la majorité des partisans de Droit et Justice.

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Il ne fait guère de doute que le parti au pouvoir donne la priorité à l’aide sociale, et que c’est là le fondement du pouvoir de Jaroslaw Kaczynski. Même ceux qui n’approuvent pas les positions du PiS sur d’autres questions souscrivent à sa politique sociale – et en apprécient ses résultats. Il n’est pas surprenant que les Polonais attendent de l’Etat qu’il joue un rôle plus important dans la protection sociale. La volonté collective de récolter les fruits des douloureuses transformations post-1989 est écrasante. L’Etat-providence est un élément indispensable de leur vision d’une bonne société, et les Polonais y aspirent depuis qu’ils ont abandonné le pouvoir communiste.

Cependant, le « modèle polonais » conçu par Jaroslaw Kaczynski, n’ouvre pas la voie à une société moderne fondée sur la confiance mutuelle, la solidarité et l’autogestion. Sa vision sous-jacente de l’Etat est anachronique. Et au lieu de surmonter certains dysfonctionnements latents de la société polonaise, elle ne fait que les perpétuer et les renforcer.

Fragilisation des services publics

L’une des principales caractéristiques de ce « modèle » est qu’il repose sur des transferts directs d’argent à la population, et non sur des services publics. Selon l’ancienne Première ministre Beata Szydlo (2015-2017), « nous faisons confiance aux familles pour dépenser et investir cet argent dans l’avenir de leurs enfants ». Les familles ont finalement obtenu des allocations familiales ; les retraités, des paiements annuels supplémentaires ; les enfants, des subventions spéciales pour les manuels scolaires ; les employés, une élévation du salaire minimum ; les personnes handicapées, une série de prestations clés…

Cette année, en prévision des élections, le gouvernement a mis encore plus d’emphase sur ces programmes sociaux. Droit et Justice a également réduit l’âge de la retraite à 60 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes, ce qui rend le système presque insoutenable. Pourtant, à mesure que ces transferts sociaux augmentent de façon exorbitante, la qualité des services publics s’appauvrit de plus en plus.

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La réforme de l’éducation s’est avérée être un désastre, créant le chaos dans les écoles. Les enseignants sont si mal payés que les directeurs d’écoles luttent en vain pour combler les postes vacants qui se multiplient. L’augmentation attendue du salaire minimum ne fera qu’ajouter à leur frustration car les salaires des enseignants font l’objet d’une réglementation distincte. La Stefan Batory Foundation, indépendante, a récemment découvert que, sous le règne de Droit et Justice, le nombre de familles se tournant vers l’enseignement privé a augmenté.

La situation dans le domaine de la santé est encore pire. De plus en plus d’hôpitaux ferment leurs portes en raison de dettes importantes. Ceux qui fonctionnent souffrent de l’émigration des médecins. Le niveau des dépenses publiques dans le domaine de la santé est en Pologne inférieur à celui de la quasi-totalité des pays européens. Et les mieux lotis de la société se tournent vers des prestataires privés.

Le prix à payer pour le « modèle » social polonais n’est pas seulement la fragilisation des services publics. Pour payer la note, Droit et Justice privatise les biens publics, ce qui rend risible la prétention à bâtir un Etat-providence.

Une conception verticale de l’Etat

Ce modèle, dira-t-on, est accueilli favorablement par de nombreux Polonais. Le pays a nourri une méfiance traditionnelle envers l’Etat et sa capacité à être au service des citoyens. Cette attitude s’explique largement par la longue période vécue sous domination étrangère, que ce soit sous l’ère communiste ou dans années 1990 néolibérales. De plus, en Pologne, ce que l’on considère comme les conditions préalables d’un Etat moderne efficace ne sont pas réunies : une société civile forte et la notion de citoyenneté. La « famille » et la « nation » ont toujours dominé le système de valeurs polonais. L’absence de capital social est considérée comme l’un des principaux obstacles à la modernisation du pays.

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Après 1989, pour préparer la Pologne au XXIe siècle, les élites réformistes avaient soutenu les organisations non gouvernementales, la décentralisation et la coopération locale entre les citoyens. Le PiS a fait machine arrière. Plutôt que de corriger les défauts du système de valeurs sociales traditionnelles, il les a embrassés. La famille et la nation sont les principales valeurs mises en avant dans son programme. Pas un mot, dans sa vision, sur l’importance d’une société civile indépendante. Et en cas de victoire dimanche, il devrait poursuive ses efforts pour limiter le pouvoir des gouvernements locaux, réduire les subventions aux ONG, imposer des régulations contraignantes aux journalistes et réprimer l’indépendance de la justice.

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Le « modèle polonais de l’Etat-providence » est au cœur de cette conception semi-autoritaire de l’Etat. Il s’agit d’un modèle vertical, dans lequel le gouvernement répond certes activement aux besoins financiers des citoyens, mais leur laisse de moins en moins d’espace pour coopérer, se prendre en charge, s’auto-organiser. Et le pouvoir tourne le dos aux services publics, qui peuvent pourtant jouer un rôle important dans le lien social. Le PiS ne pave pas la voie vers une société de citoyens conscients : il se contente d’imaginer une communauté de clients et de consommateurs.

L’attrait des promesses que fait le PiS est difficile à concurrencer, car elles répondent à des attentes anciennes des Polonais. Mais sur bien d’autres questions, le PiS ne représente pas les valeurs et les opinions de la majorité des Polonais. Le conflit entre la société civile et un Etat omniprésent, ou entre l’activisme au niveau local et l’ambition centralisatrice, déterminera le cours de la politique polonaise au cours de la prochaine décennie. L’histoire récente de la Pologne ne devrait certainement pas nous faire croire que le résultat en est déjà connu.

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