L'ancien protégé de la CIA est devenu un casse-tête pour les Occidentaux. "Haftar n'a pas les forces suffisantes sur le champ de bataille pour tenir sa promesse de vaincre les islamistes, mais il en a assez pour semer la pagaille", explique au Washington Post un spécialiste de la Libye. Le général Khalifa Haftar, dont les forces viennent de s'emparer des quatre terminaux du croissant pétrolier en Libye, menace en effet la fragile accalmie de ces derniers mois.

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Après des années de chaos consécutives à la chute du colonel Kadhafi en 2011, un gouvernement d'union nationale (GNA) formé sous l'égide de l'ONU s'est installé au printemps à Tripoli. Dirigé par Fayez al-Sarraj, il s'efforce de rétablir un semblant de normalité dans le pays, mais peine à faire reconnaître son autorité sur l'est du pays, en partie passé sous la houlette du général. En s'emparant du poumon économique de la Libye, le général Haftar sape les efforts de réunification et de reconstruction du pays soutenu par les pays européens et les Etats-Unis.

Il se retourne contre le "Guide" qui l'abandonne au Tchad

Lorsqu'il tente de rentrer en Libye lors du soulèvement contre Kadhafi, en 2011, personne n'imagine le futur pouvoir de nuisance de Haftar. Sa tentative de se porter à la tête de la rébellion échoue et il rentre en Virginie-Occidentale, aux Etats-Unis, où il vit en exil depuis 20 ans.

Promu capitaine après le coup d'Etat qui porte Mouammar Kadhafi au pouvoir en 1969, il est formé dans une académie militaire soviétique et obtient le rang de colonel. Son sort bascule lors de la guerre lancée par le "Guide" contre le Tchad en 1987. Mis en échec, Kadhafi laisse tomber les hommes capturés par Hissène Habré. Haftar rejoint alors un groupe de dissidents entraînés par la CIA au Tchad qui prépare le renversement du dirigeant libyen. La tentative de putsch fait long feu et en 1990, Haftar et ses hommes sont évacués vers les Etats-Unis.

En 2014, après une étrange tentative de coup d'Etat annoncée par vidéo, en mai, il débarque à Benghazi à l'automne d'où il lance l'"opération dignité", censée mettre fin au désordre instauré par les multiples milices et stopper l'essor des djihadistes. "Nous sommes là pour sauver le pays", assure-t-il. Le rejet par la population de l'emprise des milices dans la grande ville de l'est lui assure le soutien d'une partie de la population.

Un "nouveau Kadhafi"?

Dans les mois suivants, la formation de deux grandes alliances rivales se dessine, l'une à l'ouest du pays qui inclut dans ses rangs des islamistes issus des Frères musulmans, l'autre dans la Cyrénaïque natale du général. Haftar s'assure le soutien de plusieurs tribus dont la sienne, celle des Ferjani. "Il représente les Bédouins contre les citadins", observe Mattia Toaldo, chercheur à l'ECFR. Parlant de ses adversaires, Haftar ne fait pas dans le détail. Tous sont assimilés à des djihadistes: "Pour eux, il y a trois options: la tombe, la prison ou l'exil", tranche-t-il. Lui même compte pourtant des salafistes parmi les milices sur lesquelles il s'appuie.

Nommé ministre de la Défense par le gouvernement de Tobrouk, dans l'est du pays, Haftar assoit peu à peu son autorité. "Il a le dernier mot sur les décisions du gouvernement de l'est", constate Mattia Toaldo. Dans les régions qu'il contrôle, les maires élus sont remplacés par des gouverneurs militaires, il mène une purge parmi les fonctionnaires et va jusqu'à nommer l'équipe dirigeante de la compagnie aérienne libyenne. "Il établit un véritable régime despotique", assure Mattia Toaldo. "Haftar n'est pas intéressé par la démocratie. Il n'est sans doute même pas particulièrement intéressé par la paix", explique de son côté au Washington Post un ancien officiel du département d'Etat américain.

Quant à Frederic Wehrey, expert au think tank Carnegie Endowment for peace, il voit en, lui un potentiel "nouveau Kadhafi". En 2015, Haftar a tout simplement empêché le Premier ministre du gouvernement de Tobrouk de quitter le pays, raconte-t-il. A Benghazi, berceau de la révolte contre l'ancien tyran, un tiers de la population a fui la ville depuis qu'il la dirige, souligne Mattia Toaldo.

Malgré sa rhétorique anti-djihadiste, ses résultats dans la lutte contre le groupe Etat islamique sont limités. Il profite au contraire du fait que les forces du GNA sont occupées depuis quatre mois à tenter de déloger l'EI du bastion de Syrte pour lancer son opération sur les terminaux pétrolier.

Soutien de l'Egypte, des Emirats et de la Russie

Lorsque la communauté internationale soutient la réconciliation nationale avec les accords de Skhirat en 2015 et la formation d'un gouvernement d'union nationale, Haftar et les autorités de l'est refusent de s'y rallier.

Dans sa croisade, le général peut compter sur des alliés déterminés qui partagent son hostilité farouche envers les Frères musulmans: l'Egypte et les Emirats arabes unis, engagés militairement dans ce combat, et la Russie.

La position de la France, elle, intrigue les observateurs. Paris, à l'instar des diplomaties européennes et de Washington, a appelé "au retrait immédiat et sans conditions de toutes les forces armées qui se trouvent dans le croissant pétrolier", mardi. Mais la révélation, cet été, de la présence de militaires françaises aux côtés du général Haftar interroge. Se contentent-ils de "surveiller les activités de l'EI", comme ils le prétendent? Interrogé par L'Express, le Quai d'Orsay assure soutenir le Premier ministre du gouvernement appuyé par l'ONU, Fayez el-Sarraj.

Les parrains penchés sur le sort de la Libye sont aujourd'hui convaincus que la réconciliation en cours passe par une réconciliation entre l'est et l'ouest du pays. Le nouvel homme fort de la Cyrénaïque doit y trouver sa place, au moins à l'échelon local. Mais les derniers coups de poker de Khalifa Haftar ne laissent pas augurer qu'il se contentera d'un second rôle. Son prénom lui donne-t-il le sentiment que la place qui lui revient en Libye est celle du calife?

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