Accueil flamboyant de Vladimir Poutine et de Donald Trump, invitation surprise des deux principaux adversaires libyens à Paris pour la signature d'un cessez-le-feu... Trois mois après son arrivée à l'Elysée, l'Express a interrogé des experts sur les premiers pas à l'international d'Emmanuel Macron.

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Le début de la présidence Macron a coïncidé avec plusieurs sommets internationaux (Otan, G7, G20), l'occasion pour le nouveau locataire de l'Elysée d'asseoir sa stature internationale. En face, "il faut noter l'intérêt de nombreux dirigeants à rencontrer le nouveau président français", observe Manuel Lafont Rapnouil, directeur du Conseil européen des relations internationales à Paris. Le président français a aussi profité d'une exposition sur Pierre le Grand et d'anniversaires pour inviter en grande pompe Vladimir Poutine, Donald Trump et Benyamin Netanyahu.

Diplomatie "jupitérienne"

"Le qualificatif de "jupitérien" s'applique d'autant plus à ses premiers gestes de politique étrangère que la cinquième république s'y prête, avec un pouvoir de décision centralisé à l'Elysée", analyse Olivier Schmitt*, professeur de relations internationales au Centre d'études sur la guerre (Danemark). Son "bonapartisme" s'est aussi illustré à propos de la politique de défense, avec la démission forcée du chef d'état-major. Macron "a senti l'absence de leadership occidental, avec Trump empêtré dans ses affaires russes, Angela Merkel en campagne électorale et Theresa May occupée par le Brexit", poursuit le chercheur.

Le chef de l'Etat a multiplié annonces et initiatives, avec certains succès, sur l'accord de Paris sur le climat, notamment, juge Manuel Lafont Rapnouil. "La fermeté de sa réaction a permis d'éviter un détricotage de l'accord. La souplesse affichée par Trump lors de sa visite à Paris est sans doute de façade. Mais l'idée de travailler avec d'autres acteurs américains - collectivités, entreprises, scientifiques - est la bonne approche."

Il s'est aussi efforcé, "avec moins de résultats, à ce stade", notre le chercheur, de redonner à la France "un rôle dans la gestion de la crise syrienne ou la tentative de médiation entre les Etats du Golfe."

Une politique de coups d'éclats

"Macron compense son image de novice par en diplomatie par de l'activisme", observe Bertrand Badie**, professeur de Relations Internationales à Sciences-Po Paris. D'où cette "diplomatie d'affichage", selon le politologue: sa poignée de main "virile" et le dîner à la tour Eiffel avec Trump, la réception fastueuse de Poutine à Versailles, corrigée par la prise à parti des médias pro-Kremlin en présence du président russe, ou encore le "Cher Bibi" adressé à Netanyahu, en pleine crise à Jérusalem.

"Gestes peu suivis d'effet", estime Bertrand Badie. La réception au château du Roi-Soleil "n'a pas suffi ni à rétablir un dialogue constructif avec Moscou, ni à relancer le processus de Minsk sur l'Ukraine ou à ramener la France à la table russo-américaine sur la Syrie", renchérit Manuel Lafont Rapnouil.

Gaullo-mitterrandisme, néoconservatisme...

Au-delà de l'affichage, les experts peinent à discerner une cohérence à la diplomatie macronienne. "Il reprend les slogans en vigueur dans l'espace public dans l'objectif de marquer sa différence avec ses prédécesseurs, juge Olivier Schmitt: le président a annoncé 'la fin d'une forme de néoconservatisme' à la française, se rangeant dans un 'gaullo-mitterrandisme' largement fantasmé".

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D'autant que "ses priorités sont encore très sécuritaires, avec un fort accent mis sur le recours aux armées et à la lutte contre le terrorisme, note Manuel Lafont Rapnouil. Dans le même temps, la reprise à la hausse de l'aide au développement française a encore été repoussée sine die, alors qu'elle est indispensable - que ce soit pour préserver le climat, répondre à la crise migratoire ou stabiliser durablement les zones de crises et de conflit."

... ou conservatisme tout court ?

Contrairement à ce que laissait augurer sa campagne électorale, la politique de Macron se révèle tout bonnement... conservatrice, diagnostique de son côté Bertrand Badie: "le chef de l'Etat a insisté sur les liens historiques entre la France et les Etats-Unis -alors même que le président américain venait de tourner le dos aux accords de Paris. Il a repris le discours sur la sécurité d'Israël sans esquisser la moindre idée sur la Paix au Moyen-Orient ou les droits des Palestiniens."

Reste que la politique étrangère de la France n'a quasiment pas bougé depuis les années 1990, complète Olivier Schmitt, avec pour jalons l'importance de la présence de la France au Conseil de sécurité, des alliances traditionnelles -Otan/UE, l'interventionnisme, marqueur de la place de la France parmi les grandes puissances militaires.

Interventions étrangères: rupture ou continuité ?

Après avoir proféré une volonté de changement à propos des interventions de la France à l'étranger, "Macron n'a esquissé aucune réflexion publique sur l'utilité stratégique de ces opérations", constate Olivier Schmitt. Qu'il s'agisse du Mali (Barkane) ou l'Irak et la Syrie (Chammal). "Tous les dirigeants publics sont tétanisés par la crainte qu'en cas de nouvel attentat terroriste, on puisse leur reprocher d'avoir mis fin à ces opérations censées contribuer à la lutte antiterroriste. Il en va de même pour l'opération Sentinelle dont tout le monde sait qu'elle est aussi coûteuse qu'inutile. La ministre de la Défense vient pourtant de dire qu'elle doit s'inscrire dans la durée. "

Quant à sa vision de l'Afrique ou des relations nord-sud, elles sont elles aussi bien traditionnelles, déplore Bertrand Badie, et Macron manifeste de la désinvolture vis-à-vis des pays du sud avec ses propos sur "le Comorien".

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"Pour un champion de la mondialisation, il surprend par l'absence de priorité données aux exigences de la gouvernance globale", ajoute encore le politologue.

L'Europe, l'Europe...

Sur le plan européen, Manuel Lafont Rapnouil salue la capacité du président à rouvrir le débat côté allemand sur la gouvernance de la zone euro. "Il a aussi clairement affiché sa volonté de trouver des accords en amont des échéances européennes, ce qui est indispensable à la relance de la construction de l'UE, y compris en matière de défense ou de migration."

En revanche, tempère l'expert, la "faible place de l'européanisation dans sa politique étrangère" est très surprenante dans ce premier bilan. Hormis l'engagement, rhétorique à ce stade, à relancer le moteur franco-allemand de la construction européenne, Macron a "joué national" sur les grandes crises, déplore-t-il.

Quant à son coup d'éclat libyen, certes couronné d'une promesse de cessez-le-feu et d'élections, il est "maladroit et risqué", tranche Bertrand Badie. "Parce qu'il court-circuite l'Italie, alors qu'elle en première ligne face à cette crise; Et parce qu'il met sur un pied d'égalité le chef du gouvernement d'union nationale libyen, Fayez al-Sarraj, soutenu par l'ONU, et le général Haftar, qui n'a cessé d'entraver les efforts de réunification en Libye". Réalisée sans préparation, cette rencontre a offert "beaucoup de légitimité au général Haftar qui n'a rien donné en échange", expliquait il y a peu à L'Express un spécialiste de la Libye.

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De même, s'interroge Bertrand Badie, les effusions mises en scène lors de la réception de Trump étaient-elles avisées "alors que l'Europe a besoin d'une réponse unie face à la politique de la Maison Blanche, notamment sur le climat"?

Les experts interrogés par L'Express sont unanimes sur un point: le président devra, au delà des coups, passer à la vitesse supérieure dans les mois à venir s'il entend réellement faire ses preuves sur la scène internationale.

* Olivier Schmitt est l'auteur de Pourquoi Poutine est notre allié ? Hikari Editions, 2017

** Bertrand Badie est l'auteur de Nous ne sommes plus seuls au monde. La découverte, 2014

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