Analyse

Sahel : Paris veut des alliés en ordre de bataille

Alors qu’une nouvelle attaque meurtrière a ciblé jeudi l’armée nigérienne, Emmanuel Macron réunit à partir de ce lundi à Pau les dirigeants de la région, afin d’avancer sur l’enjeu sécuritaire et de combattre le sentiment antifrançais.
par Célian Macé
publié le 12 janvier 2020 à 20h31

Une attaque jihadiste sans précédent au Niger, qui avait fait 71 morts parmi les soldats de la base d'Inates, avait conduit au report du sommet de Pau, initialement prévu le 16 décembre. A la veille de la réunion des chefs d'Etat du G5 Sahel, lundi, dans les Pyrénées-Atlantiques, un autre bilan, plus lourd encore, a été avancé par l'agence de presse Reuters : selon «quatre sources sécuritaires», 89 militaires nigériens ont été tués dans un nouvel assaut, le 9 janvier, contre la caserne de Chinégodar, à quelques kilomètres de la frontière malienne. Les assaillants, arrivés à moto, ne sont pas parvenus à s'emparer du site et «63 terroristes ont été neutralisés», a indiqué le porte-parole de l'armée. Une patrouille de Mirage 2000 de l'opération Barkhane est intervenue pour prêter main -forte aux soldats assiégés.

Avertissement de Macron

Un mois sépare les deux dates du sommet et les deux massacres. Terrible répétition, renforçant l’impression d’impuissance du dispositif sécuritaire échafaudé au Sahel depuis 2013. Entre-temps, le 24 décembre, 200 combattants lourdement armés ont attaqué la base militaire et la ville d’Arbinda, dans le nord du Burkina Faso, tuant 42 personnes, dont 7 militaires et 35 civils. Autre record macabre. La région des trois frontières, où se rejoignent le Mali, le Burkina Faso et le Niger, est devenue un cauchemar sécuritaire. Il s’agit de la zone d’action privilégiée de l’Etat islamique au Grand Sahara, l’organisation jihadiste devenue la plus létale pour les armées du Sahel.

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La rencontre de lundi devait débuter par un hommage rendu aux sept militaires du 5e régiment d'hélicoptères de combat de Pau tués dans une collision entre deux hélicoptères, le 25 novembre, qui a coûté la vie à treize soldats français. Après l'accident, Emmanuel Macron avait demandé aux présidents du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad et Mauritanie) «qu'ils clarifient et formalisent leurs demandes à l'égard de la France et de la communauté internationale». «Souhaitent-ils notre présence et ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions, avait-il lancé. Je ne peux, ni ne veux, avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit alors même que l'ambiguïté persiste à l'égard de mouvements antifrançais parfois portés par des responsables politiques.»

Malgré l'avertissement présidentiel, le scénario d'un retrait français est inenvisageable à court terme. Mais l'injonction, mal vécue dans les capitales africaines, est toujours à l'ordre du jour du sommet. «Il s'agit d'avoir une confirmation publique et explicite de leur demande de poursuite de l'engagement militaire français au Sahel, explique l'Elysée. Les bases ont peut-être été perdues de vue. Elles peuvent faire l'objet de désinformation.» A Bamako et Ouagadougou, en particulier, un discours hostile à la présence militaire française, nourri de rumeurs complotistes, prend de l'ampleur. Une déclaration commune, à l'issue de la réunion de Pau, devrait permettre de «ressourcer la légitimité» de Barkhane. Ces dernières semaines, des prises de paroles publiques des dirigeants des Etats sahéliens ont déjà rassuré Paris. «Des contre-feux assez robustes ont été allumés contre le narratif antifrançais», constate l'Elysée.

Contenir la menace terroriste

Mais tous les «narratifs» du monde ne suffiront pas si les jihadistes continuent de prospérer au Sahel. L'échec de Barkhane et de ses partenaires africains à protéger les populations et à contenir la menace terroriste est la première des critiques qui leur sont adressées. La présidence française en est bien consciente. Elle souhaite «casser cet engrenage» à Pau, en «recentrant les opérations sur des objectifs très précis» : «Il faut davantage cibler notre effort pour pouvoir le mesurer et gagner en lisibilité.» Le combat contre l'Etat islamique dans la zone des trois frontières devrait être élevé au rang de priorité - ce qu'il était déjà dans les faits depuis plusieurs mois.

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«Ces efforts sont incomplets, et en porte-à-faux avec les besoins immédiats de la région, déplore Andrew Lebovich, spécialiste du Sahel au Conseil européen des relations internationales, dans une note parue à la veille du sommet. Ils restent concentrés sur l'action militaire, et ne parviennent toujours pas à intégrer les objectifs de gouvernance et de développement que les pays concernés et la communauté internationale disent vouloir. Ils continuent à ne pas régler les conflits politiques et sociaux qui alimentent l'instabilité et l'insécurité.» Sept ans jour pour jour après le déclenchement de l'opération Serval au Mali, rarement la tâche n'a semblé aussi lourde.

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