Analyse

Etats-Unis vs Corée du Nord : l’escalade infernale

Engagés dans une surenchère verbale depuis plusieurs mois, Washington et Pyongyang ont atteint un nouveau sommet dans la provocation. Après une énième menace de tir de missile, Trump a riposté en promettant «le feu et la colère» à son rival.
par Arnaud Vaulerin
publié le 9 août 2017 à 20h36

L'escalade est bien là. A commencer par la rhétorique. Dans un registre apocalyptique et martial que ne renierait nullement la Corée du Nord, Donald Trump a promis le «feu et la colère», mardi soir, au régime de Kim Jong-un. Et la machine à provocations et tensions est repartie de plus belle entre Washington et Pyongyang. La crainte d'un embrasement de la péninsule a refait surface. Par sa violence inédite, la sortie enflammée de Trump ne manque pas d'étonner chez le président de la première puissance militaire de la planète.

«La Corée du Nord ferait mieux de ne plus proférer de menaces envers les Etats-Unis», a grondé le président américain depuis son golf de Bedminster, dans le New Jersey, où il passe des vacances. Si elles devaient continuer, les menaces «se heurteront au feu et à la colère, comme le monde ne l'a jamais vu jusqu'ici». Jamais en reste dans la surenchère belliqueuse, Pyongyang a rétorqué en menaçant de frapper l'île de Guam dans le Pacifique, où sont basés quelque 6 000 GI. Puis, un tweet en bandoulière, le soldat Trump est remonté au front mercredi pour bomber le torse avec l'arsenal nucléaire américain : «Il est maintenant plus fort et plus puissant que jamais. Espérons que nous n'aurons jamais à utiliser cette force, mais il n'y aura jamais un moment où nous ne serons pas la nation la plus puissante du monde !» Son ministre de la Défense, James Mattis, en a remis une couche mercredi soir, sommant la Corée du Nord «d'arrêter de s'isoler et d'arrêter sa course aux armes nucléaires», qui mènerait «à la fin de son régime et à la destruction de son peuple».

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Depuis le début de l'année et l'arrivée de Trump à la Maison Blanche, la crise couve et croît en Asie orientale, faisant craindre le retour d'un conflit dans la péninsule, soixante-quatre ans après la fin de la guerre de Corée. Ce n'est pas une première dans une région où les bruits de bottes et d'hélices se font régulièrement entendre. En 1994, après plusieurs semaines de crise, Bill Clinton était à deux doigts de faire bombarder le site nucléaire de Yongbyon. Il y a sept ans, la péninsule avait failli plonger dans le chaos quand Pyongyang avait coulé une corvette sud-coréenne, tuant 46 marins. Avant, quelques mois plus tard, d'expédier une pluie de roquette sur l'île sudiste de Yeonpyeong.

Humiliation

Cette fois, une nouvelle étape est franchie. Tout laisse à croire que Donald Trump a ressorti la «théorie du fou» des manuels de stratégie américains. Quand, dans les années 70, l'administration Nixon entendait faire accroire aux leaders du bloc communiste que le Président était irrationnel, imprévisible et capable de déclencher une attaque surprise redoutable. «La sortie de Donald Trump est beaucoup plus qu'une nouvelle flambée rhétorique, juge François Godement, le spécialiste de l'Asie orientale et directeur pour la stratégie d'Asia Centre. Il est probable qu'il use lui aussi de cette théorie du fou. La Chine et la Russie ont pris peur et voté des sanctions qui sont dures et je pense que la Corée du Nord va reculer. Le but de Donald Trump est de faire pression sur les soutiens de la Corée du Nord.»

Le président américain a agité la menace de sanctions secondaires à l'encontre de la Chine si d'aventure elle ne coopérait pas plus. Après le vote, samedi à l'ONU, de la résolution 2371, Washington espère que Moscou et Pékin sauront tordre le bras au jeune Kim Jong-un. Car depuis un an, le dernier rejeton de la dynastie stalinienne a tiré une trentaine d'engins, a procédé à deux essais nucléaires. Le mois dernier, en l'espace de vingt-quatre jours, il a lancé deux missiles balistiques intercontinentaux. Une sorte d'humiliation pour Trump qui assurait en janvier que cela «n'arriverait jamais». Selon plusieurs experts, le premier engin dégainé le 4 juillet, jour anniversaire de l'indépendance américaine, avait la capacité d'atteindre l'Alaska. Le second aurait pu frapper New York.

«Bad boy»

Nouvelle source d'inquiétude mardi. Le quotidien Washington Post avance que le régime de Pyongyang serait en mesure d'embarquer des charges nucléaires. «Les capacités balistiques se sont améliorées, mais à très court terme je doute que la Corée du Nord maîtrise les techniques de guidage et de détonation de ses têtes nucléaires», poursuit François Godement.

Ancien général et directeur de recherches à l'Institut des relations internationales et stratégiques, Jean-Vincent Brisset confirme que «l'état de la menace est relativement limité et je ne pense pas que les Nord-Coréens soient arrivés à miniaturiser leur charge nucléaire. En revanche, ils peuvent être tentés de tirer du chimique ou du radiologique qui ferait des dégâts. Mais vont-ils se lancer dans cette entreprise et donner un prétexte aux Américains pour frapper ?» Washington attaquera-t-il le Nord ? «Le bad boy, c'est Kim, pas Trump, reprend Brisset. Les Etats-Unis ont la capacité et toutes les techniques pour cibler une rampe de lancement, un site de fabrication ou d'ingénierie nucléaire.»

Mais Pyongyang ne restera certainement pas l'arme au pied en cas d'attaque. Le grand Séoul avec ses 25 millions d'habitants est à une quarantaine de kilomètres de son artillerie contre laquelle le bouclier antimissile américain Thaad ne peut rien. «Le châtiment du Nord sur le Sud serait effarant», note François Godement. Le reste du territoire sud-coréen et l'archipel japonais sont à portée des missiles dont le régime des Kim s'est doté depuis 1984. Et pour l'heure, ni Séoul, ni Tokyo - pourtant dirigé par le faucon Shinzo Abe - ne veulent entendre parler d'une frappe ciblée ou préventive. «C'est tout le dilemme de la région, note François Godement. Les Japonais et les Sud-Coréens se plaignent quand les Etats-Unis donnent l'impression de prendre leurs distances par rapport à la péninsule et redoutent quand ils passent à l'offensive.» Comme s'ils s'étaient résignés à vivre avec une Corée du Nord nucléarisée et dotée d'une capacité de frappe toujours plus menaçante.

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