Analyse

Crise de confiance à la tête de la Libye

Après cinq mois de tergiversations, le Parlement de Tobrouk a enfin voté. Mais il a rejeté le gouvernement d'union nationale du Premier ministre, Faïez el-Serraj, soutenu par la communauté internationale.
par Célian Macé
publié le 25 août 2016 à 17h56

Il lui faut en passer par là pour asseoir son autorité : Faïez el-Serraj, Premier ministre du gouvernement d'union nationale libyen soutenu par les Nations unies, attendait depuis le 30 mars le vote de confiance du Parlement de Tobrouk. Depuis son arrivée surprise à Tripoli, par la mer, en provenance de Tunis, l'homme s'échine en effet à faire reconnaître son gouvernement par toutes les institutions du pays, déchiré depuis la révolution qui a renversé Muammar al-Kadhafi en 2011. Conformément à l'accord de Skhirat, signé au Maroc en décembre par toutes les parties, il devait notamment obtenir la confiance des deux Parlements rivaux : celui de Tripoli, dit Congrès général national, et celui de Tobrouk, aussi appelé Chambre des représentants.

Dans l'Ouest, il y est parvenu tant bien que mal. Le gouvernement élu par le Congrès général national a rapidement consenti à lui céder le pouvoir. Peu à peu, l'administration d'El-Serraj s'est installée et imposée à Tripoli. Mais à Tobrouk, dans l'Est, le blocage perdure. La Chambre des représentants aura traîné des pieds pendant plus de cinq mois avant d'organiser le vote de confiance, lundi. Jusqu'ici, elle n'avait jamais réussi à atteindre le quorum nécessaire. «Il y a eu des violences contre des députés de l'Ouest en avril et, depuis, certains parlementaires boycottaient la Chambre», explique Mattia Toaldo, analyste à l'European Council on Foreign Relations. Elle a finalement pu se prononcer en réunissant 101 députés sur 198. Mais les parlementaires réunis à Tobrouk ont clairement rejeté le gouvernement d'union nationale, avec 61 voix contre, 39 abstentions et une voix pour.

Un camouflet pour El-Serraj

«Un petit noyau dur de députés fédéralistes, qui craint que l'Est soit marginalisé en cas d'instauration d'un pouvoir central fort à Tripoli, a réussi à prendre en otage le Parlement, analyse Ali Bensaad, professeur à l'Institut français de géopolitique. Ce sont ces mêmes députés qui empêchaient la tenue du vote. De la même façon, ils ont rusé avec l'agenda parlementaire en bloquant les députés favorables au gouvernement d'union nationale, qui sont pourtant une centaine.» La Chambre des représentants a donné dix jours à Faïez el-Serraj pour revoir sa copie et lui soumettre un nouveau gouvernement. La communauté internationale est embarrassée : elle soutient le Premier ministre, mais «elle a aussi officiellement reconnu le Parlement de Tobrouk comme légitime», rappelle Moncef Djaziri, politologue spécialiste de la Libye, et ne peut «passer outre son vote».

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Après ce camouflet, le Premier ministre s'est engagé à «effectuer des concertations avec les acteurs politiques et de la société civile, et à élargir le consensus». Il va devoir ouvrir le gouvernement à des personnalités de l'Est, sans braquer ses alliés à l'Ouest. L'équilibre s'annonce délicat à trouver. «Les députés de l'Est veulent une gestion paritaire. Mais cela voudrait dire mettre sur la touche des ministres de l'Ouest, notamment de Misrata, explique Moncef Djaziri. Or le gouvernement dépend des milices de Misrata et de Tripoli. Sa sécurité pourrait même être compromise s'il perd ses alliés.»

Autorité morale et symbolique

Pourtant, le timing serait idéal pour Faïez el-Serraj : les brigades de Misrata qui combattent en son nom à Syrte contre l'Etat islamique sont proches de la victoire. L'appui aérien des Américains leur a permis d'accélérer leur progression. Les jihadistes sont désormais retranchés dans quelques quartiers de la cité côtière. A défaut de légitimité politique, pour le moment, la libération de la ville conférerait au Premier ministre l'autorité morale et symbolique dont il a besoin pour réunifier le pays.

Son grand rival, le général Khalifa Haftar, aux prises avec des groupes jihadistes proches d'Al-Qaeda depuis deux ans dans l'Est, n'a pas pu dégager ses troupes de Benghazi pour participer à la bataille de Syrte. «Seule l'aide des forces spéciales étrangères, et notamment françaises, lui permet d'engranger quelques succès», estime Ali Bensaad. «Le centre de Benghazi est désormais sous contrôle, nuance Moncef Djaziri. Mais au prix d'une militarisation totale de la ville.» S'il perd le soutien de la Chambre des représentants, Haftar se retrouvera isolé. «C'est pour cela qu'à mon avis, il va tout tenter pour faire échouer ce vote de confiance, parie Mattia Toaldo, de l'European Council on Foreign Relations. Son sort et son avenir politique se jouent là.»

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