"L'Europe, ce n'est pas seulement pour demander des financements". Dimitris Avramopoulos, commissaire européen aux migrations lançait un avertissement, ce mardi, en annonçant le lancement d'une procédure d'infraction contre trois pays qui refusent la réinstallation de demandeurs d'asile au sein de l'UE: la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. La Commission fait pression depuis des mois sur ces pays pour qu'ils fassent preuve de solidarité dans le partage du fardeau migratoire. En vain. Et le niet de Budapest et Varsovie n'est que l'un des nombreux sujets de contentieux avec Bruxelles.

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La Hongrie fait par ailleurs l'objet, depuis la fin du mois d'avril, d'une procédure d'infraction pour sa récente loi sur les universités, qui menace de fermeture un établissement financé par le milliardaire américain libéral George Soros, bête noire du Premier ministre Viktor Orban.

Migrants, universités, ONG, Constitution, les multiples griefs de Bruxelles

Après les coups portés par Budapest et Varsovie contre les médias, l'UE ferraille aussi contre la loi adoptée mardi par le Parlement hongrois qui renforce le contrôle gouvernemental sur les ONG bénéficiant de fonds étrangers. Elle les oblige à se présenter explicitement comme "organisation bénéficiant de financements étrangers". "La Hongrie rejoint ainsi une série de pays comme la Russie, la Chine, Israël qui considèrent que le financement étranger d'ONG [...] est un acte hostile ou du moins inamical", s'est ému le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, ce mercredi.

De son côté, la Pologne a rejeté toutes les demandes de la Commission de revenir sur ses réformes controversées de la justice constitutionnelle. "La perte d'autonomie du Tribunal constitutionnel polonais met pourtant en cause l'équilibre des pouvoirs propre à une démocratie", explique à L'Express Marie-Laure Basilien Gainche, professeur de Droit public à l'Université Lyon 3.

Quels moyens de rétorsion?

En théorie, les traités européens prévoient des mesures contre les pays qui ne respecteraient pas ses valeurs. Dans la pratique, c'est une autre histoire. En cas de violation grave et persistante des principes fondamentaux de l'UE, la sanction peut aller jusqu'à la suspension du droit de vote. Mais "comme on l'a vu en 2000 lors de l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite en Autriche, elle est quasiment inapplicable", constate Marie-Laure Basilien.

Qu'il s'agisse de manquements liés au fonctionnement démocratique des pays concernés ou du non-respect d'une décision prise par les 28, comme dans le cas de la relocalisation des demandeurs d'asile, les instruments à disposition sont limités.

Complexe, la procédure d'infraction, entamée ce mercredi, passe par une mise en demeure suivie d'une injonction de se conformer au droit européen. En cas de refus d'obtempérer, la Commission peut saisir la Cour de justice. La plupart des cas sont réglés avant d'en arriver-là. En cas de blocage, la Cour la Commission peut demander des sanctions.

Une fois les différents recours activés par la Commission, les mesures de rétorsion relèvent du Conseil européen. "Parvenir à des sanctions relève avant tout d'une décision politique, observe Christian Lequesne, chercheur au Ceri-Sciences-Po. Plusieurs pays européens ne sont pas favorables à l'adoption d'une ligne dure. Parce qu'ils estiment que cela ne fait que renforcer le discours des nationalistes".

L'impuissance de Bruxelles

Il est peu probable que les chefs d'État européens parviennent à l'unanimité requise pour sanctionner les récalcitrants. "Et si cela devait arriver, cela n'interviendrait pas sur la question de l'accueil des réfugiés, qui divise beaucoup", ajoute Susi Dennison, spécialiste de l'Union européenne au Conseil européen des relations internationales (ECFR).

"Bien d'autres des agissements du gouvernement Orban auraient pu justifier de déclencher des procédures d'infraction, complète Marie-Laure Basilien. Mais les rapports de force politiques en vigueur dans l'UE compliquent les choses: Le parti populaire européen (PPE, droite) a besoin des voix du Fidesz de Viktor Orban au sein du Parlement européen, ce qui peut expliquer la lenteur de la réaction à ses agissements."

Le mode de fonctionnement de l'UE privilégie la négociation, poursuit la juriste: "l'idée est d'accompagner les États en infraction pour qu'ils reviennent sur leurs décisions sans perdre la face. "

Lier le respect des engagements aux fonds structurels?

Des députés européens sont plus virulents. Certains évoquent la possibilité de corréler la solidarité avec l'accès aux fonds structurels et d'investissement. La Pologne et la Hongrie bénéficient beaucoup plus des fonds européens qu'ils n'y contribuent: 13,3 milliards d'euros de crédits pour la première, contre 3,7 milliards de contribution en 2015, 5,6 milliards de crédits pour la Hongrie, contre 945 millions de contribution. Ce qui fait dire à Jean-Claude Juncker, président de la Commission, que "les décisions prises sont applicables, même si vous avez voté contre. C'est l'essence de la solidarité européenne, qui ne peut fonctionner à sens unique."

"L'Allemagne elle-même, au plus fort de la crise des migrants, avait évoqué la possibilité de lier l'accueil de migrants à l'accès aux fonds européens", rappelle Susi Dennison.

Mais il est peu probable que les choses bougent vraiment, en particulier dans le contexte du Brexit. "Alors que vont démarrer de complexes négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'UE, note Christian Lequesne, les 27 ne vont pas avoir envie d'ajouter un autre front de crise."

Les démocraties 'illibérales' -des gouvernement issus d'élections démocratiques qui s'affranchissent des règles démocratiques- ont bien compris cette faiblesse intrinsèque du club européen: on peut en être membre sans en respecter les règles. Et ce n'est pas prêt de changer, même si cela en sape peu à peu les fondements.

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