Les deux principaux rivaux libyens, le civil Fayez al-Sarraj et le militaire Khalifa Haftar, réunis à l'initiative d'Emmanuel Macron, le 25 juillet 2017 à La Celle-Saint-Cloud, près de Paris

Les deux principaux rivaux libyens, le civil Fayez al-Sarraj et le militaire Khalifa Haftar, réunis à l'initiative d'Emmanuel Macron, le 25 juillet 2017, à La Celle-Saint-Cloud, près de Paris.

afp.com/JACQUES DEMARTHON

L'image a fait le tour du monde. Le chef du gouvernement d'union nationale libyen, Fayez al-Sarraj, serre la main du maréchal Khalifa Haftar, l'homme fort de l'est du pays, sous l'oeil d'Emmanuel Macron. A La Celle-Saint-Cloud, le président français a réussi un joli coup diplomatique mardi, six ans après le renversement du régime du dictateur Mouammar Khadafi, dont le pays ne s'est toujours pas remis. Si l'initiative semble louable, le plus dur reste cependant à faire.

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Aucun véritable accord n'a été signé entre les deux hommes, qui se sont seulement entendus sur une déclaration commune en dix points. Celle-ci ne prévoit ni la mise sous tutelle civile de l'Armée nationale libyenne d'Haftar - en réalité un agrégat de groupes armés -, ni la reconnaissance de l'autorité qu'accorde la communauté internationale à Sarraj sur l'ensemble du pays.

La déclaration prévoit en revanche l'instauration d'un cessez-le-feu, à l'exclusion de la lutte contre les groupes terroristes. Elle envisage également l'organisation d'élections générales d'ici moins d'un an, seule véritable nouveauté par rapport aux différentes résolutions, notamment onusienne, des dernières années.

Des élections "irréalistes"

"Tout le monde sait en Libye qu'il est irréaliste de prétendre à des élections pour mars 2018", estime cependant l'ancien diplomate Patrick Haimzadeh, qui revient d'un séjour sur place. "Cela pose beaucoup de problèmes légaux, abonde Mattia Toaldo, chercheur au Conseil européen des relations internationales. On ne sait pas qui va convoquer les élections et par quelle loi."

Surtout, de nombreux acteurs manquaient à La Celle-Saint-Cloud. "Cette rencontre a été montée dans l'urgence, sans travail, avec la volonté française de s'afficher. Sarraj et Haftar ne sont pas représentatifs de la sociologie du pays et n'avaient pas de mandat, regrette Patrick Haimzadeh, auteur d'Au coeur de la Libye de Kadhafi, publié en 2011 aux éditions Jean-Claude Lattès. Sarraj est contesté jusqu'à Tripoli."

Les forces loyales aux autorités libyennes parallèles, commandées par le maréchal Khalifa Haftar à Benghazi, en Libye, le 20 mai 2017

Les forces loyales au maréchal Khalifa Haftar, à Benghazi, en Libye, le 20 mai 2017.

© / afp.com/Abdullah DOMA

Si la Cyrénaïque s'est globalement rangée derrière Haftar, Sarraj n'est que le plus petit dénominateur commun des puissants groupes armés, notamment ceux de Tripoli et Misrata, qui contrôlent l'ouest du pays. Ces derniers, malgré leurs divergences, s'accordent à s'opposer à la montée en puissance d'Haftar, qu'ils considèrent comme un futur autocrate loin des idéaux de la révolution.

A cet égard, Haftar, à qui il manquait jusqu'à présent une forme de reconnaissance internationale, apparaît comme le grand gagnant de La Celle-Saint-Cloud. "Il a gagné beaucoup de légitimité mardi, mais n'a rien donné en échange, constate Mattia Toaldo. De plus, le cessez-le-feu est très ambigu et sans mécanisme de contrôle. Haftar pourrait tout à fait se réclamer de l'antiterrorisme [ce qu'il a fait ces derniers mois pour justifier ses conquêtes militaires] pour marcher sur Syrte, dont est originaire sa tribu."

Des groupes armés locaux à convaincre

L'impulsion donnée par la France mardi ne donnera rien sans un accord de terrain entre tous les groupes armés. "La solution de la crise libyenne ne peut être que politique et passe par un processus de réconciliation nationale associant tous les Libyens", convient d'ailleurs le texte. C'est la mission qui a été récemment assignée par l'ONU Ghassam Salamé, présent mardi à La Celle-Saint-Cloud.

Le choix d'un diplomate libanais, qui doit bientôt se rendre sur place, ne doit rien au hasard. L'intégration politique ou militaire des groupes armés et le maintien de milices, dont la plus célèbre et la plus puissante est le Hezbollah chiite, est la voie qu'a dû emprunter le Liban pour éviter de retomber dans la guerre civile.

Une dizaine d'avions de combat attendent l'ordre de décoller pour aller frapper les positions que tient encore le groupe Etat islamique (EI) en Libye, le 4 septembre 2016 sur le tarmac de Misrata

Une dizaine d'avions de combat attendent l'ordre de décoller pour aller frapper les positions que tient encore le groupe Etat islamique (EI) en Libye, le 4 septembre 2016n sur le tarmac de Misrata.

© / afp.com/MAHMUD TURKIA

Pour Patrick Haimzadeh, seule une intégration réfléchie des groupes armés pourra donner la stabilité à laquelle aspirent les Libyens. "Il faut tenir compte du fait que les milices ne veulent pas rentrer dans l'armée et font régner une forme de sécurité au niveau local, estime-t-il. Il faut trouver une équation pour avoir une armée nationale en charge des frontières et de la lutte contre le terrorisme et, d'un autre côté, des forces de sécurité avec des engagements contractuels locaux."

"La majorité de la population veut la paix"

Derrière la feuille de route de La Celle-Saint-Cloud, qui a au moins le mérite d'exister, les inconnues restent nombreuses, à commencer par l'ingérence étrangère. Le soutien, notamment militaire, de l'Egypte et des Emirats arabes unis s'est révélé décisif dans la progression territoriale d'Haftar. Les groupes de l'ouest ont pu compter sur d'autres soutiens.

"Il y a un risque à surarmer certaines parties, alors que la majorité de la population veut la paix, rappelle Patrick Haimzadeh. Ces dernières années, les Libyens ont malgré tout réussi à préserver un certain nombre de choses au niveau local, comme l'électricité. La culture politique est locale, le pays est immense avec beaucoup de disparités. Il ne faut pas imaginer une reconstruction par le haut."

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