Ban Ki-moon s'alarme ce mardi de possibles atrocités à Alep, Et puis rien. Depuis des mois, le secrétaire général de l'ONU se contente de condamner la barbarie de cette guerre, sans parvenir à secouer l'apathie de la communauté internationale. Sans empêcher l'écrasement des Syriens sous les tapis de bombes de la coalition russo-iranienne prête à anéantir le pays pour maintenir au pouvoir Bachar el-Assad. Sans un geste pour les centaines de milliers de Syriens assiégés et affamés. Une telle impuissance pourrait bien être le tombeau de l'ONU, dénonce pour sa part l'ambassadeur de France aux des Nations unies, François Delattre.

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1. L'impuissance diplomatique

"Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a été particulièrement passif vis-à-vis de la crise syrienne, souligne Manuel Lafont Rapnouil, analyste au Conseil européen des relations internationales (ECFR). L'une des rares décisions à son actif a été de nommer un envoyé spécial sur la Syrie."

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Mais les trois personnes successives chargées de cette mission ont été inopérantes. Le premier d'entre eux, Kofi Annan, "regrettait, au moment de sa démission, en août 2012, qu'aucune pression n'ait été exercée sur le régime de Bachar el-Assad et l'opposition, poursuit l'expert. Il disait aussi qu'on ne pouvait pas vouloir plus la paix que les belligérants. Mais le problème, c'est que les médiateurs n'ont pas de moyen de coercition."

Surtout, relève Julien Théron, enseignant à Sciences-Po Saint-Germain, "l'ONU n'est rien d'autre que l'ensemble des pays de la communauté internationale". Or, il y a un fossé grandissant entre la détermination des parrains du régime syrien, la Russie et l'Iran, qui ont employé les grands moyens -militaires- pour venir en aide à leur protégé. En face, les Occidentaux ont soutenu avec réticence l'opposition par crainte de favoriser le renforcement des djihadistes. Et aujourd'hui? Ils se limitent à la recherche d'une issue diplomatique pour laquelle ils n'ont pas de partenaire.

2. Le mirage des couloirs humanitaires

Souvent évoqués, les couloirs humanitaires pour venir en aide aux civils assiégés, n'ont jamais été mis en oeuvre. "C'est presque impossible en l'absence de troupes au sol et dans le contexte de l'intervention aérienne russe", assure Manuel Lafont Rapnouil. Qui plus est, dans une guerre où le régime syrien et la Russie ont délibérément ciblé hôpitaux écoles et boulangeries. Et lorsque Damas a autorisé le passage des convois humanitaires sur la ligne de front, les obstructions se sont multipliées.

L'envoyé spécial de l'ONU, Staffan de Mistura, est particulièrement critiqué pour sa volonté de se tenir à équidistance entre le régime et l'opposition, et ne pas s'être jamais rendu que dans les zones sous contrôle gouvernemental. Au point que les Nations unies ont été accusées d'octroyer des contrats profitables à des proches du président syrien. Surtout, explique Manuel Lafont-Rapnouil, "il s'est limité à chercher une solution humanitaire à une mission par essence politique". Le successeur de Ban Ki-moon, Antonio Guterres, qui a prêté serment lundi, s'investira-t-il plus dans ce dossier? "Quand il était en charge des questions humanitaires à l'ONU, il soulignait qu'il n'y a pas de solution humanitaire à la crise humanitaire en Syrie, seulement une solution politique".

Les décisions unanimes de l'ONU sur la crise syrienne ont été rarissimes. Il y a bien eu la décision du démantèlement des armes chimiques, en 2013. "Mais cela ne concernait que les stocks militaires, note Manuel Lafont Rapnouil. Et pas les substances à usage dual comme le chlore, que le régime a continué d'utiliser contre les civils." Quant à la résolution 2254 instituant une "feuille de route" pour la paix... elle a très vite été enterrée par l'offensive russo-iranienne sur Alep, en février.

3. Le blocage du veto

La paralysie du dossier syrien est aussi liée au mode de fonctionnement du Conseil de sécurité de l'ONU. Le droit de veto de la Russie empêche toute action des Nations unies. Un privilège régulièrement utilisé par Moscou comme par Washington pour protéger leurs alliés ou leurs intérêts. En 2015, la France a d'ailleurs proposé de limiter le recours au veto par les membres permanents du Conseil de sécurité, en cas de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre. Moscou s'y est aussitôt opposé.

D'autres pays ont proposé que l'Assemblée générale de l'ONU prenne le relais du Conseil de sécurité. "Il y a des précédents, rappelle Julien Théron. La résolution 377, née de la Guerre de Corée, prévoit que l'Assemblée générale se saisisse d'une question en cas de blocage au Conseil de sécurité. Autre option, s'en tenir à la charte de l'ONU plutôt qu'à la lettre, comme dans le cas du Kosovo. Mais dans le cas de la Syrie, il n'y a aucune volonté ni des Européens, ni de Barack Obama."

Les Européens, par exemple, ont été très frileux à l'idée de largages d'aide humanitaire au-dessus des zones assiégées par le régime, par crainte que le régime syrien ou les Russes n'abattent ces avions. Pourtant, relève Julien Théron, "Israël a mené plusieurs fois des frappes en Syrie, et la Turquie est intervenue dans le nord du pays, sans aucune rétorsion ni du régime, ni de Moscou". Le refus de larguer de l'aide humanitaire relève donc plus, selon le politologue, de la frilosité des Occidentaux que de réels problèmes techniques ou stratégiques.

Le chercheur souligne aussi l'absence d'implication des pays émergents dans les crises régionales. Et s'inquiète de l'effondrement de l'ordre international. "Laisser faire le massacre en cours à Alep, c'est une incitation aux régimes autoritaires à faire tout ce qu'ils veulent, sans aucune restriction."

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