Diplomatie

Baptêmes du feu à l’ONU

Donald Trump et Emmanuel Macron font leurs premiers pas aux Nations unies ce mardi à New York, à l’instar du secrétaire général, António Guterres. Les deux leaders devraient livrer des visions opposées des relations internationales.
par Isabelle Hanne, Correspondante à New York et Frédéric Autran
publié le 18 septembre 2017 à 20h16

«La semaine des premières» : c'est ainsi qu'un diplomate européen qualifie la 72e Assemblée générale des Nations unies, qui réunit à New York les représentants des 193 Etats membres. L'ouverture du débat général, ce mardi, doit en effet faire office de bizutage pour le secrétaire général, António Guterres, en poste depuis le 1er janvier. Mais aussi et surtout pour Donald Trump et Emmanuel Macron. Très attendus, le chantre de «l'Amérique d'abord» et celui d'une France «qui compte dans un monde multilatéral» se succéderont à la tribune, à quelques heures d'intervalle. Le couple franco-américain, qui (sur)joue la carte de l'amitié depuis des mois, va d'autant plus être scruté que plusieurs poids lourds de la diplomatie - Vladimir Poutine, le président chinois, Xi Jinping, et la chancelière allemande, Angela Merkel - brilleront par leur absence.

Au menu de cette 72e session : lutte contre le changement climatique, contre le terrorisme, conflit en Syrie, Libye, tensions avec la Corée du Nord, mais également survie de l'accord sur le nucléaire iranien et gestion des migrations. Et la réforme de l'ONU, serpent de mer repris par l'administration Trump - laquelle organisait lundi une réunion sur le sujet, avec l'appui contraint du secrétaire général de l'ONU - qui cherche à empêcher les coupes aveugles dans les budgets de l'organisation et de ses agences. D'abord en campagne, puis à la Maison Blanche, Trump n'a eu de cesse d'afficher sa méfiance, voire sa franche hostilité au multilatéralisme. «Nous sommes à la croisée des chemins, résume le diplomate européen, avec la tentation, pour certains pays, de se retirer du jeu multilatéral pour revenir au monde des rivalités nationales du XIXe siècle.»

Trump, le risque du repli

«En ce qui concerne les Nations unies, les choses seront différentes après le 20 janvier.» Ainsi menaçait Donald Trump sur Twitter, alors président élu, courroucé par une résolution inédite du conseil de sécurité en décembre 2016, qui dénonçait la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens - la résolution avait été adoptée grâce à l'abstention de l'administration Obama. Trump a rarement manqué une occasion de critiquer l'ONU, qu'il juge inefficace, népotique, bureaucrate. Et trop coûteuse : les Etats-Unis en sont le plus gros contributeur, loin devant tous les autres, fournissant 22 % de son budget central bisannuel de 5,4 milliards de dollars (environ 4,5 milliards d'euros) et 28,5 % de son budget de 7,3 milliards de dollars (6,1 milliards d'euros) alloué aux opérations de maintien de la paix. «Au cours des dernières années, les Nations unies n'ont pas atteint leur plein potentiel à cause de la bureaucratie et d'une mauvaise gestion», a lâché le président américain, lundi, lors d'une réunion sur la réforme de l'organisation internationale.

En mars, le projet de budget de Trump prônait des coupes drastiques dans le financement de l'ONU : la Maison Blanche envisageait de réduire à 996 millions de dollars (835 millions d'euros) la contribution américaine aux organisations internationales - ONU en tête - contre 1,36 milliard (1,1 milliard d'euros) cette année. Des coupes qui «handicaperaient sérieusement le fonctionnement de l'ONU et de ses missions de maintien de la paix», assure à Libération Stephen Schlesinger, du think tank new-yorkais Century Foundation et auteur de Act of Creation, sur la naissance de l'ONU.

Imprévisible. Difficile d'anticiper le contenu du discours de l'imprévisible Trump, mais le spécialiste de l'ONU à l'European Council on Foreign Relations Richard Gowan croit percevoir un changement de posture du président américain : «Il y a neuf mois, Donald Trump parlait en des termes très agressifs de la façon avec laquelle il comptait forcer les Nations unies à changer, comment il comptait faire des coupes claires dans son budget, confie-t-il. Le fait qu'il vienne à l'ONU, qu'il prenne place au côté des autres chefs d'Etat et de gouvernement, est une évolution remarquable. Sans compter qu'il arrive avec des propositions de réformes, certes minimes et assez consensuelles, mais techniques. Cette initiative est bien plus un geste politique qu'une réelle volonté de réforme, mais elle montre aux autres leaders que Trump est prêt à jouer le jeu de l'ONU, plutôt que de chercher à lui donner des coups de pied de l'extérieur.» Depuis la naissance de l'organisation en 1945, le président américain prend le leadership de l'Assemblée générale de l'ONU. «Pour Trump et ses vues anti-multilatéralisme et nationalistes, alors qu'il cherche, littéralement, à ramener les Etats-Unis dans ses propres frontières, ce sera forcément différent», anticipe Stephen Schlesinger.

«Rendre des comptes». Il n'empêche : le discours du président américain à la tribune va accaparer l'attention de la centaine de chefs d'Etat et de gouvernement et des milliers de diplomates, observateurs et journalistes présents à New York. «L'intégralité de cette 72e Assemblée générale sera définie par ce que va dire Donald Trump, affirme Gowan. Tout le monde attend ce qu'il va dire, ce qu'il va faire, comment il va se comporter, notamment au sujet de l'Iran, de la Corée du Nord et de la réforme de l'ONU, avec pas mal de nervosité.» Plusieurs possibilités, selon le chercheur : soit il s'en tient à son discours écrit, dans lequel il va sûrement «souligner l'importance de la coopération internationale, notamment vis-à-vis de la Corée du Nord». Il peut aussi totalement lâcher le prompteur, et «livrer une diatribe anti-ONU». Dernière possibilité : «Lire sagement son discours et les jours suivants poster des tweets rageurs pour satisfaire sa base.»

Dans son intervention à la fois attendue et redoutée, «le président Trump va promouvoir la paix, la prospérité, la souveraineté et le fait de rendre des comptes», a déclaré lundi, sur Fox News et sans plus de détails, sa conseillère Kellyanne Conway. «Trump devra également expliciter son «America First», qui a laissé les pays membres assez perplexes, avance Stephen Schlesinger. Le président américain semble prêt à braquer ses propres alliés et partenaires au nom d'accords commerciaux. Cela pourrait avoir de réelles conséquences, quand on voit qu'il est capable de s'en prendre frontalement à la Corée du Sud ou à la Chine sur ce dossier, alors que ce sont des partenaires incontournables face à la Corée du Nord.»

Macron, l’ouverture

Cela n'est sans doute pas pour lui déplaire. Du haut de ses 39 ans, Emmanuel Macron s'annonce comme l'une des principales attractions de la grand-messe onusienne. L'impopularité de Donald Trump, conjuguée à l'absence des leaders chinois et russe, place le président français en position idéale : celle du champion de l'ordre multilatéral face à la tentation du repli, incarnée notamment par le locataire de la Maison Blanche. «Il n'aura pas grand-chose à faire pour être la star à New York. Pour beaucoup de chefs d'Etat, il est cette figure jeune, positive, à l'opposé de Trump», estime Richard Gowan, de l'European Council on Foreign Relations. «Macron va être le véritable concurrent de Trump aux Nations unies. Il va être une figure beaucoup plus séduisante, abonde Stephen Schlesinger, du think tank Century Foundation. Il sera scruté, jaugé, en contraste avec Trump. En fait, Emmanuel Macron va prononcer le discours qu'un président américain traditionnel aurait dû prononcer.»

A la tribune de l'ONU, où il s'exprimera probablement pendant une grosse quinzaine de minutes ce mardi midi (vers 18 heures, heure de Paris), Emmanuel Macron devrait insister sur «sa vision du multilatéralisme» et de la façon dont «la France situe son action dans le monde», explique-t-on à l'Elysée.

Teneur. Objectif : défendre les «biens communs» (planète, paix, justice, libertés, culture), comme il l'avait fait, fin août, devant les ambassadeurs français. Et marteler que les instances multilatérales, au premier rang desquelles l'ONU, demeurent des lieux cruciaux de dialogue et de négociation. Corée du Nord, changement climatique, Syrie, avenir de l'accord nucléaire iranien : les principaux dossiers sur la table de cette 72e Assemblée générale sont d'ailleurs tous «des tests pour l'action collective», résume une diplomate française. «Macron est dans une position très confortable. Il va parler peu après Trump à la tribune, ce qui lui permettra de se positionner comme l'anti-Trump, surtout si ce dernier déraille ou s'écarte de son texte», analyse Richard Gowan.

Du côté de l'Elysée, on n'écarte d'ailleurs pas la possibilité de retoucher, en dernière minute, le discours du président français en fonction de la teneur de celui de Trump. «Notre président a prouvé qu'il savait s'adapter, y compris en réaction à des discours américains», souligne un conseiller, en référence au «Make our planet great again» lancé en juin par Emmanuel Macron juste après l'annonce par Donald Trump du retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris.

Si la logique de rapport de force - symbolisé par l’interminable et virile poignée de main lors de leur première rencontre à Bruxelles - anime bel et bien la relation entre Macron et Trump, les deux hommes, qu’une génération sépare, demeurent toutefois les dirigeants de pays proches et alliés. La présence de Donald Trump à Paris pour le défilé militaire du 14 Juillet le prouve. L’agenda new-yorkais d’Emmanuel Macron aussi. Aussitôt après avoir atterri, lundi après-midi, le président français est ainsi allé rendre visite à son homologue américain dans un palace de la ville. Avec l’espoir de faire fléchir Trump sur certains sujets clés, comme la Syrie et la pérennité de l’accord nucléaire avec l’Iran.

«Macron essaie de trouver des moyens d'influencer Trump, d'émousser les pans les plus rugueux de la politique étrangère américaine, aussi bien sur le protectionnisme que sur l'unilatéralisme, estime le politologue Guillaume Devin, professeur de relations internationales à Sciences-Po. La stratégie du président Macron, c'est plutôt celle de l'enveloppement, de la recherche d'un compromis. Je ne le vois pas très bien dans une posture de confrontation qui, d'ailleurs, aurait assez peu de chances d'avoir une quelconque efficacité.»

Quête. Et Guillaume Devin d'ajouter : «Il y a le style Macron, il y a le discours, et puis il y a la réalité. Cette réalité, c'est que la France est une puissance diplomatique active, avec un réseau important, qui est susceptible de prendre des initiatives. Mais nos capacités sont limitées, nous sommes dépendants de nos alliés. Le multilatéralisme est la politique étrangère obligée de notre pays.»

Une politique «obligée» dont Emmanuel Macron entend tirer le maximum, avec des initiatives tous azimuts sur le climat, la Libye, la Syrie et même la Corée du Nord. Dans cette quête d'influence retrouvée, la France peut compter sur le nouveau secrétaire général de l'ONU. Pour le très francophone et francophile António Guterres, «il est décisif» que la France «s'active comme médiateur efficace» pour «servir de pont entre les autres puissances globales».

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