Le prochain patron des Nations unies Antonio Guterres au siège de l'ONU le 12 décembre 2016

Antonio Guterres, ici au siège de l'ONU, le 12 décembre 2016, après avoir prêté serment.

afp.com/Eduardo Munoz Alvarez

Le "job" le plus difficile du monde possède un bureau. Situé au 38e étage d'une tour qui en compte 39 et domine l'East River, à New York, il accueille ce dimanche un nouvel occupant. Avec la nouvelle année, Antonio Guterres prend officiellement ses fonctions de secrétaire général des Nations unies.

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"Je vous demande à tous de prendre avec moi cette résolution: engageons-nous à faire de la paix notre priorité absolue", a-t-il déclaré dans un message diffusé ce dimanche.

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La tâche s'annonce immense pour cet homme de 67 ans, qui fut Premier ministre du Portugal de 1995 à 2002. De nombreuses crises diplomatiques, politiques et humanitaires l'attendent. Unanimement comme le meilleur choix possible - il a survolé les auditions de sélection -, il ne met pas les pieds en terre inconnue: il a officié de 2005 à 2015 comme Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés.

Syrie, Congo et Soudan du Sud

La guerre en Syrie n'est pas le seul dossier qui pourrait occuper sans délai le Portugais. En République démocratique du Congo, Joseph Kabila s'accroche à la présidence alors que son 2e et dernier mandat est constitutionnellement expiré, suscitant des troubles dans le pays. Celui-ci comprend la plus grosse mission de maintien de la paix onusienne, déployée du côté des Grands-Lacs - près de 20 000 personnes. La région, coutumière des massacres de masse, n'attend qu'une étincelle pour prendre feu.

L'urgence pourrait être plus grande encore au Soudan du Sud, où une guerre civile qui a fait ces dernières années des dizaines de milliers de morts et plus de trois millions de déplacés pourrait reprendre incessamment. "Il y a des risques d'exactions. Or la mission de l'ONU est en lambeau: elle vient de recevoir un nouveau commandant de la force, mais elle attend toujours son représentant spécial [le précédent a démissionné en octobre], explique Alexandra Novoseloff, chercheuse spécialiste de l'ONU, actuellement invitée à l'Université de New York. Et elle fait face à des gens qui ne veulent pas la paix."

Réformer le maintien de la paix

Le "maintien de la paix" est l'un des trois domaines, avec "l'aide au développement durable" et la "gestion" du secrétariat, pour lesquels Antonio Guterres compte proposer des réformes. Il y a de quoi faire, tant la bureaucratie onusienne peut parfois prendre le pas sur l'action. "La procédure qui permet de définir le besoin d'un expert sur un terrain et son déploiement prend souvent plusieurs mois", rappelle Manuel Lafont Rapnouil, directeur du bureau de Paris du Conseil européen des relations internationales.

Après avoir prêté serment le 12 décembre, Guterres a reconnu que les Casques bleus peinaient souvent à "maintenir une paix qui n'existe pas". Une référence à certaines missions africaines, notamment celle du Soudan du Sud. "Les problèmes rencontrés viennent du fait que les Casques bleus ont été déployés alors que la situation n'était pas stabilisée, précise Alexandra Novosseloff, qui a dirigé aux éditions CNRS Le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il y a un véritable travail de réflexion à faire sur les limites du maintien de la paix et l'efficacité des Casques bleus."

Redorer le blason après 10 années Ban

Sur tous les plans, Antonio Guterres ne devrait pas avoir de mal à se démarquer de celui qui l'a précédé dix années au poste, Ban Ki-moon. "Ban n'a fait preuve d'aucun leadership, jusqu'à se retrouver déconsidérer par ses pairs, constate Alexandra Novosseloff. Ban a délaissé la partie médiation que peut jouer un secrétaire général, qui peut négocier en parallèle, de manière discrète avec différents interlocuteurs, notamment pour prévenir un conflit."

A contrario, Guterres s'est dit "prêt à s'engager personnellement", comme a pu le faire, à l'occasion, Kofi Annan, son prédécesseur de 1997 à 2006. "Kofi Annan prenait des risques. Il pouvait prendre l'avion et aller à Bagdad pour négocier avec Saddam Hussein, comme il l'avait fait en 1998, fait valoir Manuel Lafont Rapnouil. C'est un peu ça qu'on attend de Guterres. Son rôle est de provoquer une coopération vers laquelle les Etats n'iraient pas spontanément, ce qu'a rarement fait Ban."

Un jeu diplomatique en mutation

Si le secrétaire général ne se réduit pas à ce que veulent les Etats membres veulent, notamment ceux du Conseil du sécurité, il reste aussi contraint par eux. La prise de fonction de Donald Trump pourrait rapidement réduire les marges de manoeuvres du nouveau secrétaire général.

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Le président élu a décrit récemment l'ONU comme un "club qui ne sert qu'à réunir les gens". Il avait regretté à plusieurs reprises pendant sa campagne que les Etats-Unis en soit un si gros contributeur. "Trump est très révélateur du manque d'appétit actuel en matière de coopération internationale, à faire des efforts de solidarité avec d'autres pays, comme dans le cas de l'accord de Paris sur le climat", estime Manuel Lafont Rapnouil.

Les relations diplomatiques promettent d'être moins multilatérales qu'auparavant. "Guterres va faire face à un retour du jeu des puissances avec une vision extrêmement réaliste de leurs intérêts et de l'utilisation de toute la palette disponible pour les défendre, ce que fait actuellement la Russie, comme la Chine", ajoute le chercheur. Malgré les innombrables déplacements qui l'attendent, lorsqu'il se retrouvera dans son bureau du 38e étage, Antonio Guterres ne devrait pas échapper à une certaine forme de solitude.

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