La dernière bravade du dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un a atteint son but. Les trois tirs d'essai balistiques qui ont touché la zone économique exclusive (ZEE) du Japon, à 300 km de ses côtes, suscitent l'inquiétude dans toute la région. En réaction, les Etats-Unis ont annoncé le déploiement de leur bouclier antimissile Thaad, au grand dam de Pékin. Jusqu'où peuvent mener ces gesticulations?

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Quelles sont les intentions de la Corée du Nord?

Le tir de lundi est le second depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Plusieurs explications possibles à ces bravades: d'abord, une réponse aux exercices militaires annuels conjoints, entamés par Séoul et Washington, la semaine dernière.

Il s'agit sans doute aussi de tester le nouveau président américain, avant la première visite de son chef de la diplomatie, Rex Tillerson, à Pékin, à la fin du mois.

Pour la Corée du Nord, enfin, "atteindre le statut de puissance nucléaire est une sorte d'assurance-vie contre le risque de changement de régime", assure à L'Express Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique. Un moyen, pour Kim Jong-un de se préserver du sort de Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi.

Pourquoi le bouclier Thaad inquiète Pékin

Officiellement, le bouclier antimissile Thaad n'est destiné qu'à contrer Pyongyang. Mais "Pékin se perçoit comme la principale cible de ce dispositif, explique à L'Express Mathieu Duchâtel, spécialiste de l'Asie au Conseil européen des relations internationales (ECFR). Il viserait à dégrader la force de dissuasion chinoise."

"Séoul a longtemps hésité avant d'accepter le déploiement d'un bouclier antimissile américain, souligne Valérie Niquet. La présidente Park Geun-hye comptait sur la capacité de la Chine, premier partenaire économique de la Corée du Nord, à faire pression pour modérer le voisin du nord". Mais après la reprise de la course au nucléaire début 2013, Séoul a décidé de s'abriter sous le parapluie américain.

"Jusqu'à présent, le parti démocrate, donné favori pour la présidentielle après l'impeachment de Park Geun-hye, était plutôt hostile au parrain américain. Mais la virulente réaction de Pékin contre la Corée du Sud (boycott de chaines de commerce, du tourisme en Corée du Sud, et même de la K-pop) a amené de l'opposition coréenne à assouplir sa position vis-à-vis des Etats-Unis.

Pourquoi les provocations de Pyongyang sont inquiétantes

"C'est la première fois que Pyongyang menace aussi ouvertement le territoire japonais", relève Valérie Niquet. Ces tirs sont la démonstration que le Nord est prêt à "rayer de la carte" les forces ennemies au moyen "d'une frappe nucléaire sans merci", a fanfaronné Kim Jong-Un, lundi.

Si le missile balistique intercontinental (ICBM) que Pyongyang prétend avoir développé n'est pas encore au point, le régime nord-coréen est pourtant en capacité d'infliger de sérieux dommages à la Corée du Sud et au Japon, avec les missiles de moyenne portée qu'il maîtrise. "L'assassinat du demi-frère de Kim Jong-Un a prouvé que la Corée du Nord disposait de VX, classé comme arme de destruction massive par l'ONU", rappelle Valérie Niquet.

Et quand bien même les tirs nord-coréens relèveraient du bluff, leur multiplication en soi est susceptible de provoquer des accidents, alors qu'ils se rapprochent du territoire japonais. "Ce régime donne l'impression d'une fuite en avant, poursuit la chercheure. L'agressivité de Kim Jong-un apparaît beaucoup moins maîtrisée que celle de son père et de son grand-père."

Les risques d'escalade du côté américain

Barack Obama avait opté pour une combinaison d'attaques électroniques et de sanctions pour freiner les ambitions nucléaires de la Corée du Nord. Mais les sanctions américaines comme onusiennes, depuis le premier test nucléaire nord-coréen en 2006, n'ont eu aucun effet sur Pyongyang. "La politique de "patience stratégique" est contestée dans l'entourage du nouveau président, analyse Mathieu Duchâtel. Le recours à des frappes préventives est désormais ouvertement évoqué". Difficiles à mettre en oeuvre, elles sont loin de rassurer la Corée du Sud et le Japon, qui seraient en première ligne en cas de réaction de Pyongyang à de telles attaques.

De son côté, "la Chine, qui continue de penser que la seule issue est diplomatique, a également conscience que des frappes préventives déstabiliseraient gravement toute la région. La montée des tensions dans la péninsules pourrait donc pousser Pékin à reprendre son rôle de modérateur", avance Mathieu Duchâtel. La visite d'un haut diplomate de Corée du Nord en Chine ce mardi en est peut-être un premier signe.

John Delury, professeur à la Yonsei University, à Séoul, plaide aussi pour la diplomatie: "Si les Etats-Unis espèrent maintenir la paix dans la péninsule coréenne, ils devraient cesser de chercher à saper le régime de Kim Jong-un et faire en sorte que Pyongyang se sente plus en sécurité, écrit-il dans Foreign Affairs. Au lieu d'être obnubilé par sa survie, le régime nord-coréen se concentrerait alors sur sa prospérité."

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