Intimidations

Un week-end à haut risque en Corée du Nord

Washington et Pyongyang multiplient provocations et menaces à la veille du 105e anniversaire de la naissance du fondateur du régime nord-coréen.
par Laurence Defranoux
publié le 14 avril 2017 à 19h17

Jamais l’anniversaire du vieux Kim Il-sung, fondateur et «président éternel» de la Corée du Nord, mort et enterré depuis 1994, n’avait fait l’objet d’autant d’attention du monde entier. Son petit-fils, Kim Jong-un, à la tête de ce petit pays de 24 millions d’habitants, a l’habitude de célébrer les fêtes nationales par un tir de missile ou un essai nucléaire au nez et à la barbe de la communauté internationale.

Sauf que, cette fois, Donald Trump a promis que les Etats-Unis répliqueraient à toute provocation. Un porte-avions escorté de trois navires porte-missiles a été dérouté au large de la péninsule la semaine dernière. Et pour que le message soit plus clair, les Etats-Unis ont largement fait la publicité jeudi du largage d'une énorme bombe contre Daech en Afghanistan, une semaine après l'attaque d'une base de l'aviation syrienne. Pas en reste, l'armée nord-coréenne répliquait vendredi que les bases américaines et la capitale sud-coréenne, où doit se rendre le vice-président américain Mike Pence ce week-end, seront «pulvérisées en quelques minutes» en cas de guerre.

«Une manœuvre d’intimidation très risquée»

«C'est sûrement la situation la plus dangereuse actuellement, expliquait jeudi la chercheuse Laurence Nardon à Libération. Il y a de la gesticulation des deux côtés. Cette manœuvre d'intimidation à l'encontre de la Corée du Nord est très risquée car le régime de Kim Jong-un a maintenant l'arme nucléaire.» Vendredi, la Russie, «très inquiète», a appelé toutes les parties à la «retenue» et mis en garde contre «toute action qui pourrait être interprétée comme une provocation». La Chine a averti de son côté qu'un «conflit peut éclater à tout moment», et continue à marteler, comme elle le fait depuis un quart de siècle, que «le dialogue est la seule issue». 

Depuis 2006, la Corée du Nord a accéléré son développement de l’arme nucléaire en dépit des sanctions internationales, effectuant cinq essais dont deux en 2016, et des dizaines de tirs de missiles malgré les sanctions économiques qui lui sont imposées. Même si les experts militaires pensent que le régime de Pyongyang n’a pas encore la capacité technique d’installer des têtes nucléaires sur des missiles à longue portée, une attaque traditionnelle sur Séoul est envisageable techniquement, tout comme l’envoi d’armes chimiques sur la Corée du Sud, le Japon ou l’île américaine de Guam.

Sixième essai ou leurre ?

Dans le dossier de la Corée du Nord, les déclarations et les provocations sont monnaie courante. Depuis sa création en 1948, ce petit pays communiste assure son indépendance grâce à des manœuvres diplomatiques de haute voltige, au soutien de son allié chinois et à une intense activité criminelle. Conscient que chacun de ses gestes sont étudiés, son leader s'est payé jeudi la tête des 200 journalistes étrangers présents dans le pays à l'occasion des cérémonies du 15 avril. Conviés pour un «événement majeur», ils se sont retrouvés à assister à l'inauguration d'une rue. Ce qui laisse planer le doute sur la finalité de l'«activité anormale» repérée par satellite sur la base nucléaire nord-coréenne de Punggye-ri par les analystes de 38 North. Preuve de préparatifs d'un sixième essai ou énième leurre ?

Côté américain, difficile aussi de faire la part de la dissuasion et des intentions réelles de Donald Trump, dont la stratégie de politique étrangère est encore très floue. «Même si tout est possible, il ne faut pas confondre un mouvement de porte-avions avec une préparation de guerre. Des navires de guerre, il y en a plein dans la région», rappelle le chercheur François Godement. Le USS Carl Vinson s'y trouvait d'ailleurs quelques jours avant que le Pentagone ne lui ordonne de se dérouter de l'Australie pour revenir dans la zone. «En 2006 déjà, Bush avait fixé une ligne rouge après le lancement d'un missile. Le bruit des bottes dominait. Après le premier essai nucléaire, en France et en Europe on était sûrs que les Etats-Unis allaient répliquer. La secrétaire d'Etat Condoleeza Rice avait surpris tout le monde en suggérant qu'on fasse entrer la Corée du Nord à l'Apec [Coopération économique pour l'Asie-Pacifique, ndlr] et qu'on tente une négociation.»

«Suspension contre suspension»

Pékin, qui plaide depuis plusieurs semaines pour une solution dite «suspension [des activités nucléaires et balistiques nord-coréennes] contre suspension [des manœuvres militaires conjointes américaines, sud-coréennes et japonaises]» a laissé entrevoir jeudi une solution inédite, en appelant Pyongyang à «abandonner son programme nucléaire» en échange d'une «garantie sécuritaire». Les arguments économiques ne sont pas oubliés : après avoir refoulé les cargos nord-coréens qui venaient livrer du charbon cette semaine, la Chine a menacé Pyongyang de couper le robinet d'approvisionnement en pétrole. Un embargo qui mettrait en question la survie même du pays, dépendant à plus de 80% des échanges commerciaux avec son immense voisin.

La plus grande incertitude plane donc sur la région. Si seul l’écho des flonflons provient ce samedi pascal depuis la péninsule coréenne, le soulagement sera de courte durée. Le 25 avril, Pyongyang célébrera l’anniversaire de la création de son armée.

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