60% d'arrivées supplémentaires de migrants en Europe en 2015. Ils sont déjà plus de 351 000 à avoir pris le risque de traverser la Méditerranée cette année, contre 219 000 en 2014, selon l'Office international des migrations (OMI). Beaucoup ont péri en mer, comme le petit Aylan, l'enfant syrien dont la photo sur une plage turque a tant choqué, ou dans les épouvantables conditions de transport clandestin, à l'instar des 71 personnes retrouvées asphyxiées dans un camion en provenance de Hongrie.

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L'Europe est confrontée à l'une des plus graves crises de migrants depuis la guerre. Elle a pourtant déjà connu d'autres mouvements importants de population, rappelle à L'Express Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des migrations: plus de 12 millions de germanophones expulsés d'Europe orientale après 1945, la crise des boat-people à la fin des années 1970 (120 000 réfugiés vietnamiens et cambodgiens ont alors été accueillis par la France) ou celle de la guerre des Balkans (plus d'un million de réfugiés). Comment expliquer une telle hausse en 2015? Elle a deux causes. Et les grandes puissances ont leur part de responsabilité dans ces motivations.

En Syrie, la fin de l'espoir d'une sortie de crise

Les Syriens constituent le plus gros contingent de réfugiés qui tentent de rejoindre l'Europe cette année: près de 350 000 demandes d'asile ont été déposées depuis 2011. Mais ceux qui tentent de rejoindre l'Europe sont pourtant une petite minorité des déplacés. Plus de 4 millions syriens sont réfugiés cette année, selon le HCR, auxquels s'ajoutent les déplacés à l'intérieur du pays. La Turquie, le Liban, la Jordanie accueillent à eux seuls plus de 3 millions de cette population, soit dix fois plus que le nombre de migrants arrivés cette année sur le sol européen.

Les exactions de Daech ne suffisent pas à expliquer la hausse des départs. "Les Syriens fuient aussi l'extrême violence provoquée par la riposte d'Assad au soulèvement de 2011", Le régime syrien est, selon de nombreuses ONG, responsable de la majeure partie des morts de civils dans le pays. "Les Syriens ont longtemps eu l'espoir que la crise dans leur pays ne serait pas durable, que le régime finirait par tomber, ouvrant la voie à une transition qui leur permettrait de rentrer chez eux, analyse Catherine de Wenden. Avec la montée en puissance du groupe Etat islamique (EI), la chute du régime syrien n'est plus la priorité des grandes puissances, et les Syriens ont le sentiment que le régime et donc l'instabilité vont durer". La perspective d'une sortie de la guerre semble plus éloignée que jamais.

Ceux qui tentent de traverser la Méditerranée espèrent aussi en finir avec la vie dans les camps de réfugiés dans les pays voisins de la Syrie parce qu'ils rêvent d'une vie normale pour eux et leurs enfants. C'est ce qui explique le profil des migrants syriens, différent de celui des migrants en provenance d'Afrique. "Ce ne sont pas les plus pauvres. Ce sont des familles qui ont eu les moyens d'épargner pour payer les passeurs", ajoute Catherine de Wenden. Ils sont à la recherche d'un avenir meilleur pour leurs enfants, alors que les migrants africains sont en majorité de jeunes hommes.

Le chaos en Libye

L'insécurité et la guerre qui a suivi la chute du régime de Kadhafi en 2011 a morcelé le théâtre libyen en une multitude de pouvoirs locaux. La guerre civile entre les deux grandes coalitions, déclenchée au printemps 2014, a contribué à aggraver la situation interne et facilité l'installation des islamistes de l'EI, qui ne cesse de grignoter du territoire.

Ce désordre a "accéléré le départ de nombreux Africains présents dans le pays (la population d'immigrés atteignait 1,7 million en 2010 dans le pays), , expliquait récemment à L'Express Mattia Toaldo, chercheur au Conseil européen des relations internationales (ECFR). Le chaos ainsi que les attaques de Daech dont ils ont été la cible, les poussent à quitter le pays." Dans le même temps, les milices installées dans l'ouest du pays participent pour certaines d'entre elles au trafic, source de revenus.

Par leurs erreurs, les Européens ont contribué au blocage de la situation en Libye et, par ricochet, à l'amplification de la question migratoire, précisait Mattia Toaldo. En particulier en reconnaissant exclusivement les autorités de Tobrouk - à l'origine de la guerre civile. Tant qu'il jouit de cette reconnaissance internationale exclusive, le gouvernement de Tobrouk n'a en effet aucune raison d'accepter le partage du pouvoir prévu par l'ONU avec l'autre grande coalition. Aujourd'hui, les deux coalitions de Tobrouk et de Tripoli utilisent la question des migrants pour tenter de renforcer leur légitimité à l'international.

Aux crises syrienne et libyenne et à la poursuite de l'instabilité en Afghanistan s'ajoute aux flux préexistants de migrants africains cherchant à fuir la misère, le chômage et la malgouvernance dans leurs pays d'origine.

Enfin, ajoute Catherine de Wenden, l'ampleur de la crise, ces derniers mois, a alimenté un "marché" pour les passeurs dont l'"offre" s'est accrue afin de répondre à la "demande" des candidats au départ.

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