En convoquant des élections législatives, la Première ministre Theresa May souhaitait renforcer la majorité absolue des conservateurs au Parlement britannique. Elle en sort avec une majorité relative qui complique le jeu politique, comme l'explique à L'Express Mark Leornard, directeur du bureau londonien du think tank Conseil européen des relations internationales (ECFR).

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Quelles sont les raisons de cette défaite pour Theresa May et les Conservateurs, qui perdent leur majorité absolue?

Mark Leonard: ce n'est d'abord pas la première élection où les électeurs punissent le gouvernement pour avoir provoqué des élections anticipées. Ensuite, sa campagne très personnalisée a beaucoup pesé. Dès le début, elle a mis en avant des propositions politiques très mal vues. Elle a tout de suite changé de propositions, mais ne l'a pas admis. Cela a complètement détruit l'idée que ce qu'elle offrait était "un leadership fort et stable", son slogan. Elle semblait également avoir peur de parler avec les électeurs. Elle n'était pas à l'aise lors des interviews.

Y a-t-il également une part de vote contre l'austérité, mais aussi contre le Brexit?

Tout le monde pensait que les attentats allaient la renforcer, mais il y a eu un grand débat sur les coupes budgétaires et d'effectifs dans la police et le renseignement, avec 20 000 agents en moins. Le fait qu'elle n'ait pas admis qu'elle en était responsable en tant que ministre de l'Intérieur a été mal vu aussi. Il y a un sentiment de ras-le-bol après sept ans d'austérité. Et puis il y a les 48% d'électeurs qui avaient voté contre le Brexit, qui ont pesé, surtout dans le sud de l'Angleterre.

Le résultat s'accompagne d'une hausse de la participation, notamment dans les circonscriptions remportées par les Travaillistes...

Il y a un effet anti-Brexit. Un peu comme Benoît Hamon lors de la primaire socialiste, Jeremy Corbyn [chef des Travaillistes] a su mobiliser les jeunes qui ne votent pas normalement. On avait vu lors des dernières élections des taux de participation très bas parmi les jeunes et les étudiants. Corbyn a choisi des thèmes qui ont mobilisé les jeunes, contre l'austérité notamment, avec notamment la suppression des droits d'entrée pour l'université. Il a porté un discours nouveau sur les affaires étrangères qui a plu aux jeunes. La gauche britannique était très divisée sur la guerre irakienne dans laquelle le Royaume-Uni [à l'époque gouverné par Tony Blair] s'était engagé en 2003. Corbyn y était clairement opposée.

Jeremy Corbyn le 9 juin 2017 à Islington

Jeremy Corbyn, le 9 juin 2017, à Islington

© / afp.com/NIKLAS HALLE'N

Corbyn était très critiqué, notamment dans les rangs du Labour. Il fait mieux que prévu. N'est-ce pas l'enterrement de la ligne Blair?

Impossible à dire, tant nous sommes dans une période avec beaucoup de changements et de surprises. Beaucoup de militants et de députés travaillistes pensaient que le parti allait être humilié dans ces élections comme le PS en France. Il est clair que non. Corbyn bénéficie du fait qu'on attendait peu de lui. Perdre les élections de plus de 7%, plus ou moins le même résultat de la défaite de Gordon Brown en 2010, c'est une grande victoire. Il va être impossible de le remplacer. Il y a un grand décalage entre les députés travaillistes, plus centriste que les militants, qui ont voté deux fois pour Corbyn [lors de congrès du parti]. Ce décalage se renforce.

Au sein des Tories, quelle conséquence a l'affaiblissement de May, qui veut former un nouveau gouvernement?

Les Tories sont une coalition de différentes sensibilités. Les "conservateurs libéraux", qui représentent les intérêts du capitalisme et des grandes entreprises et qui voulaient rester dans le marché unique, assez forts pendant l'ère David Cameron, avaient été complètement affaiblis par le vote en faveur du Brexit et l'arrivée de May, qui représente plus l'aile traditionaliste et autoritaire. Comme elle n'a plus de majorité, toutes les sensibilités peuvent prendre en otage le gouvernement. L'ancien ministre des Finances de Cameron, George Osborne, a ainsi pu annoncer à la télévision que le "Brexit dur" partait "à la poubelle". On n'a pas vu beaucoup Boris Johnson [ministre des Affaires étrangères], lors des élections. Lui qui sait parler aux électeurs et possède une position forte dans le parti conservateur sort renforcé de ces élections.

Le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson, le 11 mai 2017 à Londres

Le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, le 11 mai 2017, à Londres.

© / afp.com/JACK HILL

L'aile représentée par David Davis, le ministre du Brexit, sort affaiblie. Quelles conséquences justement sur les négociations avec l'Union européenne?

Il va falloir trouver des compromis pour satisfaire tout le monde côté britannique. Le grand changement, c'est que le gouvernement conservateur ne pourra exister qu'avec le support du Democratic Unionist Party [le parti des protestants nord-irlandais]. Cela veut dire que la question irlandaise dans le Brexit va être très importante. Les Irlandais du Nord ont très peur de retrouver une frontière qui ne soit pas ouverte entre l'Irlande du Nord et du Sud. Cela va avoir des conséquences sur les questions de l'union douanière et du marché unique.

Le SNP a perdu une vingtaine de sièges. Comment s'explique cet échec des indépendantistes écossais?

Ils sont au pouvoir depuis sept-huit ans et prennent leur part de responsabilité pour les échecs du gouvernement écossais. Il y a eu aussi une campagne mobilisatrice des autres partis contre un 2e référendum après celui de 2014. Ruth Davidson, la chef du parti conservateur écossais, très dynamique et charismatique, a su faire campagne contre l'idée d'une écosse indépendante. Cela montre que ces questions identitaires sont très importantes dans ces élections. Les conservateurs commencent à remplacer le parti travailliste comme opposition officielle en Ecosse.

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