L'économie pourrait faire perdre les pro-Brexit. L'immigration les faire gagner. Les spéculations du FMI ou de la Banque d'Angleterre, les avertissements de grandes entreprises ou de Barack Obama ont régulièrement fait pencher la balance en faveur du Remain (rester dans l'Union européenne) au détriment du "Leave", pendant la campagne du référendum du 23 juin.

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REPORTAGE >> Should they stay or should they go?

L'annonce, fin mai, des chiffres record de l'immigration pour l'année 2015, a constitué un choc que les partisans du maintien dans l'UE ont du mal à encaisser. L'immigration nette (les arrivées moins les départs) a atteint 333 000 personnes, selon l'Office des statistiques nationales. Un record égalé une seule fois dans l'histoire du Royaume. Et ce, alors que David Cameron s'était donné, en 2010, pour objectif de limiter ce chiffre à 100 000 par an.

Haro sur la libre circulation, principe fondateur de l'UE

La moitié de ces nouveaux venus provient de l'Union européenne. Là aussi, le Royaume-Uni atteint des records. Et les eurosceptiques ont beau jeu de souligner que, pour cette catégorie de migrants, l'appartenance à l'UE limite la marge de manoeuvre des autorités. La liberté de mouvement, l'un des principes fondateurs de l'UE, interdit au gouvernement de fermer les frontières aux citoyens européens. C'est pourquoi Boris Johnson, chef de file des partisans du Brexit, s'est empressé, à l'annonce de ces chiffres, d'appeler les Britanniques à voter en faveur d'une sortie de l'UE lors du référendum, pour "reprendre le contrôle" de l'immigration.

A la veille de l'élargissement de l'UE à dix nouveaux membres de l'Europe de l'Est, dans les années 1990, Londres avait claironné que le nombre de migrants susceptibles de s'installer dans le pays s'échelonnerait de 5000 à 13 000 par an. Très vite, cette fourchette s'est révélée sérieusement sous-évaluée.

Au cours des dix dernières années, 1,5 million d'Européens de l'Est sont venus chercher du travail dans le royaume. Les Polonais sont les plus nombreux, mais plus récemment, c'est aux citoyens bulgares et roumains que les statisticiens attribuent la hausse. Enfin, les citoyens des pays endettés du sud de l'Europe les ont rejoints (Espagne, Italie, Grèce).

L'immigration, un apport bénéfique pour l'économie

Plusieurs études ont démontré que l'immigration rapporte plus au pays qu'elle ne lui coûte. Un argument rappelé par le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, partisan d'un maintien dans l'UE. Elle a représenté un gain de plus de 20 milliards de livres entre 2001 et 2011, compte tenu de l'écart entre les impôts payés par les ressortissants de l'UE au Royaume-Uni et les aides qu'ils ont reçues.

"Les immigrés récents, c'est-à-dire ceux qui sont arrivés depuis 2000, sont moins enclins à recevoir des aides sociales et à vivre dans des logements sociaux que les ressortissants nationaux", indiquent les auteurs d'une étude de l'University college. Ils contribuent à rétablir l'équilibre fiscal puisque les Britanniques, à l'inverse, ont coûté à l'Etat 624,1 milliards de livres (737 milliards d'euros) de plus que ce qu'ils ont rapporté en impôts.

Un bénéfice peu perçu par les catégories populaires

Cette étude ne répond toutefois pas aux deux autres griefs imputés aux immigrés: faire stagner les salaires et exercer une pression sur le logement. Ces arrivées sont, en effet, plus visibles dans certaines villes ou régions que d'autres. Nombre des migrants originaires d'Europe de l'Est travaillent à Londres, mais sont installés dans les environs de la capitale, dont les loyers sont beaucoup trop élevés.

Dans le nord-est, la petite ville de Hull dans le Yorkshire, un habitant sur dix est un migrant originaire de l'UE, alors que les minorités ne représentaient que 2% de la population à la fin des années 1990, rapporte le Financial Times. Pourtant, souligne le quotidien, "les boutiques ouvertes dans Hull par des Polonais n'ont pas remplacé des boucheries ou boulangeries d'habitants du cru", elles ont prospéré dans des locaux à l'abandon et dynamisé la petite ville endormie.

Mais "ces nouveaux immigrés se retrouvent dans des villes qui n'ont pas d'expérience de l'immigration, explique à L'Express Mark Leonard, directeur du think tank ECFR, et l'arrivée d'un grand nombre de personnes, un million en trois ans, crée une pression sur les services sociaux -écoles ou services de santé. D'autant qu'au Royaume-Uni, le lieu de résidence des étrangers n'est pas enregistré par le gouvernement, et qu'il n'y a donc pas de redistribution proportionnelle de l'Etat aux autorités locales."

Pression sur les bas salaires

L'arrivée de migrants non-Européens a été drastiquement réduite et les entreprises connaissent de plus en plus de difficultés pour faire venir des étrangers hautement qualifiés. "L'économique britannique a besoin de l'immigration et il n'est donc pas envisagé, y compris par les Brexiters, de la faire cesser", explique Anand Menon, professeur au King's College de Londres.

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En moyenne, la pression sur les salaires a été assez faible, de l'ordre de 1%, selon les pro-UE. "Mais elle est beaucoup plus forte sur les bas salaires", poursuit le chercheur. "Dans certains secteurs, le salaire moyen a nettement baissé en raison de la concurrence créée par ces arrivées", renchérit Mark Leonard.

Une étude de l'université de Southampton a ainsi montré que les salaires dans le bâtiment étaient passés de 130 livres brut par semaine en 2003, dans la région de Southampton, à 65 livres en 2013. Une réalité soulignée par la gaffe de l'ancien président du groupe Marks & Spencer, à la tête des pro-Remain. Il a admis, à regret, qu'une réduction de l'immigration entraînerait une baisse de la main-d'oeuvre et potentiellement une hausse des salaires.

"Depuis plusieurs années déjà, les catégories populaires se sentent abandonnées par le Labour", souligne Mark Leonard. Comme le Front national en France, le parti populiste anti Ukip a entendu cette frustration.

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