Diplomatie

Mohammad Javad Zarif, le visage avenant de l’Iran reçu à Paris

Le ministre iranien des Affaires étrangères doit rencontrer ce vendredi Emmanuel Macron. Négociateur habile, il incarne, aux yeux des Européens, une diplomatie pragmatique.
par Pierre Alonso
publié le 22 août 2019 à 21h06

La boîte noire iranienne s'est entrouverte quelques jours. Le 26 février, le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, annonce sa démission dans un post sur Instagram, réseau social très populaire en Iran. Consternation de ses équipes, qui se mobilisent illico pour lui demander de rester, et stupéfaction dans les capitales européennes : à l'étranger, Zarif est vu comme l'homme du compromis, celui qui a négocié l'accord sur le nucléaire, adopté à Vienne en 2015 après des années de tension. Sa démission est refusée par le Président et le Guide.

Ce vendredi il est à Paris, où il doit rencontrer Emmanuel Macron. Car, quatre ans après, le dossier du nucléaire iranien est redevenu un sujet de crise, conséquence du rétablissement unilatéral des sanctions décidé par Donald Trump en mai 2018, et des violations de l'accord par Téhéran depuis le début de l'été. A nouveau, la République islamique envoie son visage souriant, Zarif, pour trouver une issue. Le diplomate a une longue expérience. «C'est un négociateur très capable, minutieux, qui fait attention à tous les détails», relève Ellie Geranmayeh, chercheuse au European Council on Foreign Relations qui l'a rencontré plusieurs fois.

Idéologie

L'homme, 59 ans, est ministre des Affaires étrangères du président Rohani depuis son élection, en 2013, et a fait presque toute sa carrière dans cette administration. Seule exception : les mandats du président ultraconservateur et franc-tireur Mahmoud Ahmadinejad, pendant lesquels Zarif quitte le ministère. Mais avant, et depuis, Zarif a constamment œuvré à normaliser les relations entre l'Iran et le reste du monde. Au nom de la survie du régime, souligne le chercheur Clément Therme : «Zarif croit dans l'idéologie du régime. Il est un agent de ce système mais n'a pas beaucoup de marge de manœuvre parce qu'il est proche de l'ennemi.»

Comme les ultras le rappellent souvent, pour mieux le dépeindre en agent de l'étranger, Zarif connaît bien le monde occidental. L'Iran était encore en monarchie quand il est arrivé en Californie en 1976. Zarif a beau étudier à l'université de San Francisco (l'informatique, puis les relations internationales), il maintient une distance. «Je ne me suis jamais vraiment intégré à la société américaine», dit-il dans ses mémoires. Son père, un riche marchand de tissu très pieux, tente, en vain, d'éloigner son fils de la ferveur révolutionnaire qui renversera le Chah. Zarif suit de loin, mais soutient. Partisan d'une purge du personnel diplomatique au lendemain de la révolution, il obtient le consulat de San Francisco.

En 1987, il participe aux négociations pour mettre un terme à la guerre contre l'Irak, qui a ravagé les deux pays pendant huit ans. Il organise en suivant la visite au siège des Nations unies du président de la République de l'époque, un certain Ali Khameneï, qui devient Guide suprême l'année suivante. Entre 1988 et 1992, Zarif occupe un poste à la mission iranienne de l'ONU. Il y retourne au lendemain du 11 Septembre, après une fugace embellie des relations avec les Etats-Unis, qui prend fin en janvier 2002 lorsque George W. Bush place Téhéran dans son «axe du mal».

Hashtag

«Le temps passé aux Etats-Unis ne lui a pas seulement permis de maîtriser parfaitement l'anglais, il sait aussi comment fonctionnent le système américain, la politique, les médias», remarque la chercheuse Ellie Geranmayeh. Sur les réseaux sociaux, pourtant censurés en Iran, Zarif s'active : il tweete en anglais, clashe @realDonaldTrump, lance des hashtags, comme son favori #b_team, stigmatisant l'alliance entre Israël (Benyamin Nétanyahou), l'Arabie Saoudite (Mohammed ben Salmane), les Emirats arabes unis (Mohammed ben Zayed) et les Etats-Unis (John Bolton, le conseiller à la Sécurité nationale). Quand les Etats-Unis l'ont placé sur leur liste des sanctions le 31 juillet, c'est sur Twitter que le chef de la diplomatie iranienne a répliqué : «Elles n'auront aucun effet sur moi ou sur ma famille car je ne possède rien à l'extérieur de l'Iran.» Quelques jours auparavant, il avait refusé l'invitation du sénateur républicain Rand Paul de se rendre à la Maison Blanche.

S'il en est l'incarnation la plus sympathique, avec sa barbe finement taillée et son air affable, Zarif n'est pas qu'un acteur parmi d'autres de la diplomatie iranienne. «Beaucoup s'interrogent sur le contrôle qu'il exerce, notamment sur les activités de l'Iran en Syrie et en Irak. Zarif exécute la politique étrangère, décidée par consensus au sein du Conseil suprême de la sécurité nationale. Il est l'une des voix qui comptent», explique Geranmayeh. «Zarif et Qassem Soleimani [le général à la tête de la branche des Gardiens de la révolution chargée des opérations extérieures] sont les deux faces d'une même pièce, des outils entre les mains du Guide, qui les maintient tous les deux pour conserver son rôle d'arbitre», complète Clément Therme. En février, Zarif avait démissionné juste après une visite de Bachar al-Assad, reçu par Khameneï en présence de Soleimani, mais sans lui.

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