Pourra-t-on ne pas répéter les erreurs du passé en en Libye? La communauté internationale s'est dite favorable à une levée de l'embargo de l'ONU et "prête" à répondre aux demandes du gouvernement pour s'armer en vue de lutter contre la menace djihadiste, lundi, à Vienne.

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L'organisation Etat islamique a profite du chaos dans lequel est plongée le pays depuis la révolte qui a mis fin au régime de Mouammar Kadhafi pour s'implanter dans cet Etat producteur de pétrole, aux portes de l'Italie et à 2000 kilomètres des côtes françaises. L'éclairage de Mattia Toaldo, expert au Conseil européen des relations internationales (ECFR).

Quelles peuvent être les conséquences de l'annonce faite à Vienne lundi de la possible levée de l'embargo sur les armes pour la Libye?

Les grandes puissances ont surtout envoyé un message politique de soutien au gouvernement d'union nationale de Fayez al-Sarraj. Pour qu'il soit levé, il faut que ce dernier présente une demande d'exemption de l'embargo sur les armes en vigueur depuis 2011. Que cette demande soit examinée, pesée. Cela pourrait prendre pas mal de temps.

Le gouvernement d'union est-il en mesure de contrôler les flux d'armes, une fois l'embargo levé?

Rien ne l'assure. Il faudrait au minimum que soit constitué un embryon de structure militaire unifiée, ce qui est envisageable si le général Mahdi Al-Barghathi rejoint comme prévu le gouvernement d'union nationale de Fayez al-Sarraj, basé à Tripoli. Al Barghathi a la confiance des militaires de la région de Benghazi.

Où en est la situation politique? Combien y a-t-il de centres de pouvoirs?

On disait jusqu'à récemment qu'il y avait trois gouvernements à prétention nationale en Libye, ainsi qu'une myriade de pouvoirs locaux: un à Tripoli, dans l'ouest, un à Tobrouk, dans l'Est, auquel est venu s'ajouter le gouvernement d'union national de Fayez al-Sarraj, issu des négociations lancées en décembre 2015 sous l'égide de l'ONU.

L'expansion de l'EI en Libye

L'expansion de l'EI en Libye. Carte issue du rapport de Mattia Toaldo pour l'ECFR: Europe's second chance on Libya

© / (ECFR)

Les choses ont évolué au cours du printemps avec l'installation de Sarraj à Tripoli. Il y a désormais deux pôles de pouvoir: celui basé à Tobrouk avec des forces armées qui lui sont loyales, notamment sous le commandement du général Khalifa Haftar.

A Tripoli, le gouvernement d'union a obtenu le soutien de plusieurs villes de l'ouest, des plus importantes villes du sud, ainsi que des principales institutions économiques. Mais il ne compte toujours pas de membre originaire de l'Est, à l'exception d'Ibrahim Jadhran, chef des gardes pétroliers. Le conseil présidentiel formé par Sarraj ne compte que 7 membres sur 9.

Vous dénoncez le double discours des Occidentaux...

On a l'impression que les chancelleries soutiennent le gouvernement d'union mais que leurs efforts sont sapés par les ministres de la Défense. Ceux-ci ont envoyé des forces spéciales soutenir différents groupes armés, principalement le général Haftar. Ce faisant, ils minent les efforts de réconciliation indispensables pour garantir le retour à la stabilité de la Libye. Haftar est en effet un rival politique du colonel Barghathi.

La situation s'est compliquée récemment après que le général Haftar a lancé une offensive contre Syrte, ville tenue par l'Etat islamique. Celle-ci a eu peu d'effet au plan militaire, mais beaucoup sur le plan politique, puisqu'il réussit désormais à se positionner auprès des états-majors occidentaux comme une force sur laquelle s'appuyer.

Que doivent faire les Européens pour éviter de reproduire les erreurs commises lors du soulèvement contre Kadhafi, en 2011?

A court terme, l'Europe doit essayer de limiter la dégradation de l'économie, qui ruine l'effort de stabilisation du gouvernement d'union. Un signe positif est venu de Vienne, lundi, avec l'ébauche d'un accord pour la création d'une seule compagnie pétrolière, ce qui permettrait de relancer les exportations de brut et d'apporter de l'oxygène aux caisses de l'Etat.

Les occidentaux doivent penser la crise libyenne à long terme et non se limiter aux préoccupations sécuritaires immédiates, la lutte contre Daech et le contrôle de l'immigration, faute de quoi ils perpétueront la fracture du pays.

Pour sortir du chaos qui a permis l'installation de l'EI, il faut encourager l'installation d'un gouvernement central qui gère les grandes questions économiques et laisse les autorités locales s'occuper de la vie au quotidien.

Aider militairement le général Haftar, comme le font les forces spéciales, ainsi que l'Egypte et les Emirats arabes unis, c'est risquer de voir les armes livrées pour combattre Daech servir à perpétuer la guerre civile. Mais aussi d'encourager une surenchère au sein des groupes armés, qui produirait en Libye l'équivalent des peshmergas en Irak: les combattants kurdes aidés par les occidentaux pour combattre Daech profitent de ce soutien pour faire avancer leur agenda séparatiste.

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